Garnery (Comédie en un actep. 10-13).


Scène II

HENRI IV, DESILLES.
Henri IV.

Viens, jeune et brave Desilles, éloignons-nous de toutes ces ombres, dont la présence trouble la douceur de nos entretiens. Louis XIV s’irrite aux récits que tu nous fais des grands changemens que tu as vu s’opérer en France. Parle-moi pour moi seul, j’en aurai plus de plaiſir. Parle-moi de ce bon peuple Français ; de mon petit-fils, de vos législateurs, de cet incomparable Maribeau, dont tu nous as fait un si grand récit.

Desilles.

Cher Henri, idôle de la France ! ce peuple, toujours cher à ta mémoire, voit encore en toi ton petit-fils qui marche sur tes traces. Les Français, en extirpant tous les abus qui entouroient le trône, ont rendu à leur monarque sa véritable existence. Mirabeau, Mirabeau surtout a développé ce grand principe si important au salut de l’état. Le Peuple et le Roi ; voilà ses maximes. Point d’intermédiaire entre ces deux puissances.

Henri IV.

Que ce récit m’intéresse ; mais que je crains les effets de ces innovations. Je ſais à quel degré le fanatiſme peut pousser sa vengeance. En vain J. Jacques & Voltaire nous donnent ici de grandes espérances fondées sur leurs immortels écrits, je ne puis vaincre mes inquiétudes.

Desilles.

On n’est donc pas exempt aux Champs-Elisées de tout pénible souvenir ? Quant à moi, je n’y ai ressenti jusqu’à présent qu’une douce paix.

Henri IV.

Dans ce séjour, mon fils, nous conservons l’empreinte de notre caractère primitif ; et telle est, mon ami, la cause de ces rapports frappans que l’on trouve entre les grands hommes nés à des époques souvent fort éloignées. Après plusieurs siècles de repos, chacun de nous revient à la vie : mais notre génie ne change jamais : nos goûts, nos humeurs sont constamment les mêmes ; ainsi tu ne trouveras pas ici l’ombre de Louis XII ; le père du peuple, ni celle de l’orateur grec Demoſthènes. Toutes les deux sont en ce moment sur la terre. Le Destin a rendu à Louis XII sa couronne sous le nom de Louis XVI, et à ton cher Mirabeau, la sagacité, la profondeur et l’éloquence de cet orateur athénien, également célèbre par son amour pour la patrie, et par ſa haine déclarée pour les factieux.

Desilles.

Ah ! je le reconnois à ces traits.

Henri IV.

Mais toi, brave Desilles, ne sais-tu pas encore quel homme tu as été avant de porter ce nom ? Rappelle-toi donc ton analogie avec ce jeune romain qui, pour sauver sa patrie, se précipita tout armé dans le gouffre qui s’étoit ouvert au milieu du Forum.

Desilles.

Oui, je me rappelle à présent tout ce que je fus. Le Destin m’a choisi, sans doute, pour les actions d’éclat. Je ne me plains pas de mon sort. Puissai-je toujours terminer de même ma carrière. Pour, toi Henri, le modèle des bons rois, on n’a pas ignoré même sur la terre, qu’avant d’être Henri IV, tu étois Titus… Mais quelle est cette rumeur parmi les ombres.

Henri IV.

J’apperçois Voltaire et Rousseau qui s’approchent de nous ; sachons ce qu’il y a de nouveau.