Ontologie naturelle/Leçon 27

Garnier Frères (p. 219-230).

VINGT-SEPTIÈME LEÇON

Loi des climats. — Causes qui modifient la température : 1o altitude ; 2o humidité. — Acclimatation des animaux. — Amélioration de nos espèces domestiques. — Loi des migrations.

Nous avons vu que les populations animales sont localisées, et comme parquées, dans les diverses régions du globe. Nous connaissons les faits. Mais quelles sont les causes de ces faits ?

Quelle est la cause de la localisation des êtres vivants ? C’est la loi des climats. Chaque espèce vit dans les contrées dont le climat lui est favorable.

Mais quelle est la cause des climats ? C’est la température.

Si enfin, remontant de cause en cause, nous nous demandons d’où vient la température, nous reconnaîtrons qu’elle est un effet de la chaleur solaire.

Je ne parle que de la chaleur solaire : nous verrons, en effet, que la chaleur, venant du centre de la terre à sa surface, est si faible qu’il est permis de n’en pas tenir compte.

On pourrait donc croire, à priori, que tout se réduit là, et que le climat de chaque contrée est plus ou moins chaud, suivant qu’elle est plus ou moins directement exposée à l’influence des rayons solaires ; et, dans ce cas, les climats seraient donnés par les latitudes.

Il n’en est pas tout à fait ainsi : il y a deux causes qui troublent, qui modifient l’action solaire relativement au climat. Ces causes sont : 1o l’altitude des lieux ; 2o la présence des eaux ou l’humidité.

L’altitude modifie la température. Une montagne fort élevée présente, à ses diverses hauteurs, des degrés très-différents de température, et par conséquent une série, une échelle de climats superposés. Bénédict de Saussure a trouvé que, sur le mont Blanc, la température à mesure que l’on s’élève, décroît de 1 degré par 90 toises. Dans sa fameuse ascension aérostatique, M. Gay-Lussac a observé les faits suivants :

Son thermomètre marquait, en quittant Paris, + 30°.

À 2,500 toises. 0°.

À 3,000 toises. − 3°.

L’humidité est une autre cause troublante. Buffon avait remarqué la différence que présentent les espèces animales et les races humaines du midi de l’Amérique, comparées à celles du midi de l’Afrique.

Les races humaines de ces deux contrées diffèrent d’abord par le crâne, ce qui, en fait de races humaines, est toujours le caractère distinctif le plus essentiel ; elles diffèrent ensuite par leur coloration, par leur pigmentum : l’Américain et l’Africain ont tous les deux une couche pigmentale très-abondante ; mais, dans l’Américain, cette couche est cuivrée, et dans l’Africain elle est noire.

Quant aux espèces animales, elles diffèrent essentiellement, et jusque dans leur taille : les espèces américaines, nous l’avons vu, sont toutes, relativement aux grandes espèces de l’Ancien Continent, des espèces réduites.

Ces différences tiennent au climat, qui n’est pas le même au midi des deux continents, malgré l’identité de latitude. Les deux causes que j’indique ici, l’humidité et l’altitude, produisent deux climats différents dans deux lieux, qui sont pourtant situés sous la même latitude, sous la même zone.

Il est curieux, il est instructif de voir le même sujet traité, à un demi-siècle d’intervalle, par deux esprits supérieurs : Buffon et M. de Humboldt.

« Dans le Nouveau Continent, dit Buffon, la température des différents climats est plus égale que dans l’Ancien Continent ; c’est par l’effet de plusieurs causes ; il fait beaucoup moins chaud sous la zone torride en Amérique, que sous la zone torride en Afrique ; les pays compris sous cette zone en Amérique, sont : le Mexique, la Nouvelle-Espagne, le Pérou, la Terre des Amazones, le Brésil et la Guyane. La chaleur n’est jamais fort grande au Mexique, à la Nouvelle-Espagne et au Pérou, parce que ces contrées sont des terres extrêmement élevées au-dessus du niveau ordinaire de la surface du giohe ; le thermomètre, dans les grandes chaleurs, ne monte pas si haut au Pérou qu’en France ; la neige qui couvre le sommet des montagnes refroidit l’air, et cette cause, qui n’est qu’un effet de la première, influe beaucoup sur la température de ce climat ; aussi les habitants, au lieu d’être noirs ou très-bruns, sont seulement basanés. Dans la Terre des Amazones il y a une prodigieuse quantité d’eaux répandues, de fleuves et de forêts ; l’air y est donc extrêmement humide et par conséquent beaucoup plus frais qu’il ne le serait dans un pays sec. D’ailleurs, on doit observer que le vent d’Est qui souffle constamment entre les tropiques n’arrive au Brésil, à la Terre des Amazones et à la Guyane qu’après avoir traversé une vaste mer, sur laquelle il prend de la fraîcheur qu’il porte ensuite sur toutes les terres orientales de l’Amérique équinoxiale ; c’est par cette raison, aussi bien que par la quantité des eaux et des forêts, et par l’abondance et la continuité des pluies, que ces parties de l’Amérique sont beaucoup plus tempérées qu’elles ne le seraient en effet sans ces circonstances particulières. »

