Texte établi par Montréal Impr. populaire, Édouard Garant (p. 300-312).

XLIII

RETOUR PÉNIBLE

Avec la nuit, la pluie était venue. Une pluie glacée d’automne, tantôt fine comme un brouillard, tantôt s’étalant en larges gouttes, qui tomba toute la nuit, sans interruption. Au matin, Roger et Ohquouéouée, qui étaient arrivés à la tête du rapide à la nuit tombante et qui avaient dû coucher sans autre abri que les arbres, étaient trempés jusqu’aux os.

C’était un mauvais commencement à leur voyage ; car, en plus de la pluie, la température, jusque là douce et clémente, s’était considérablement refroidie. Mais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le matin venu, après une nuit de misères qu’ils avaient passée à essayer de se garantir contre la pluie qui s’infiltrait partout, le Canadien et l’Indienne se mirent à l’ouvrage pour transporter leur bagage au pied du rapide.

Ce n’était pas une mince besogne que de transporter une quarantaine de sacs d’amandes, à part de tout leur autre bagage et du canot, sur une distance de près d’un mille, à travers des bois enchevêtrés et sur un sol détrempé par une pluie qui ne voulait pas finir. Ce travail, qui se serait fait en deux petites journées si Le Suisse eût été là, Roger et l’Indienne en mirent quatre à l’accomplir ; et encore, il faisait nuit noire quand, le quatrième jour, le canot fut rechargé et prêt pour le départ.

Il leur fallut donc passer encore une nuit en cet endroit. La pluie, qui avait cessé pendant la troisième journée, recommença de plus belle avec cette nuit et dura jusqu’au matin, sans relâche.

Roger entendit tousser Ohquouéouée pendant toute la durée de la nuit. Au matin, quand le jour reparut, il fut douloureusement frappé de l’altération qu’avaient subie les traits de la jeune fille. Ses jeux étaient brillants de fièvre. À tout instant, une toux opiniâtre, dont, à chaque quinte, les échos avaient retenti dans le cœur du jeune homme pendant tout le temps que les ténèbres l’avaient empêché de la voir, venait la courber en deux et lui déchirer la poitrine.

Ils se mirent cependant en route sous la pluie froide qui durait toujours, et ils ramèrent de toutes leurs forces pendant toute la journée.

Roger avait peine à reconnaître le pays qu’ils traversaient. Au lieu des belles teintes douces mais accentuées par un soleil d’été, qui embellissaient le paysage quand il avait remonté la rivière en compagnie de Le Suisse, trois mois plus tôt, tout était maintenant gris et terne. Les arbres avaient perdu leurs feuilles, et ils tendaient vers eux leurs branches nues, comme autant de bras décharnés qui auraient imploré la pitié. La nudité des arbres leur découvrait, sur une grande distance de chaque côté de la rivière, le sol jonché de feuilles jaunies, lesquelles, amollies par les pluies des derniers jours, gisaient éparses, comme des loques abandonnées.

Au lieu des chansons des oiseaux cachés dans la verdure, les deux voyageurs n’entendaient que le lugubre croassement des corneilles, dont le vol pesant traversait, à de courts intervalles, le gris du firmament au-dessus de la rivière.

Le jeune Canadien occupait maintenant l’arrière du canot, pendant qu’Ohquouéouée l’avait remplacé à l’avant. Celle-ci, après que l’exercice de l’aviron l’eut réchauffée, en activant sa circulation, avait presque complètement cessé de tousser. Mais quand vint le soir et que, descendue à terre, elle sentit le froid de la nuit lui glacer les épaules, sa toux reprit avec une violence nouvelle, et elle se mit à grelotter de la fièvre.

La jeune fille passa toute cette nuit assise à côté du feu que Roger entretenait, et en s’en approchant aussi près qu’elle pouvait le faire sans mettre le feu à ses vêtements.

Les deux voyageurs étaient campés, comme la nuit de leur départ, à la tête d’un rapide ; ce qui voulait dire un nouveau portage pour le lendemain.

Quand, après une autre longue nuit de souffrances, le jour parut enfin et qu’il fut l’heure de se mettre au travail, Ohquouéouée essaya d’aider Roger à transporter le bagage au pied du rapide ; mais elle dut y renoncer, et ce ne fut qu’à grand peine qu’elle s’y transporta elle-même.

