Mirabeau aux Champs-Elisées/Encore une préface

Garnery (Comédie en un actep. xiii-xxi).

ENCORE UNE PRÉFACE.

LE lecteur ne manquera pas de dire, cette femme aime bien à préfacer : patience lecteur, je vais tâcher que celle-ci ſoit du moins utile.

Je ſerois tentée de croire que la nature a placé en moi le don de prophétie ; ſi j’avois été fanatique, ah ! combien de miracles j’aurois déjà faits ! Tous mes écrits en pétillent ; on n’y croit pas, parce qu’on les a ſous les yeux, mais un jour on les citera. Ce qui m’encourage à revenir à mes miracles patriotiques, c’eſt que l’athéiſme m’aſſure que, je n’ai point comme Jeanne d’Arcq, à redouter la ſainte grillade ; je pourrois peut-être craindre la lanterne nationale, mais on aſſure que ſes nobles fonctions ſont ſuſpendues, ainſi je vais uſer de tous mes droits de citoyenne libre et zèlée patriote.

Depuis quinze ans j’ai prévu la révolution, de plus grands politiques l’avoient prévu de plus loin ; M. de Saint-Germain et la reine l’ont au moins dévancée de plus de trente ans, non comme le public l’interprête ; le vieux bonhomme St.-Germain a fait machinalement ſes ſoupçons ſur la maiſon du roi, ſans avoir le deſſein de nous être utile ; la reine, en faiſant diſparoître l’étiquette a perdu le reſpect des Français ; j’ai fait jadis une obſervation à ſon égard connue de vingt perſonnes. Il y a à-peu-près quatorze ans que je me trouvai à la porte de la comédie francaiſe quand la reine arriva, jeune, élégante, telle qu’on voit nos petites maîtreſſes les plus recherchées ; ſon air, ſon ton enchantoient les yeux ; mais on murmuroit tout bas. Je dis tout haut : adieu la majeſté royale, un jour cette reine verſera des larmes de ſang ſur ſon inconſéquence ; le pronoſtic ne s’eſt que trop réaliſé. Mais l’inconféquence n’eſt pas vice ; elle eſt attachée à la jeuneſſe, et fait ſouvent l’éloge de l’innocence ; une reine doit-elle être exempte de cette innocence ? Les uns diront oui, les autres diront non ; moi je dis que ce qui eſt fait eſt fait, et ne voyons, mes concitoyens ; que l’avenir. Je plains d’autant plus la reine, que peut-être elle n’a aucuns reproches à ſe faire de tout ce dont on l’accuſe contre le peuple français ; elle n’a donc pas de vrais amis ! Tous les écrivailleurs ont écrit contre elle, et perſonne n’a pris la plume pour la justifier, perſonne n’a eu le noble courage de l’avertir de ce qu’elle doit aux Français, de ce qu’elle ſe doit à elle-même dans un moment comme celui-ci ; ſi il y a un des ariſtocrates, des prêtres réfractaires des prétendus patriotes, c’eſt la reine qui les ſuſcite, et toujours la reine. Quoi ! toujours le menſonge groſſier égarera les hommes, fera triompher le vice et maſquera la vérité ! Elle eſt donc bien mal entourée, cette reine qu’il ne ſe trouve pas, dans aucuns perſonnages de ſa cour, aſſez de force, aſſez de loyauté pour lui dire Madame, tous les efforts de la nobleſſe et du clergé ſont impuiſſans, la révolution eſt décidée il faut embraſſer le nouveau gouvernement avec ſes défauts quand il y en auroit il faut embraſſer la cauſe du peuple et vous concilier de nouveau ſon amour ; il faut éloigner de votre cour tous ceux qui prétendent à la contre-révolution il faut écrire vous-même au peuple et ſans ſortir de la dignité qui convient aux ſouverains une reine bienfaiſante peut un moment deſcendre du trône pour témoigner à ſon peuple que ſon bonheur n’eſt aſſuré qu’autant qu’il eſt heureux lui-même, lui déclarer, ſolemnellement, qu’elle ſera la première à défourdir les trâmes qui viendroient à ſa connoiſſance, contre le repos public, et que ſa majeſté doit encore aſſurer ſon peuple de démaſquer, de pourſuivre, comme criminel de lèze-nation et lèze-majeſté, celle, ou celui de ſa cour, qui voudroit, par de fauſſes allarmes, l’induire en erreur. Ses entours ne manqueront pas d’empoiſonner mes obſervations ; mais comme je n’attends rien, que je ne demande rien, et que je ſuis peu propre à faire ma cour au roi, aux citoyens parvenus je dirai la vérité ſans m’inquiéter ſi elle a bleſſé les oreilles de ceux qui ne l’aime pas. J’en vais dire bien d’autres ; le but ſeul de mes écrits ne tend qu’à la tranquillité publique, au bien général, et c’eſt ainſi que je ſervirai toujours loyalement ma patrie.