Voilà pour les terres situées sous la zone torride en Amérique. Voici pour les terres situées sous la même zone en Afrique.

« … Tous les observateurs s’accordent à dire qu’en Nubie la chaleur est excessive : les déserts sablonneux qui sont entre la haute Égypte et la Nubie échauffent l’air au point que le vent du nord des Nubiens doit être un vent brûlant… Au Sénégal, le vent d’est ne peut arriver qu’après avoir parcouru toutes les terres de l’Afrique dans leur plus grande largeur, ce qui doit le rendre d’une chaleur insoutenable. Si l’on prend donc en général toute la partie de l’Afrique qui est comprise entre les tropiques où le vent d’est souffle plus constamment qu’aucun autre, on concevra aisément que toutes les côtes occidentales de cette partie du monde doivent éprouver et éprouvent en effet une chaleur bien plus grande que les côtes orientales, parce que le vent d’est arrive sur les côtes orientales avec la fraîcheur qu’il a prise en parcourant une vaste mer, au lieu qu’il prend une ardeur brûlante en traversant les terres de l’Afrique avant que d’arriver aux côtes occidentales de cette partie : ainsi les côtes du Sénégal, de Sierra-Léone, de la Guinée, en un mot, toutes les terres occidentales de l’Afrique, qui sont situées sous la zone torride, sont les climats les plus chauds de la terre[1]. »

« Un des objets de la géographie générale qui récompense le mieux des efforts qu’il coûte, consiste, dit M. de Humboldt, à rapprocher la constitution physique de régions séparées par de vastes intervalles, et à indiquer en quelques traits les résultats de cette comparaison. Des causes diverses, en partie peu étudiées jusqu’à ce jour, tendent à diminuer la sécheresse et la chaleur du Nouveau Continent.

« Le peu de largeur des terres découpées en tout sens dans la partie tropicale de l’Amérique du Nord, où la base liquide de l’atmosphère fait monter dans les régions supérieures un courant d’air moins chaud ; l’étendue longitudinale du continent, qui se prolonge jusque vers les deux pôles glacés ; le vaste Océan où se déploient sans obstacle les vents les plus frais des tropiques ; l’abaissement des côtes orientales ; les courants d’eau froide qui, sortant de la région antarctique, se dirigent d’abord du sud-ouest au nord-ouest, vont se briser contre les côtes du Chili, sous le 35e degré de latitude méridionale, remontent vers le nord, le long des côtes du Pérou jusqu’au cap Pariña, et enfin se détournent brusquement vers l’ouest ; le grand nombre de chaînes de montagnes abondantes en sources, dont le sommet couvert de neige s’élève bien au-dessus de toutes les couches des nuages et font descendre des courants d’air le long de leurs versants, la multitude et la largeur prodigieuse des fleuves qui, après un grand nombre de sinuosités, vont chercher toujours, pour se jeter dans la mer, les côtes les plus lointaines ; des steppes dépourvus de sable, et par là moins prompts à s’échauffer ; les forêts dont est remplie la plaine entrecoupée de fleuves qui avoisine l’équateur, forêts impénétrables qui protègent la terre contre le soleil ou n’en laissent passer les rayons qu’en les tamisant à travers leur feuillage, et, dans l’intérieur du pays, aux lieux les plus distants de la mer et des montagnes, exhalent dans l’air d’énormes masses d’eau qu’elles ont aspirées ou produites elles-mêmes par l’acte de la végétation : toutes ces circonstances assurent aux basses terres du Nouveau Monde un climat qui, a par son humidité et sa fraîcheur, contraste singulièrement avec celui de l’Afrique. Elles sont les seules causes de cette séve exubérante, de cette végétation vigoureuse, caractère distinctif du continent américain.

