Poésies (1820)/Élégies/L’Adieu du soir

PoésiesFrançois Louis (p. 27-28).


L’ADIEU DU SOIR.


Dieu ! qu’il est tard !… quelle surprise !
Le temps a fui comme un éclair ;
Douze fois l’heure a frappé l’air,
Et près de toi je suis encore assise !
Et, loin de pressentir le moment du sommeil,
Je croyais voir encore un rayon de soleil !

Se peut-il que déjà l’oiseau dorme au bocage !
Ah ! pour dormir, il fait si beau !
Les étoiles en feu brillent dans le ruisseau,
Et le ciel n’a pas un nuage !
On dirait que c’est pour l’amour
Qu’une si belle nuit a remplacé le jour !
Mais, il le faut, regagne ta chaumière ;
Garde-toi d’éveiller notre chien endormi ;
Il méconnaîtrait son ami,
Et de mon imprudence il instruirait ma mère !
Tu ne me réponds pas ; tu détournes les yeux !
Hélas ! tu veux en vain me cacher ta tristesse,
Tout ce qui manque à ta tendresse

Ne manque-t-il pas à mes vœux ?
De te quitter donne-moi le courage.
Écoute la raison ; va-t’en ! laisse ma main !
Il est minuit ; tout repose au village,
Et nous voilà presqu’à demain !
Écoute ! si le soir nous cause un mal extrême,
Bientôt le jour saura nous réunir ;
Et le bonheur du souvenir
Va se confondre encore avec le bonheur même…
Mais, je le sens, j’ai beau compter sur ton retour,
En te disant adieu chaque soir je soupire ;
Ah ! puissions-nous bientôt désapprendre à le dire !
Ce mot, ce triste mot n’est pas fait pour l’amour.