Mémoires d’un cambrioleur retiré des affaires/Partie 1/Chapitre XV

Éditions Albin Michel Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 138-145).

XV

où le hasard se met une fois de plus de la partie

Vous n’attendez point, n’est-ce pas, que je vous décrive par le menu les diverses phases de cette nouvelle lune de miel…

Elle fut ce qu’elle est ordinairement dans ces rabibochages amoureux : ardente, enivrante, affolante…

Édith repentante sut racheter ses torts et se les faire pardonner… Elle arriva même, pendant quelques jours, à me faire oublier le Régent.

Hélas !… il fallut vite déchanter !

Un beau matin, en fouillant dans mon portefeuille, je m’aperçus qu’il n’y restait plus qu’une pauvre petite banknote de cinq livres…

Nous avions vécu, ma maîtresse et moi, sur ce qu’elle avait conservé de mes deux mille francs et aussi sur la bourse du Révérend Patterson. Il fallait absolument que je trouvasse de l’argent. Un cambriolage seul pouvait me tirer d’affaire, mais je dois dire que le souvenir de ma dernière expédition me rendait très circonspect.

Je n’osais pas avouer ma gêne à Édith, car les femmes, si aimantes soient-elles, acceptent assez mal ces confidences.

Je résolus, encore une fois, de m’en remettre au hasard. J’annonçai à ma maîtresse que je serais absent toute la journée…

Édith me regarda d’un air tout étonné :

— Eh quoi, dit-elle, voilà que vous m’abandonnez déjà ?

— Pour jusqu’à ce soir seulement, chérie… il faut absolument que j’aille chez un de mes oncles qui habite Richmond…

— Et cela vous a pris tout d’un coup… vous ne pouvez pas remettre cette visite ?

— Non, Édith… c’est très sérieux… il s’agit d’une question d’argent…

— Oh ! alors, allez… Il ne faut jamais, Edgar, remettre ces visites-là… Mais, au fait, j’y songe, je pourrais bien vous accompagner… il y a longtemps que j’ai envie d’aller à la campagne… Pendant que vous vous rendriez chez votre oncle je vous attendrais quelque part.

— Non, Édith… cela est impossible… mon oncle est très formaliste… S’il apprenait que l’on m’a vu à Richmond, en compagnie d’une femme, il ne me recevrait plus.

— C’est donc un clergyman, votre oncle ?…

— Non… c’est un magistrat… un coroner.

Édith n’insista plus.

Je l’embrassai et partis.

Où allais-je ? Je n’en savais rien.

Je venais d’atteindre Fleet Street, rue très fréquentée, comme on sait, et je m’étais engagé sur la chaussée pour changer de trottoir, quand une grosse dame, qui marchait devant moi, glissa soudain sur l’asphalte humide et, avec un bruit mat, s’étala sur le sol.

Galamment, je l’aidai à se relever, mais elle avait dû se blesser en tombant, car elle était incapable de mettre un pied devant l’autre.

Aidé de deux aimables citoyens, je la transportai chez un pharmacien et disparus prestement. J’étais, en effet, très pressé de voir ce que contenait le petit sac à main que j’avais, sans qu’elle s’en aperçût, subtilisé à la dame, et enfoui dans la poche de côté de mon pardessus.

Ce ne fut qu’au bout d’un quart d’heure, dans l’allée déserte d’un square, que je pus enfin satisfaire ma curiosité.

Pour une fois, j’avais eu la main heureuse. Le sac contenait exactement quatre billets de cinquante livres et deux de dix… au total deux cent vingt livres… La grosse dame était une propriétaire du nom de Dorothy Coxcomb. Une petite note épinglée à l’un des billets indiquait l’usage qu’elle voulait faire de son argent… et je dois reconnaître que ce placement était absolument ridicule, car les valeurs qu’elle se proposait d’acheter sombrèrent deux mois après, lors du fameux krach de la Banque Tymson and Co. De toute façon, la grosse dame eût été refaite et il valait encore mieux que ce fût Edgar Pipe qui profitât de son argent, plutôt que des banquiers sans scrupules qui sont la honte du Royaume-Uni et dont les victimes se comptent par milliers.

Je jetai le sac dans un massif et plaçai soigneusement les bank-notes dans mon portefeuille qui n’était plus habitué à recevoir pareils locataires.