« … Sans doute l’Amérique du Sud offre, si l’on considère son contour extérieur et la direction de ses côtes, une ressemblance frappante avec la péninsule qui termine au sud-ouest l’Ancien Monde. Mais la structure intérieure du sol africain et la situation de ce pays par rapport aux masses continentales qui l’entourent, produisent l’excessive sécheresse qui, dans des espaces immenses, s’oppose au développement de la vie organique. Les quatre cinquièmes de l’Amérique méridionale sont situés au delà de l’équateur, par conséquent dans un hémisphère qui, en raison de l’accumulation des eaux et par beaucoup d’autres causes, est plus frais et plus humide que l’hémisphère septentrional auquel appartient au contraire la partie la plus considéra])le de l’Afrique[2]. »


De très-habiles naturalistes avaient observé, de bonne heure, les différences de température que produit l’altitude. Tournefort, en gravissant le mont Ararat, y avait distingué trois climats successifs, un climat chaud, un climat tempéré, un climat froid. L’ascension du Liban avait révélé à Labillardière la même variété de climats. Enfin, M. de Humboldt donna à cette vue un grand caractère de précision. Il observa, sur le Chimborazo, trois climats superposés, dont chacun sert de sol natal, de patrie, à une population animale distincte : à la base de la montagne vivent les animaux des pays chauds, les singes, les paresseux, les cabiais ; plus haut, les espèces propres aux climats tempérés, le tapir, le pécari, etc. ; plus haut encore et près du sommet, l’alpaca, la vigogne, animaux des pays froids.

Pour qu’un animal puisse s’acclimater, il est nécessaire qu’il trouve dans le pays où on le transporte les conditions de température de son pays natal. Et cette nécessité doit s’entendre dans un sens absolu : rien ne supplée à la température, ni les soins, ni le régime. Jamais nous ne viendrons à bout d’acclimater dans nos régions, relativement froides, les singes, les lions, etc., animaux des pays chauds. Les singes que nous avons à la Ménagerie meurent tous de phthisie pulmonaire.

Les seules espèces dont on puisse entreprendre l’acclimatation, avec espoir de succès, sont celles de pays à température à peu près égale à celle des pays où l’on veut les importer. La loi d’acclimatation, est celle des températures assorties.

Nulle conquête n’est plus douce à faire que celle d’une espèce nouvelle, utile ou même de simple ornement. On pourra acclimater, quand on le voudra, l’alpaca, si on le trouve plus utile que le mérinos (chose douteuse), le tapir, si on le trouve plus utile que le cochon, etc.

Mais, tout en souhaitant que de nouvelles espèces soient acclimatées, je voudrais surtout qu’on s’occupât de l’amélioration et de la multiplication de nos espèces domestiques. Celles-là sont acclimatées ; le difficile est fait. On les néglige parce qu’on les a. Quel sujet cependant plus digne d’intérêt ! Les animaux domestiques sont la véritable richesse d’un pays. Ils travaillent la terre pour nous ; et c’est d’eux-mêmes que nous tirons la meilleure partie de notre nourriture et de nos vêtements.


Après la loi d’acclimatation, vient la loi des migrations.

La loi d’acclimatation et celle des migrations tiennent toutes deux à la grande loi de la distribution des êtres sur le globe. Ce sont aussi des lois géographiques. On n’acclimate que par le rapport des patries ; et la loi des migrations, c’est-à-dire des espaces à parcourir, n’est pas moins fixe que celle des espaces à habiter.

Je ne parle ici que des grandes et périodiques migrations, des migrations proprement dites, et que présentent seules les deux classes des oiseaux et des poissons : les oiseaux, qui ont à leur disposition le domaine des airs, et les poissons, qui ont à leur disposition le domaine des mers.

Tout, dans ces voyages immenses, est déterminé : le point de départ, le but, l’époque, la route.

Chaque année, nous voyons, à de légères variations près, provoquées par les variations mêmes des températures, nous arriver ou nous quitter, les diverses espèces d’oiseaux voyageurs qui abordent nos climats ; les fauvettes, les hirondelles, les cailles, les cigognes, les grues, etc.

Tous les ans des légions de harengs, de sardines, de maquereaux, de thons, de squales, etc., quittent les mers les plus éloignées pour venir se répandre ou s’établir momentanément sur nos côtes.

Un instinct admirable détermine ces animaux, les guide, leur marque la route à travers les flots et les vents. Ces routes mobiles sont les climats prolongés des espèces qui les parcourent.

  1. T. II, p. 211 et suivantes.
  2. Tableaux de la nature, t. I, p. 11 et suivantes.