Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Le Message

Napoléon/Le Message
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 192-194).
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LE MESSAGE

 
Pars, messager, tout dort encor ;
Pars dans la nuit, au son du cor !
Au son du cor, pars : voici l’heure
Où sur son calice d’amour
Le rossignol palpite et pleure,
Où l’étoile éveille le jour,
Où l’aube, en sortant des nuages,
Surprend le secret des messages.
Pars, messager ; mon cœur te suit,
Et ta trace à mes yeux reluit.
Pourquoi n’est-tu pas l’hirondelle ?
Tu volerais là-bas comme elle ;
Puis tu verrais sur le chemin
Un capitaine au front d’airain.
Porte-lui ma lettre fermée,
Et de pleurs encore embaumée.


Joséphine à Napoléon.
Au milieu du bruit des cymbales,
Quand près de vous sifflent les balles,
Vous souvenez-vous de mon nom ?
Au milieu des cris d’une armée
Quand vous rêvez, est-ce de moi ?

Non, vous ne rêvez que fumée,
Que lourds canons, tente de roi.
Vous aimez d’amour votre épée,
À vos côtés de sang trempée,
Plus que votre femme, cent fois,
Sous ses rideaux pâle et sans voix.
Avez-vous fait vos fiançailles
Avec Arcole ou Rivoli,
Avec la vierge de Lodi,
Ou la vierge des funérailles ?
Avez-vous donc mis votre anneau
Au doigt sanglant de vos batailles,
Pour les aimer jusqu’au tombeau
Plus que vos sœurs et que vos frères ?
Que vous font mes larmes amères ?
Sitôt que votre étoile luit,
On dit que, le jour ou la nuit,
Vous êtes, depuis mon veuvage,
Là-bas, un lion de carnage.
Que je voudrais, de mon balcon,
Sur votre cheval de bataille
Vous voir passer, quand le clairon
Aux lèvres d’or crie et tressaille ;
Quand une ville tout en deuil
Pour vous met ses clefs sur le seuil ;
Quand votre écharpe se déplie,
Et que les femmes d’Italie
Sous les orangers vont s’asseoir,
Disant : " Qu’il était beau ce soir ! "
Est-il vrai que dans la poussière
Sur vos épaules ruisselants,
Vos longs cheveux traînent sanglants,
Comme d’un casque la crinière ;

Que sous l’ombre de Rivoli
Votre front encore a pâli ;
Et que la soif et le carnage
Ont tant maigri votre visage ?

Toutes les nuits je vous attends,
Et sans dormir je compte l’heure.
Toutes les nuits, sans vous, je pleure
Sitôt que grondent les autans.
Quand reviendrez-vous de la guerre ?
Pour recommencer vos combats,
Avez-vous donc de leur poussière
Ressuscité vos vieux soldats ?
Voulez-vous au bout de la terre,
Tout sanglants, sans pain, sans souliers,
Traîner ces fantômes à pieds
Dans votre fantôme de gloire ?
Pour me revoir attendez-vous
Que je me meure à vos genoux ;
Qu’à votre front chaque victoire
Mette une ride pour bandeau ;
Que vous ployiez sous le fardeau,
Ou qu’une blessure éternelle
Glace votre cœur plus froid qu’elle ;
Ou que vos grenadiers en deuil
Vous embaument dans le cercueil ?
Si vous m’aimez, quittez l’armée,
Quittez les camps et la fumée.
Je ne rêve, si je m’endors,
Que de hiboux, d’oiseaux des morts,
Je n’en puis dire davantage.
Ah ! Revenez, sinon je meurs.
Je vous écris avec mes pleurs.
Adieu ! J’attends votre message. "