Ce que c’est que l’argent, tout de même, et quelle heureuse influence il exerce sur notre esprit ! Il n’y a qu’un instant, tout me paraissait gris et triste, maintenant, je voyais tout en rose et j’avais une envie folle de sauter, de gambader, de me jeter au cou des gens dans la rue.

Bien entendu, au lieu de continuer à marcher à l’aventure, je rentrai chez moi — ou plutôt chez Édith.

Elle s’apprêtait à sortir.

— Comment ? dit-elle, vous voilà déjà ?

— Vous voyez… j’ai eu la chance de rencontrer mon oncle dans Fleet Street et cela m’a épargné la peine d’aller à Richmond.

― Vous paraissez tout joyeux…

— Le plaisir de vous revoir, Édith…

— Vraiment ?

— Pouvez-vous en douter ?

Je ne sais si Édith crut à la sincérité de mes sentiments ; en tout cas, si elle pouvait avoir des doutes à ce sujet, elle n’en laissa rien paraître.

Je l’emmenai à Regent’s Park, puis de là chez Monico, dans Piccadilly.

Nous allions mener la grande vie pendant quelques jours, puis, je partirais pour la Hollande.

Je m’étais bien gardé de dire à Édith que j’avais sur moi un diamant de plusieurs millions, cependant, un jour ou plutôt une nuit, elle avait failli le découvrir. J’avais placé le Régent dans la petite poche de côté de ma chemise de flanelle et ma maîtresse l’avait, par hasard, senti sous sa main.

— Tiens demanda-t-elle, qu’est-ce que vous avez là, Edgar ?

— Oh ! rien… répondis-je…

— On dirait une petite pierre.

— C’en est une, en effet…

— Un souvenir ?

— Non… un fétiche…

Édith éclata de rire.

— Eh quoi ? dit-elle, vous êtes comme les nègres… vous avez sur vous un gris-gris.

— Vous le voyez.

— C’est curieux… Je ne vous aurais pas cru si superstitieux.

— Que voulez-vous, Édith, on ne se refait pas.

— Et sérieusement… vous croyez au pouvoir de cette amulette ?… Vous a-t-elle déjà porté bonheur, au moins ?

— Mais oui, Édith, puisque après vous avoir perdue, j’ai eu la joie de vous retrouver.

— Grâce à votre gris-gris ?

— Grâce à mon gris-gris.

— Et comment est-ce fait, cet objet-là ?

— Je vous l’ai déjà dit, c’est une simple pierre, mais une pierre qui ne vient pas des régions terrestres…

— Je crois, Edgar, que vous vous moquez de moi, fit Édith en me donnant une petite tape sur la joue.

— Mais non… je vous assure… Vous avez bien entendu parler des aérolithes ?…

— Non… qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ce sont des pierres… des pierres qui tombent du ciel…

Édith n’était pas très convaincue. Elle me regardait avec méfiance, mais n’osait mettre en doute ma parole…

— En effet, conclut-elle. Si ces pierres tombent du ciel, comme vous dites, elles doivent évidemment porter bonheur… Montrez-moi donc un peu comment c’est fait ces pierres-là ?

— Une autre fois, Édith… Mon gris-gris est cousu dans une double enveloppe très dure… c’est toute une affaire que de le développer… Je vous promets de vous le montrer demain…

— Vous m’en donnerez bien un petit morceau ?

— Si vous y tenez…

— Bien sûr que j’y tiens… une pierre qui vient du ciel !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Édith était tenace et je savais bien qu’elle ne me laisserait point de répit que je ne lui eusse donné un morceau de mon amulette.

Je me procurai donc un caillou quelconque que je lui présentai le lendemain.

Oh ! ce n’est que cela, s’écria-t-elle. Ce n’est pas bien beau… Enfin, puisque ça porte chance.

Je cassai le caillou au moyen d’un marteau et j’obtins ainsi deux éclats. J’en donnai un à ma maîtresse et serrai l’autre précieusement dans le petit sachet d’où j’avais préalablement enlevé le diamant.

J’avais mis le Régent dans mon porte-monnaie, mais il était indispensable que je trouvasse une cachette plus sûre, car Édith, curieuse comme toutes les femmes, ne manquerait certainement pas de le découvrir…

Où le mettre, grand Dieu !

J’eus l’idée de le coudre dans la doublure de mon gilet ou dans la ceinture de mon pantalon, mais j’y renonçai… la doublure pouvait se déchirer, s’user au frottement, et je risquais de perdre mon trésor.

