Thérien Frères Limitée (p. 117-129).


LES AVENTURES D’UN
MOINEAU


Un soir que je m’ennuyais à mourir, toute rapetissée et pâle dans un ciel couvert de nuages, qui, à tout instant, m’enveloppaient de leurs voiles sombres, je me trouvai près d’un orme au sommet duquel un moineau dodu et éveillé surveillait l’horizon : tourné de mon côté, il me parut disposé à bavarder. Je vous l’ai dit, je ne savais que faire de moi. Et la conversation s’engagea :

— Hé là ! pauvre Lune, tu n’es pas réjouissante, ce soir.

— C’est que je m’embête royalement dans toute cette mousseline noire !

— Signe de pluie ! répond l’imbécile, gravement… mais moi, la pluie, le soleil, cela m’est égal ! J’ai un bon gîte et j’ai fini de me donner de la misère !

— Tu n’as pas toujours été aussi sage, je suppose ? Rien comme des ailes pour donner le goût des aventures ! Si j’en avais !… Hélas, je n’eus jamais la moindre aventure et je ne puis jouir que de celles des autres ! Dis donc, moineau ! Si tu me racontais les tiennes ! J’ai promis des contes à de bons enfants que j’endors tous les soirs ; franchement, pour ce treizième conte, je ne trouve rien de rien !

Complaisant, l’oiseau me raconta ses aventures ; je lui laisse la parole :

Je naquis un matin de printemps alors que les fleurs s’ouvraient, et qu’à la pointe de chaque feuille nouvelle perlait une goutte de rosée. Mes parents habitaient un nid bâti tout au haut des tours de Notre-Dame, dans une petite niche bien à l’abri.

Ils n’étaient pas riches, mes parents ; mon père, un simple moineau de Montréal, avait connu la misère, mais c’était un philosophe et il avait conservé sa gaieté et même un peu de gaminerie que j’attrapai de lui dès que j’eus pris de la connaissance. Ma mère était une maman bien tendre ; ils faisaient bon ménage tous deux et ils s’étaient aimés à travers les jours mauvais : jours de pluie, noirs, ou jours de neige blanche qui sont pour les oiseaux des jours de famine. Ces jours-là on se blottit les uns contre les autres, on se serre pour avoir plus chaud et moins faim. « Qui dort dîne », disent les hommes. Nous avons souvent dîné de cette déplorable et frugale façon.

J’atteignis ainsi mes premières plumes. Venu le dernier au nid familial, j’étais gâté et choyé par ma mère qui répétait à tout venant que j’étais le plus joli et le plus intelligent de tous les moineaux ! Je le croyais ferme.

Quand j’appris à voler, j’eus bien peur. Je regardais les oiseaux se poursuivre, raser les toits, filer dans l’air, les ailes étendues et immobiles ; je les enviais mais je n’osais me risquer.

Mon père me traitait de poltron et ma mère lissait doucement mes plumes en disant : « il est si petit ! »

Enfin, un jour, je me laissai aller : fermant les yeux, je m’élançai. Je me crus perdu, d’abord, mais doucement je touchai terre, et secouant mes ailes, je vis que je n’avais rien de cassé.

Huit jours après cette expérience, j’étais devenu le plus vagabond des moineaux ; je me donnais mille prétextes pour m’éloigner de la maison et aller gaminer dans la rue.

J’eus bientôt des amis louches qui m’entraînèrent avec eux et me bourraient de mauvais conseils. Je les suivais, je me faisais battre par les honnêtes oiseaux que j’attaquais, et, insensible aux reproches de mes parents, je faisais leur désespoir.

Un soir, je ne revins pas au logis : je devins voleur, gourmand et cruel : un mauvais sujet comme le deviennent ceux qui abandonnent leurs parents et se libèrent de toute règle. Je commençai alors une vie d’aventure dont je m’estime heureux d’être sorti avec mes deux pattes et une bonne partie de mes plumes !

Il m’arriva d’être capturé et mis en cage par un gamin ; comme il était étourdi, il oublia de fermer la porte de ma prison et je pus m’enfuir.

Un autre jour, je dérobai un morceau de pain chez une hirondelle. Pris sur le fait, je fus battu et plumé par le couple furieux. Je ne finirais pas de vous conter mes mauvais coups.

Le printemps avait fait place à l’été qui, à son tour, avait fui devant l’automne.

Le vent dépouillait les arbres, les nuits étaient froides et je commençais à trouver que ma vie vagabonde n’était pas toujours agréable ! je regardais les champs jaunis, toutes les feuilles que le vent arrachait à mes refuges, et je n’étais pas gai, quand soudain, un bruit formidable éclata : il me sembla être entouré de feu et de fumée. Mes plumes s’éparpillaient ; qu’était-il arrivé ? Je restais là, étourdi, tremblant, n’osant bouger. C’était un chasseur qui, ne trouvant pas de gibier, avait tiré sur moi pour se distraire ! C’était heureusement un maladroit !

