Mirabeau aux Champs-Elisées/Prologue

Garnery (Comédie en un actep. xxii-xxiii).

PROLOGUE.

LE DESTIN, dans un char.

Je viens de faire trancher les jours du grand Mirabeau. J’ai vu trembler pour la première fois la main de la parque ; un enfant a ſuivi de près ce grand homme, tel étoit mon deſſein…

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Il faut convenir que l’eſpèce humaine est bien bizarre ; quel uſage fait-elle du génie qu’elle a reçu de la nature, en préférence à tous les autres animaux ? foibles mortels ! que vous êtes loin du bonheur que vous cherchez ! Il eſt cependant ſi près de vous, mais la dévorante ambition qui vous tourmente, mais cette ſoif inſatiable de vos intérêts particuliers vous fait empoiſonner tous ces dons que le ciel a répandus ſur la terre ; ah ! ſi je ne veillois pas à leur proſpérité, les hommes s’entregorgeroient enſemble & ſans ſavoir pourquoi. Quel exemple de morale je donne aux Français, en leur enlevant à la fleur de l’âge, un de leur plus fort ſoutien. Ils murmurent actuellement contre ma rigueur : hommes injuſtes, jettez un regard profond ſur vos inconſéquences, ſur vos préventions, & vous reconnoîtrez tous vos torts : vous n’avez perſécutez & vous ne perſécutez encore que ceux qui ſe ſacrifient pour le bien public. Vous ne ſavez les apprécier que quand ils ne font plus ; il en eſt bien tems ! Je ne peux cependant m’en défendre, j’aime les Français, leur caractère, leur eſprit, leur folie même ; mais dans ce moment de vertige qui les égare, s’ils allaient conſpirer contre moi, je n’en ſerois pas étonné, ils en ſont bien capables ; mais je les défie de m’ateindre, je ſuis un peu trop haut pour redouter cette fameuſe lanterne ; en vérité leur révolution eſt bien originale… Ils ſont arrivés, ſans répandre de ſang, a un degré de perfection conſtitutionnelle, où toute autre nation en auroit rougi la terre. Mais feront-ils aſſez conſtans, allez raiſonnables pour ne pas détruire un travail ſi merveilleux… C’eſt-là mon ſecret ; voyons comme ils vont ſe conduire après la mort de Mirabeau ; voyons s’ils ſauront m’engager à leur nommer un ſucceſſeur à ce grand génie. Allons tout préparer aux Champs-Eliſées pour le recevoir ; ah ! combien les grands hommes de la France, vont être étonnés & affligés de le voir arriver parmi eux ; mais j’eſpère les conſoler par les dons que je vais faire à leur patrie ; je vais tout diſpoſer, & que la terre & le ciel. applaudiſſent aujourd’hui à mes bienfaits.

À meſure que le char s’enfuit dans la couliſſe, le nuage ſe diſſipe & découvre les Champs-Elysées avec les ombres.