Mais que font donc nos nouveaux ministres auprès du roi et de la reine, pour n’avoir pas prévenu de semblables observation ? pour n’avoir pas cherché à épurer cette cour qui conſerve encore des vieilles chimères ? et ces chimères loin de lui rendre ſon premier éclat la font baiſſer tous les jours d’un luſtre ? quels charmes a-t-elle donc cette cour pour qu’au bout de trois mois au plus toutes les têtes y tournent ? Les miniſtres ont-ils oublié les intérêts ſacrés qui leur ont été confiés ont-ils oublié la reſponſabilité à laquelle on les a fournis, ont-ils oublié l’eſtime publique qui les a proclamés ? Non, ils n’ont pu l’oublier, et je les en crois encore dignes ; mais comme je l’ai dit, cette cour eſt fatale ; ceux qui la compoſent ſont aimables, inſinuans, ſurtout les femmes, et nos miniſtres ſont des hommes, on en fait bientôt des dieux, et ils le croyent. Le ſalut de l’état eſt entre leurs mains, et il eſt ſi doux de ſe diviniſer ; voilà à-peu-près l’adulation que les courtiſans employent auprès des miniſtres ; mais les tems font changés, et cette vieille politique de cour n’eſt plus de mode. Pour ſe ſoutenir en place aujourd’hui, le ſecret n’en eſt pas merveilleux et l’effort n’en eſt pas pénible : il ne s’agit que d’être impartial et ſincère ; qu’ils n’oublient jamais cette morale, et j’aſſure que tous mourront honorablement dans leur place.

Les projets incendiaires, combinés avec tant d’art par les factieux, et auſſitôt déjoués, ſément l’allarme et perpétuent l’anarchie. Les uns craignent véritablement pour le roi, ſes faux amis viennent à l’appui de cette crainte, et l’on conclut qu’il faut ſouſtraire ſa majeſté à la fureur des deux partis : le roi n’a rien à craindre, et s’il venoit à diſparaître le royaume ſeroit boulverſé, tout ſeroit livré au ſang, aux flammes, et l’état ſeroit perdu ſans reſſources. Mais quelques ſoient leurs atteintes, la malle des bons citoyens eſt trop formidable pour que le roi ſoit en danger ; le roi doit être libre et peu ſans crainte aller dans ſes maiſons de campagne toutes les fois qu’il l’aura décidé. Mirabeau contenoit ces deux partis, en maraudant, dit-on, ſur tous les deux ; il faiſoit ſon profit et celui de l’état pour être fidèle aux principes conſlitutionnels ; ſa véritable ambition était de ramener l’ordre. Il falloit, diſoit-il, dans l’origine, quelqu’un pour graiſſer les roues du chariot populaire, et nous avons trouvé le dindon. Ce dindon n’eſt pas difficile à reconnoître, on dit qu’il recommence encore ſes glapiſſemens, et qu’il chante de nouveau ; ne ſais pas pourquoi il n’eſt pas venu dans l’eſprit de nos graveurs de faire la caricature du dindon couronné ; de toutes ſes dépenſes il ne lui reſte, dit-on, que la rage, et il fomente encore une ſéditon. Le poltron ! le lâche ! peut-il s’aveugler ſur la juſtice, ſur le caractère de l’eſprit français ? peut-il oublier ſon averſion pour les traitres ? peut-il oublier que du ſoir au matin la haine prend la place de l’amour, et quelques ſoient les ſacrifices qu’il a fait de fa fortune, il n’a jamais poſſédé l’eſtime publique, il ne régnera jamais que dans la boue. Comment tout factieux ne frémit-il pas, ne redoute-t-il pas le châtiment que réſerve à ſes attentats la vengeance publique : miſérable ! eſt-ce là les moyens que vous employez pour ſervir la patrie ! des deux côtés elle eſt trahie, des deux côtés elle eſt déchirée et le peuple qui ne fait pas encore diſtinguer ſes vrais amis des traitres qui le trompent ſous un maſque ſpécieux, eſt égaré de nouveau. Je ſais bien que je m’expoſe en parlant ainsi ; le dindon couronné a déjà fait attenter à ma vie, mais il eſt beau de mourir quand on ſert ſon pays.

