Lucette, ou les Progrès du libertinage/01-08

CHAPITRE VIII.

Déclaration d’amour.


Qu’une jolie fille dérange de cervelles ! À peine Lucette eſt-elle au château, qu’il s’y fait un changement extraordinaire. Le Financier devient poli, complaiſant. Il y a grande apparence qu’il n’auroit pas bruſqué un pauvre diable qui ſeroit venu implorer ſa protection. Les concerts faiſoient bâiller, malgré qu’on les aſſaiſonnât d’ariettes divines. D’Arneuil réfléchiſſoit. L’Abbé ſe rendoit ſupportable ; & le valet-de-chambre n’étoit plus ſi fat. Pour Lucas, ce payſan que Lucette enflammoit auſſi, ſon ouvrage l’impatientoit, & chaque ſoir, en revenant des champs, il paſſoit près du château, & ſe détournoit quelquefois d’une demi-lieue.

Notre héroïne s’apperçut du pouvoir de ſes charmes ; elle n’en fut pas plus orgueilleuſe. Elle commença de ſourire à l’un & à l’autre ; elle jettoit des regards languiſſans qui encourageoient, mais elle arrêtoit bientôt le téméraire. Si la comparaiſon n’étoit pas trop magnifique, je dirois qu’elle reſſembloit à Minerve : la Déeſſe a les attraits de Vénus ; mais ſon air fier & ſon équipage guerrier effrayent ſouvent les Amours.

Nos galans du château furent obligés malgré eux de faire les paſſionnés. Rien de ſi plaiſant que de les voir filer le parfait amour. Ils dreſſent leur batterie ; ils préparent toutes leurs forces pour emporter une place rebelle : ils réſolurent, chacun dans leur particulier, de faire leur déclaration.

Le valet-de-chambre, que ſon état approchoit plus ſouvent de Lucette, fut le premier qui lui prononça ſa harangue. « Beauté divine, lui dit-il, » mon cœur vous trouve toute adorable. J’ai déja perdu les trois quarts de mon embonpoint. Il ſeroit infâme de cauſer la mort d’un homme tel que moi. Jettez ſur ma perſonne un regard délicieux ; plongez-moi dans une douce extaſe, de laquelle je ne ſortirai que pour y retomber de nouveau. Je vous jure l’amour le plus tendre, le plus brûlant, que deux beaux yeux aient jamais fait naître. » Lucette avoua, en rougiſſant, qu’elle n’entendoit rien à ce diſcours. Le valet-de-chambre alloit ſe rendre intelligible ; mais il reçut ordre de ſe rendre auprès de ſon maître. L’Abbé le remplaça. « Morbleu, s’écria-t-il, je t’adore, je te l’ai déja dit ; j’aime à te le répéter. Ma foi, Lucette, je te trouve un morceau digne d’être croqué par un Roi. Ne fais plus la difficile : tiens, goutons enſemble le vrai bonheur ; je trouve que tu vaux bien un breviaire ; il me procure un gros revenu, & toi, tu peux donner du plaiſir. Ne fais pas l’enfant, arrangeons-nous ».

Monſieur l’Abbé étoit preſſant, Lucette ne ſçavoit que répondre ; & une fille qui ſe tait dit beaucoup. Frivolet croyoit déja convertir cette brebis égarée. D’Arneuil vint troubler le tête-à-tête : il cherchoit Lucette, & le hazard le conduiſit. Il plaiſanta l’Abbé, qui ſortit en pirouettant.

Charmé d’avoir le champ libre, le Marquis regarda tendrement Lucette, & lui parla ainſi, pour tâcher de l’adoucir en ſa faveur : « Mon ange, vous êtes trop méchante : ce n’eſt pas l’uſage. Vous ſerez au mieux quand je vous aurai donné des leçons ſur le bel air : l’Opéra vous formeroit, je veux vous y mener. Oh ! ça, ma reine, ſoyez ſûre que je ſuis fou de vous ; en honneur, je vous aime : vos deux yeux fripons m’ont troublé, anéanti. Vous êtes raviſſante : vous me ſerez chere juſqu’au tombeau. »

Lucette lui répondit, en bégayant, qu’il lui faiſoit bien de l’honneur, qu’il avoit bien de la bonté ; & qu’elle vouloit toujours être ſage. Le Marquis éclata de rire, & ſortit, après lui avoir donné un baiſer léger. Il craignoit d’être ſurpris par quelqu’un des gens de Mondor : puis l’heure du dîner étoit venue.

Lucette alla rendre viſite à ſa mere. Les ſermons recommencerent ; elle lui promit de vivre honnêtement : elle lui conta qu’elle étoit très-heureuſe, & qu’elle avoit fait vœu de ſageſſe. La bonne femme pleura de joie ; mais il ne faut jurer de rien.

En ſortant de chez ſa mere, elle rencontra Lucas : elle l’encouragea par un doux ſourire. Il avoit auſſi réſolu de découvrir ſon amour ; il profita de l’occaſion. « Pardonnez-moi, lui dit-il, ſi j’oſe vous déclarer que je ne fais plus que ſonger à vous. Je ſens dans ma poitrine un feu qui me brûle, & ce feu-là, Mademoiſelle, c’eſt vous qui l’allumez : je crois, ſi c’étoit votre bonté, que nous ferions un fort bon ménage. Je ſuis brave garçon, vous êtes une belle fille : que nous manque-t-il ? Je ne ſommes pas riches, qu’importe ? on travaille, & l’on gagne. Je ne ſuis pas un grand Seigneur : oui ; mais j’aimons autant qu’eux ; ils ſont foibles, & moi je ſuis robuſte. Partant, je dois avoir la préférence. D’un ſeul mot vous pouvez me ravigoter, ou m’accabler de chagrin. » Lucette lui dit qu’il falloit prendre patience, qu’elle ſongeroit à ſes propoſitions. Le pauvre Lucas penſa mourir de joie : il fit mille folies ; il conduiſit Lucette au château, & fut perſuadé qu’elle ſeroit un jour ſa ménagere.

Lucette apprit en arrivant que Mondor l’avoit demandée pluſieurs fois : elle courut recevoir ſes ordres. Le Financier étoit ſeul ; l’Abbé & le Marquis étoient à uſer du plomb & de la poudre : il s’étoit ſervi du prétexte de ſon embonpoint pour ne pas les ſuivre. Il fit aſſeoir Lucette, qui obéit, après quelques façons, & qui éloigna ſa chaiſe du dangereux Midas.

« Je veux faire votre fortune, lui dit Mondor ; vous méritez mes bontés : votre œil pourroit troubler toute la Compagnie des Indes. Je veux acheter une action ſur votre jolie perſonne. J’ai calculé vos charmes, ils valent beaucoup, le nombre en eſt grand. Ne faites point de ſouſtraction, acceptez mon cœur, & je vous jure, comme trois & quatre font ſept, que je ſerai toujours votre très-humble ſerviteur, Mondor. » Après ce beau diſcours, notre Financier s’attendoit à une réponſe favorable : on l’aſſura qu’on ſeroit toujours prête à lui obéir en tout ce qui n’éloigneroit pas de la ſageſſe-, & on fit, en ſe retirant, une profonde révérence.

Il faut avouer qu’une jeune perſonne, élevée dans de certains préjugés, eſt rudement difficile à ſoumettre : j’eſpere que le Lecteur conviendra de cette vérité, & qu’il eſtimera mon héroïne. Je ne lui en préſente point une vulgaire. Ce Chapitre ſert à prouver combien les hommes ſont fous, & combien l’amour fait dire de ſottiſes.


Vignette fin de chapitre
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