Dès que je fus un peu remis du choc, je m’envolai vers un fourré pour m’y cacher. Je ressentais une vive douleur à l’aile droite et quand j’aperçus du sang, je me crus blessé à mort.

Je me baignai dans une mare, et frissonnant, craintif, je cherchai un refuge contre les chasseurs et les chiens dont les aboiements remplissaient la forêt.

Ah ! que je regrettais le vieux nid caché dans la tour, inaccessible à tous ces monstres !

Enfin, j’aperçus au creux d’un arbre, un trou rempli de feuilles sèches, je m’y blottis et je fermai les yeux, malade de fièvre, de froid et d’ennui !

Je fis des rêves affreux : je me voyais jeté dans une casserole pour y rôtir, et pendant que je brûlais dans le beurre roussi, mes ennemis, sur le bord de la casserole, chantaient, en battant la mesure de leurs ailes dont le mouvement attisait le feu. Ou bien, je me voyais au bout d’un fusil, m’émiettant en petits morceaux emportés par le vent !

Quelle nuit ! Quelle nuit ! Quand, au matin, je m’éveillai, la terre, à perte de vue, était blanche. Les champs disparaissaient sous l’étrange tapis blanc, les branches des arbres, noires en dessous, étaient recouvertes d’une mousse légère, glacée et encore blanche ! J’ignorais tout de l’hiver et de la neige et je fut épouvanté de ce phénomène inconnu !

Ce que je voyais clairement, c’est que j’allais mourir de faim et de froid. Mon très court passé fut évoqué : mon enfance protégée, la bonté de mes parents, mon ingratitude, ma conduite abominable, ma fuite, mes vols, mes tueries et mes misères

Comme j’avais été fou et méchant ! Avec quelle joie je reviendrais parmi mes frères et près du nid familial ! Ils étaient probablement pères de famille, heureux et paisibles pendant que je me désespérais dans ce vieux trou d’arbre !

Peu à peu, je cessai de penser ; tout tournait autour de moi, je voulus me dresser sur le bord de ma demeure improvisée, mais mes pattes lâchèrent l’appui qui me retenait et je tombai entre les deux branches.

Quand je revins à moi, j’étais couché, et, à mes côtés, un moineau chauve et grave me mettait dans le bec des grains et de la mie de pain.

Il m’expliqua que, faisant sa ronde quotidienne de médecin, il m’avait aperçu et, voyant que je n’étais pas tout-à-fait mort, il avait réussi, des pattes et du bec, à me hisser dans cet abri sûr qui était son propre nid ; je lui serrai la patte, incapable de faire un long discours.

Je me repris le lendemain car j’avais retrouvé, sinon toutes mes forces, mon éternel bavardage.

— Il y a donc encore des braves cœurs sur cette terre remplie de tant de méchants !… lui disais-je.

— Certainement, il y en a beaucoup. Il y a des bons et des mauvais cœurs comme il y a des fleurs et des ronces, comme il y a des herbes qui guérissent et des poisons qui tuent. Il faut prendre la vie comme elle est, mon garçon, et ne la faire ni meilleure ni pire ! Tu es jeune et tu as dû faire bien des sottises pour être ainsi dénué de tout et si abandonné ? Où sont tes parents ? Pourquoi n’es-tu pas avec ta famille !

Pendant que je me confessais, il hochait sa vieille tête d’un air narquois : « Tous les mêmes ! » gronda-t-il.

Après deux jours, je fus guéri et, avec mon protecteur, je partis à la découverte de mes parents.

Ce fut long ! Mes voyages m’avaient mené loin de la grande ville. Et pendant nos arrêts, le vieux docteur me sermonnait et essayait de me convertir à fond.

Enfin, les deux hautes tours de l’église émergèrent au-dessus des arbres et des toits.

— Te voilà chez toi, jeune moineau ; deviens plus sage et meilleur. Apprends, une fois pour toutes, que l’on est heureux chez soi, sans trop d’ambitions, et qu’au lieu de courir les aventures avec de mauvais compagnons, on doit essayer de remplir ses devoirs d’oiseau obéissant chez son père pour devenir, plus tard, un bon papa moineau.

Muni de ses bons conseils, je m’enfuis à tire-d’ailes jusque chez nous !

Maintenant, madame La Lune, j’attends que ma couvée soit éclose et que mes enfants piaillent dans le nid voisin de celui de mes parents. Ma femme est gentille et je suis très heureux, et le croiriez-vous, je suis devenu le modèle des oiseaux du voisinage !