Quand elle se fut traînée jusqu’au pied du portage, Roger y choisit un endroit où le terrain n’était pas trop humide, y alluma un grand feu, fit une bonne provision de bois afin que la jeune fille pût l’entretenir, puis il se mit à l’ouvrage afin de transporter le bagage à lui seul.

Ce portage n’était pas aussi long que le premier. En deux jours il fut franchi.

Quand les voyageurs se remirent en route, le troisième jour, la pluie avait cessé ; mais il faisait très froid. Quant à Ohquouéouée, elle était bien malade. Elle essaya bien, en partant, de prendre son aviron et d’aider Roger à ramer, mais, au bout d’une heure environ, il lui fallut abandonner la partie : elle grelottait au point que Roger entendait ses dents s’entrechoquer dans sa bouche, sa tête vacillait sur ses épaules et il lui semblait voir les objets environnants danser devant ses yeux qui, bien qu’ils fussent extrêmement brillants, ne voyaient presque plus.

Découragée, la jeune fille s’affaissa au fond du canot et, appuyant sa tête contre un sac de noix, elle resta immobile ; pendant que Roger, les traits tirés et le regard rempli d’inquiétude tendrement dirigé vers elle, continuait de ramer seul.

La journée se passa ainsi, dans un silence presqu’ininterrompu. De temps en temps, Roger s’informait affectueusement de l’état de la malade. Celle-ci ne lui répondait, le plus souvent, que par une légère plainte, et ils retombaient dans un lourd silence, troublé seulement par le bruit cadencé et monotone fait par l’aviron que maniait le jeune homme en s’enfonçant dans l’eau.

Ce soir là, Roger atterrit plus à bonne heure que d’habitude. Aussitôt à terre, il se mit au travail et construisit un abri composé de trois pans et d’une toiture. Bien que formé uniquement de branches d’arbres et d’écorces, cet abri était suffisant pour les garantir du vent et de la pluie. Du côté resté ouvert, le jeune homme alluma un grand feu, qu’il entretint toute la nuit.

Avant que les ténèbres ne fussent complètes, il avait enlevé l’écorce d’un gros bouleau qui croissait non loin de là et, avec cette écorce, il confectionna, à la lueur du brasier, cinq récipients en forme de paniers, — casseaux ou cassots, comme on les appelait alors — dans lesquels il vida autant de sacs de noix. Avec la toile de ces sacs, il confectionna une couverture dans laquelle il enveloppa la jeune fille. Il y avait longtemps qu’il s’était défait de sa tunique de peau, pour la lui faire revêtir presque de force.

Il avait aussi ramassé une bonne brassée de mousse, qu’il avait mis sécher devant le feu. Le matin venu, il arrangea, avec cette mousse, un lit au fond du canot, y coucha Ohquouéouée et la couvrit soigneusement avec la couverture qu’il avait confectionnée la veille de la toile de ses sacs. Puis il se remit en route.

Mais il n’avançait pas vite. Un canot ne va pas aussi vite poussé par un seul aviron que s’il l’était par deux ; même si le deuxième est tenu par une femme. Et puis, il y avait les portages, assez nombreux ; à chacun il lui fallait tout transporter seul, et même, le plus souvent, aider la jeune fille à franchir la distance qui séparait la tête du pied du rapide.

Au dernier rapide, il fut obligé de la porter dans ses bras, car elle ne pouvait plus marcher.

En la soulevant, il fut tout surpris de la trouver si légère ; il comprit qu’elle avait dû, depuis qu’elle était malade, dépérir de moitié. Quant à Ohquouéouée, elle entoura le cou du jeune homme de ses deux bras et ferma les yeux, paraissant trouver un grand bonheur à être portée par lui.

Chaque soir, Roger était obligé d’atterrir au moins une demi-heure avant la nuit, pour se donner le temps d’ériger un abri et de faire une provision de bois suffisante pour entretenir le feu jusqu’au matin. Avec tous ces retards, joints au temps qu’il lui fallait employer à trouver la nourriture nécessaire, les portages qui leur avaient pris une demi-journée quand il avait remonté la rivière, avec Le Suisse, lequel transportait, à lui seul, des charges suffisantes pour trois hommes ordinaires, lui prenaient maintenant une journée et demie ou deux jours, et les portages qui avaient pris une journée en montant en prenaient maintenant trois ou quatre.

