Lucette, ou les Progrès du libertinage/02-13

CHAPITRE XIII.

Où Lucette reçoit ce qu’elle mérite.


Notre héroïne gémiſſoit depuis trois jours dans ſa triſte priſon, quand on vint l’en retirer. Elle ſe ſentit renaître ; elle crut qu’on alloit lui rendre ſa chère liberté ; ſa joie s’évanouit bientôt. Elle frémit, ſe troubla, lorſqu’elle ſçut qu’on la conduiſoit dans cette Maiſon où ſes pareilles arrivent tôt ou tard ; dans ces lieux où plus d’une Belle va faire ſouvent pénitence des plaiſirs qu’elle a ſouvent prodigués.

Comme on l’entraînoit à la Salpêtrière, elle apperçut une troupe de Soldats qui entouroient un jeune homme, bien & dûment garotté. Elle frémit ſans ſçavoir pourquoi, & le conſidère plus attentivement. Quel fut ſon déſeſpoir en reconnoiſſant Monſieur Lucas. Elle jetta un grand cri. Le malheureux qu’on amenoit leva la tête ; & fut ſaiſi de douleur quand il vit ſa chère, l’infortunée Lucette, dans un état auſſi triſte que le ſien. Ils ſe conſidèrent un inſtant ſans avoir la force de parler. Faiſant un eſſort ſur eux-mêmes, s’efforçant de rappeller leurs eſprits, ils demanderent avec tant d’inſtance, avec une telle effuſion de larmes, qu’on leur permît de ſe dire peut-être le dernier adieu, que les cœurs durs qui les environnoient ne purent s’empêcher de s’attendrir.

Il me ſeroit impoſſible de rapporter ici ces mots entrecoupés, ces expreſſions de la triſteſſe, dont ſe ſervirent & Lucas & Lucette, Qu’ils maudirent leurs fautes légères qui les avoient conduits dans de plus grandes ! Qu’ils regrettèrent le ſéjour de la campagne où ils vivoient en paix, où leur ſeul crime étoit de s’aimer ! Ils s’égarèrent au Village, ils ſe perdirent dans la Ville. Une ſcène ſi touchante arracha des pleurs à tous ceux qui en furent témoins. Le Libertin conſommé rira peut-être du tableau attendriſſant que je préſente ici. Plaignons-le, s’il ignore la douceur de s’intéreſſer au ſort des malheureux. Par quelle ſingularité l’homme eſtimable, l’homme vertueux ne peut-il refuſer des larmes au vice juſtement puni ?

Lucette ſe reſſouvint enfin de lui demander pourquoi on l’enchaînoit comme un criminel ? « Hélas ! lui répondit-il, ce qui m’arrive n’eſt que trop commun. J’ai commencé par être joueur, & je finis par être eſcroc. Je n’ai pas été aſſez fin ; on m’a pris ſur le fait, on me conduit à Bicêtre, où j’aurai tout le tems de me repentir de mes folies. N’oubliez pas, ma chère Lucette, un amant qui vous aimera toujours ». Il en auroit dit davantage ; mais on les contraignit de ſe ſéparer. En s’éloignant l’un de l’autre, ils tournoient ſouvent la tête, levoient les bras au Ciel ; ils ſe cherchoient encore lorſqu’ils s’étoient perdus de vûe.

Notre héroïne arriva dans la triſte demeure qu’elle étoit condamnée d’habiter. Elle en connut bientôt toute l’horreur. On lui coupa d’abord ſes beaux cheveux qu’elle chériſſoit tant ; on lui raſa la tête. Elle fut obligée de ſe vétir d’un habit de Sœur-Griſe, de porter une grande coîffe qui lui tomboit ſur les yeux. On la força de travailler de ſes mains délicates à des ouvrages rudes & groſſiers.

La malheureuſe Lucette gémit ſur ſes fautes ; elle ſe repent d’une vie paſſée dans les plaiſirs ; elle éprouve à quoi nous conduiſent ſouvent les progrès du libertinage.


FIN.