Thérien Frères Limitée (p. 131-137).


LE P’TIT BOIS DE MASKA


Mes enfants, je connais un bois, un bois joli, comme dit la chanson, c’est le bois de Maska.

C’est le dernier refuge de toutes les féeries et sorcelleries du pays si j’en crois les récits des anciens de ces lieux que j’écoute souvent ressasser leurs souvenirs de jeunesse.

Ce fameux petit bois est situé entre les deux villages, Saint-François du Lac et Yamaska, et il s’y passait dans un autrefois assez rapproché, d’étranges choses vraiment et qui ont été vues, comprenez-vous, par des vieillards que vous offenseriez en doutant de leur parole, car tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont incapables de mentir. D’ailleurs, moi aussi, j’ai vu des choses ! ! !

Ils prétendent donc que leur bois fut, autrefois, rempli de loups-garous et qu’ils étaient gardés par des diablotins vêtus de rouge, coiffés de bonnets noirs et pointus, ils n’étaient pas plus longs que le bras et ils étaient très actifs. C’étaient les « Torons » et ils étaient chargés d’empêcher les loups-garous de rôder par les villages.

Il ne leur suffisait pas de se rendre utiles ; en vrais petits diables, ils prenaient plaisir à jouer des tours pendables à ceux qui traversaient le bois ; ils décrochaient les attelages, tiraient l’essieu des roues, piquaient les chevaux pour les affoler : étant invisibles, ils avaient de la marge et employaient tout leur esprit à être malfaisants.

Les chasseurs que le gibier attirait dans ces bois, ne trouvaient pas de caches assez sûres pour conserver leurs provisions : ces misérables goinfres qu’étaient les « Torons » s’emparaient de tout ce qui pouvait se manger !

On se demande encore comment ces petits nains pouvaient absorber tant de nourriture !

À l’entrée du Bois, il y a encore un petit torrent traversé par un pont qui en vit de belles dans le temps !

Le gardien de ce pont était un immense Coq-Dinde, espèce d’employé des Torons, chargé de veiller à leur sûreté.

Les Torons s’amusaient jour et nuit à danser et à se culbuter sur le pont : au moindre bruit suspect, le Coq-Dinde donnait le signal de la fuite : en un clin d’œil, ils étaient loin !

Le Coq-Dinde restait là. Plusieurs le virent et ils prétendirent que des voitures gardèrent la marque de sa grosse patte en feu ainsi qu’une odeur de roussi que rien ne put faire disparaître.

Inutile de vous dire qu’il y eut beaucoup d’accidents sur ce petit pont et les gens avertis ne s’y aventuraient pas la nuit.

Moi, mes enfants, je n’ai jamais vu les Torons, la raison en est simple : ils ne supportent pas la lumière et je ne puis regarder qu’en éclairant.

Mais il restait bien des choses à surprendre dans ce fameux bois ! Je vis souvent la Chasse-Galerie et l’une d’elles m’a laissé un vif souvenir.

Ce soir-là, j’entendis distinctement le bruit spécial des avirons remuant l’eau, qui précède l’apparition de la Chasse-Galerie… le long canot, conduit par six rameurs, vint à grande allure, glissant dans le ciel comme les avions de nos jours, mais sans moteur celui-là ! À ma stupéfaction, il ralentit à l’approche de la forêt et vint atterrir au sommet des gros arbres, et je vis un jeune homme, en chair et en os, descendre, s’accrocher aux branches et dégringoler comme un singe.

Il prit le chemin de Saint-François et je pus le suivre jusqu’à la maison où il entra.

Il fut accueilli chaleureusement par une robuste et grosse fille qui voulait absolument qu’il fût une apparition quand il lui apprit par quelle voie il était venu des chantiers du Nord où elle le savait rendu depuis quelques jours.

Au cours de sa visite qui fut courte, il découpa avec des ciseaux un petit carré de toile dans le tablier de sa blonde, « afin, dit-il en riant, que tu aies la preuve que je suis bien vivant, quand je reviendrai par le chemin du roi ».

Je ne sais s’il s’en retourna dans le canot endiablé, car je fus obligée de continuer ma course, mais chaque fois que la jeune fille me regardait les soirs suivants, j’essayais de lui faire comprendre que son ami n’était pas recommandable, et qu’elle ferait mieux de lui interdire la porte de sa maison et celle de son cœur.

J’appris par la suite qu’il était revenu aux Fêtes, avec le petit carré de toile qui s’ajustait au tablier, et qu’elle lui avait donné son congé. C’était plus prudent.

Il n’y a, de nos jours, dans le P’tit Bois de Maska que des perdrix et des amoureux ; ils ne sont pas dangereux, mais si toujours pareils que je ne perds pas mon temps à les regarder !