Ces retards firent que les deux voyageurs n’arrivèrent au lac Saint-Pierre que dans la première semaine de décembre : environ quatre semaines après avoir laissé la Massawippi. Pendant le voyage, les deux jeunes gens ne s’étaient presque pas parlés. Roger qui avait tant à faire, tant de fatigues à supporter pour conduire seul le canot quand ils étaient en route, transporter la cargaison aux portages, construire un nouvel abri presque chaque soir et faire une provision de bois suffisante pour entretenir le feu toute la nuit ; et, en plus de cela, prendre soin de la jeune fille, était dans un état constant de fatigue qui faisait qu’il ne pouvait s’asseoir sans s’endormir aussitôt. Quant à Ohquouéouée, elle était trop malade pour s’intéresser à quoi que ce fût. Leurs conversations s’étaient donc bornées à quelques questions que Roger adressait de temps à autre à l’Indienne pour s’informer de son état, et aux réponses de celle-ci qui remerciait le jeune homme et le priait de ne pas se donner tant de fatigues pour elle.

Le dernier jour qu’ils descendirent le Saint-François, il neigea presque toute la journée. Le temps s’éclaircit cependant vers la fin de l’après-midi ; mais, au coucher du soleil, le froid devint si vif que Roger, craignant que la glace ne se formât sur la rivière avant le matin et ne les empêchât de continuer leur route, n’osa s’arrêter pour la nuit. Il continua donc de ramer de toutes ses forces, jusqu’au matin ; et quand le jour parut, le canot qui portait Ohquouéouée malade et Roger exténué débouchait dans le lac Saint-Pierre.

La clarté était revenue ; mais, avec le jour, le temps s’était de nouveau couvert et il faisait une forte brise du nord-est. Roger n’en continua pas moins de s’avancer sur le lac, ayant hâte d’arriver aux Trois-Rivières pour y faire soigner Ohquouéouée, dont l’état devenait inquiétant. Mais le vent augmentant continuellement de violence, la houle devint trop grosse pour qu’il fût sage de demeurer sur le lac dans un canot d’écorce ; surtout un canot chargé comme l’était le leur et n’ayant qu’un seul aviron pour le guider. Le jeune homme se crut donc obligé d’atterrir dans une petite île, en plein milieu du lac.

En mettant pied à terre, Roger se mit à chercher un moyen quelconque de construire un abri, afin de protéger Obquouéouée contre le vent, et de faire du feu pour la réchauffer, car le froid était intense.

Mais l’île était nue : pas le moindre bouquet d’arbres ni le plus petit arbrisseau.

Alors, rempli d’anxiété à la pensée d’Ohquouéouée restée étendue au fond du canot, entre les sacs de noix, et que le froid commençait à engourdir, le jeune homme se mit à parcourir la grève en tous sens, dans l’espoir d’y trouver du bois mort que le flot y aurait déposé. Mais le vent soulevait les vagues qui, refoulant le courant, balayaient la grève et ne laissaient rien s’y arrêter.

Désespéré, il dut revenir à l’Indienne, qu’il trouva aux trois quarts engourdie par le froid sous sa couverture de toile, et, pour l’empêcher de geler à mort, il n’eut d’autre ressource que de se coucher à côté d’elle, de la prendre dans ses bras et de tâcher de la réchauffer à son contact.

Ils passèrent une partie de la matinée dans cette position. De temps à autre Roger levait la tête au-dessus du bord du canot, pour voir si la tempête se calmait ; mais la surface du lac offrait toujours l’aspect d’une mer démontée. Ce ne fut que tard dans la matinée que, le vent étant devenu moins violent, Roger jugea qu’il pouvait risquer de se mettre en route. Il repartit donc et, en ramant avec tout ce qui lui restait de vigueur, il atteignit les premières habitations de colons, en amont des Trois-Rivières, à la nuit noire.

À la première porte qu’il frappa, il trouva une brave famille qui consentit de grand cœur à recevoir la jeune Indienne et à lui donner les soins que nécessitait son état.

Le lendemain, Roger se rendit aux Trois-Rivières où il réussit à vendre une partie de sa cargaison, ce qui lui permit de se procurer des vêtements plus chauds et une bonne couverture de laine pour son amie malade. Il voulait continuer son voyage aussitôt que possible, afin d’arriver à Québec avant que l’hiver ne se soit définitivement déclaré. Son but était, aussitôt rendu dans cette ville, de confier Ohquouéouée aux religieuses qui, tout en guérissant son corps, achèveraient de l’instruire des préceptes de la religion catholique, qu’elles lui feraient embrasser ; après quoi, il pourrait l’épouser et l’amener chez son père.

