Poésies (1820)/Élégies/Prière aux muses

PoésiesFrançois Louis (p. 29-31).


PRIÈRE AUX MUSES.


Votre empire a troublé mon bonheur le plus doux.
Muses ! rendez-moi ce que j’aime !
Un enfant fut son maître, et son maître suprême ;
Il n’en a plus d’autre que vous.
Ce n’est plus pour moi qu’il délire ;
Il a banni mon nom de ses écrits touchans.
Ô Muses ! loin de lui sourire,
Par pitié pour l’Amour, n’écoutez plus ses chants !

Cette fièvre qui le dévore,
En révant le transporte à vos divins concerts ;
Et, doucement pressé sur le cœur qui l’adore,
Je l’entends murmurer des vers.
Que cherche-t-il ? Est-ce la gloire ?
Il la plaçait dans mon amour ;
Les aveux d’un tendre retour
Étaient sa plus douce victoire.
Pensive, et seule au rendez-vous,
Que devient sa jeune maîtresse ?
Elle est muette en sa tristesse,

Quand l’ingrat chante à vos genoux !
Que sert de lui donner ma vie,
S’il est heureux sans moi ?
Que deviendra l’amour dans mon âme asservie,
S’il échappe à sa loi ?
Cette loi si simple, si tendre,
Quand je l’apprenais dans ses yeux,
Ses yeux alors me la faisaient comprendre
Bien mieux qu’Ovide en ses chants amoureux !
Sans définir l’amour, notre âme le devine :
L’art n’apprend pas le sentiment…
Il est gravé pour moi, par une main divine,
Dans le regard de mon amant !
Où donc est-il ce regard plein d’ivresse ?
Il brûle encor, mais c’est d’une autre ardeur !
J’ai donné toute ma tendresse ;
Cœur partagé peut-il payer mon cœur ?…

Mais si d’une brillante et trompeuse chimère
L’ambitieux est épris pour jamais ;
Si vous rejetez ma prière,
Muses ! qu’il soit heureux, du moins, par vos bienfaits !
Heureux sans moi !… Je fuirai son exemple ;
Trop faible, en le suivant, je pourrais m’égarer ;
Livrez-lui vos trésors ! Ouvrez-lui votre temple ;
À celui de l’Amour, seule, j’irai pleurer.

L’obscurité que le sort me destine
M’éloigne d’un mortel ivre de vos faveurs…
Eh bien ! j’irai l’attendre au pied de la colline
Qu’il gravira par un sentier de fleurs !
Si quelquefois la romance attristée
Peint mon ennui, le trouble de mes sens,
Inspirée au village, elle y sera chantée ;
Et les bergers naïfs rediront mes accens.

Adieu, Muses ! la gloire est trop peu pour mon âme ;
L’amour sera ma seule erreur ;
Et, pour la peindre en traits de flamme,
Je n’ai besoin que de mon cœur.