Je songeai aussi à le dissimuler, dans notre chambre, sous une lame de parquet, à l’introduire entre deux briques de la cheminée ou à le loger tout en haut de l’armoire à glace, mais je reconnus que ces cachettes n’offraient aucune sécurité. Une bonne de l’hôtel pouvait le découvrir, et il était à présumer qu’elle ne m’aviserait point de sa trouvaille.

Et pourtant, il fallait le dissimuler, coûte que coûte.

Le lecteur s’étonnera sans doute de ce surcroît de précautions et se demandera probablement pourquoi je n’avais point jugé à propos de tout révéler à Édith.

Hélas ! l’expérience m’a appris que les femmes sont incapables de garder un secret. De plus, je ne pouvais avouer à ma maîtresse, qui me croyait un gentleman, que je n’étais qu’un vulgaire cambrioleur.

Édith avait des principes. Elle se disait la nièce d’un pasteur, et bien qu’elle eût suivi une voie que la morale réprouve, elle n’en demeurait pas moins très « honnête » — au sens large du mot. Elle n’admettait point que l’homme qui doit, en toute chose, donner l’exemple à la femme, pût se laisser aller à commettre une mauvaise action, même pour conquérir la fortune.

Je suis certain que si à cette époque Édith avait su quel genre d’individu j’étais, elle m’eût immédiatement dénoncé à la police.

Plus tard, elle en arriva heureusement à changer d’avis, mais n’anticipons pas !… Il y avait là, n’est-il pas vrai ? un curieux cas psychologique, une mauvaise interprétation des conventions sociales, mais le rigorisme ridicule de cette petite perruche est commun à nombre d’Anglaises.

En France, j’en ai fait la remarque, les femmes sont beaucoup plus indulgentes, et aussi plus justes. Si elles aiment un cambrioleur, elles arrivent assez facilement à se laisser endoctriner par leur amant et se gardent bien de le dénoncer, surtout s’il leur procure, grâce à sa petite industrie, une vie facile, exempte de soucis, des toilettes et des bijoux.

La générosité, d’où qu’elle vienne est toujours une qualité très appréciée des femmes et elles pardonnent tout à celui qui donne beaucoup.

Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens, dit un proverbe français, et rien n’est plus vrai.

Certes, si tout le monde était honnête sur terre, il serait criminel de raisonner ainsi, mais quand on voit, chaque jour, des aigrefins ruiner des milliers de gogos, il n’est pas téméraire d’admettre que le cambrioleur est bien moins méprisable que ces gens-là.

Je ne reviendrai plus sur ce sujet, que j’ai déjà sommairement traité, mais que l’on me permette une dernière réflexion que je crois nécessaire. Il y a deux catégories de cambrioleurs ceux qui opèrent en petit et ceux qui opèrent en grand.

Les premiers, qui dévalisent ordinairement des chambres de bonnes et de modestes logements de travailleurs, n’ont droit à aucune indulgence, et si j’étais juge, je les « salerais » sans pitié.

Les seconds, ceux qui ne s’en prennent qu’aux riches (et je m’honore d’appartenir à cette catégorie), ne causent en somme qu’un préjudice insignifiant à leurs victimes. C’est, en réalité, une sorte d’impôt sur le revenu qu’ils prélèvent, indûment, j’en conviens, mais qui m’objectera que les taxes votées par les Chambres soient toutes équitables ?

Ceci dit, je reviens à mes moutons qui s’étaient, je crois, un peu égarés.

Ma seule préoccupation pour l’instant était de dérober mon diamant aux yeux d’Édith tout en le conservant sur moi.

Le problème était délicat, et m’occupa l’esprit pendant de longues heures.

J’imaginai les moyens les plus stupides, les plus extravagants… J’envisageai même comme dernière ressource l’ingestion quotidienne du Régent !!!

Furieux de ne trouver aucune solution, je donnai soudain un grand coup de talon sur le parquet… Aïe !… un clou qui se trouvait dans ma bottine m’entra dans les chairs et me causa une douleur atroce… J’ôtai aussitôt ma chaussure, et me mis, avec le pied d’une chaise, à aplatir ce clou malencontreux.

Pendant que je me livrais à cette opération, une idée que je qualifierai de lumineuse m’était venue tout à coup à l’esprit.