Quoi, il ne ſera donc pas possible de ramener l’ordre : la nation eſt diviſée, le roi eſt ſans force, le militaire eſt inſubordonné, les chefs bafoués, le général inſulté, le magiſtrat ſans pouvoir, et la loi ſans organe ; tout eſt dans un équilibre épouvantable, le choc peut être terrible, et cependant il eſt tems encore de tout réparer, et de ſauver l’état et les citoyens ; mais il faut par une réunion générale, un concours d’élans patriotiques, ramener le peuple à ſes foyers, à ſes travaux, faire parler la loi dans toute ſa vigueur indiſtinctement pour tous les citoyens, rappeler les fugitifs, engager l’étranger à revenir en France. Hélas ! pour un moment que nous avons à paſſer ſur la terre, laiſſons à nos enfans, à nos neveux les traces d’une conſtitution qui doit aſſurer pour jamais leur bonheur et notre gloire, et ſaisons, s’il nous eſt poſſible, de notre tems, refleurir le royaume.

Voila ce que j’avois à dire ; j’ai dis la vérité telle qu’elle doit être prononcée, sans réſlexions, ſans recherches, ſans m’occuper du ſlyle ; les changemens de ma pièce, la conſtruction de ces préfaces ſont le tems d’un après midi ; ſi j’avois demandé des avis, peut-être aurai-je eue la modeſtie de les ſuivre, mais comme ceux que j’ai ſuivis en deux ou trois occaſions ont été improuvés du public, je m’y préſente comme j’ai toujours fait, avec le déſordre de la nature brute, toujours moi-même et avec toute la ſimplicité de ma parure.

Je ne manquerai pas d’adreſſer cette piéce, avec un double exemplaire, à tous nos miniſtres, en les engageant d’en remettre un au roi et à la reine ; ſi déja ils redoutent la franchiſe, mon franc parler ne les amuſera pas. Cependant M. de Montmorin peut me juſtifier, il ſait que je n’ai pas attendu le droit de dire la vérité ; j’ai oſé la manifeſter avec énergie ſous l’ancien régime, pluſieurs lettres alors de ſa part font ſon éloge et font une preuve de mon patriotiſme. Je n’ai pas été le ſommer de réaliſer ſa bienveillance ; il ne me connoit point, je ne ſuis point ſur le regiſtre des penſions, mon zèle et mon déſintereſſement ſont connus : et j’ai ſacrifié juſqu’à la place de mon fils. Ainſi que mon fils ſoit placé, qu’il ne le ſoit pas, je ne ſervirai pas moins mon pays.

Je ne ſuis point de ces femmes vicieuſes dont les maximes varient comme les modes, qui prêchent la religion quand elle n’a pas beſoin d’appui, qui la détruiſe quand elle n’a plus de ſoutien, qui font la guerre aux morts et aux philoſophes, adulent les vivans, encouragent le crime, et ſacrifient les choſes les plus ſacrées à leur inſatiable ambition à leur égoïſme.

Dans tous mes écrits, j’attaquai Mirabeau comme homme public, moi ſeule peut-être ne l’ai point redouté ; j’ai oſé lui dire que ſi fon cœur étoit auſſi grand que ſon eſprit, l’état étoit ſauvé ; on n’a point oublié cette phraſe dans mon diſcours de l’aveugle ; quand vous tournerez conſtamment votre plume vers le bien, il faudra vous dreſſer des autels. Voilà encore une de mes prophéties accomplies ; il eſt mort, et j’ai fait ſon éloge parce qu’il n’eſt plus.

Vous, Français, qui m’allez lire, quelque ſoit le peu de goût que vous prendrez à cette lecture, apprenez à me connoître et vous rendrez juftice à mes principes ; je finirai par vous recommander, pour vos propres intérêts, d’affermir, d’aſſurer votre roi ſur le trône, et de craindre le ſort des grenouilles de la fable.


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