Notre aventurier ne se troublait pas de se demander si son père approuverait ou n’approuverait pas le choix qu’il faisait d’une épouse. Au dix-septième siècle, le nombre des femmes qui habitaient la colonie étant beaucoup moins élevé que celui des hommes, les parents étaient beaucoup plus difficiles quand il s’agissait de choisir un époux à leur fille que quand il s’agissait de choisir une épouse à leur fils ; et, bien que les premiers colons ne vissent ordinairement pas d’un bon œil les alliances contractées entre leurs fils et les femmes du pays, Roger n’en espérait pas moins que le père Chabroud ne ferait pas trop de difficultés pour recevoir son fils avec une femme sauvage.

Et puis, si son père lui faisait trop d’embarras quand il le verrait revenir avec une sauvagesse pour épouse, il retournerait, avec sa femme, chercher les peaux d’ours et le miel restés sur le bord de la rivière Coaticook, puis il irait vendre ces marchandises à Montréal ; et il resterait là, à vivre tranquillement avec celle qui lui avait sauvé la vie et que lui, maintenant, il essayait d’arracher à la mort.

Comme on le voit, les idées d’indépendance, malgré toutes les vicissitudes qu’il avait traversées au cours des trois années de vie libre qu’il avait vécues depuis son départ de la maison paternelle, avaient fait du chemin dans le cerveau de notre héros.

Le quatrième jour après leur arrivée aux Trois-Rivières, l’état d’Ohquouéouée s’étant sensiblement amélioré, grâce aux tisanes et aux potions chaudes que les généreux colons chez qui ils s’étaient réfugiés lui avaient prodiguées, les deux jeunes gens se remirent en route.

Quand ils se rembarquèrent, le matin, le temps était beau et doux. Ohquouéouée, sans être tout à fait rétablie, avait retrouvé un peu d’entrain, et elle aurait pris un aviron si Roger l’eût permis. Mais il ne le lui permit pas. Le canot, considérablement allégé depuis que Roger avait disposé d’une partie de sa charge, était beaucoup plus facile à manœuvrer et le jeune homme, se sentant capable de le conduire seul, voulait éviter toute fatigue à sa compagne. Tout promettait que la dernière partie de leur voyage serait beaucoup plus heureuse que la première. En effet, le même soir, ayant été aidés dans leur descente du fleuve par le courant de la mer baissante qu’ils avaient rejoint un peu après midi, ils avaient parcouru un bon tiers de la distance qui sépare les Trois-Rivières de Québec.

Mais, comme ils atterrissaient et s’installaient pour la nuit, le mauvais temps reprit. Toute la nuit, une pluie mêlée de neige et poussée par un vent du nord-est qui soufflait en bourrasques, les inonda. Le lendemain, la pluie, moins abondante, ne tomba que par intermittences ; mais il venta si fort toute la journée qu’il leur fut impossible de se mettre en route.

Ils durent rester là trois jours ; et, pendant ces trois jours et ces quatre nuits, le vent ne cessa de souffler en tempête, pendant que la terre se couvrait d’une mince couche de neige.

Le quatrième jour, le vent étant tombé, la température se radoucit et la neige se mit à fondre. Roger aida Ohquouéouée à reprendre sa place au fond du canot, et ils se remirent encore une fois en route.

Deux jours plus tard, ils arrivaient à Québec.

Le peu de mieux qui s’était montré dans l’état d’Ohquouéouée à leur départ des Trois-Rivières, avait complètement disparu. Elle était même beaucoup plus malade qu’à son arrivée en cet endroit. La pauvre enfant gisait au fond du canot, à demi inconsciente, les yeux caves et brillants, tout son corps secoué par le frisson et la poitrine déchirée par une toux continuelle. Roger dut la laisser dans cette position pendant qu’il se mettait à la recherche d’un endroit où il pourrait la mettre à l’abri, en attendant qu’il eut obtenu son admission à l’Hôtel-Dieu.

Le jeune homme avait accosté son canot au pied de la Côte-de-la-Montagne. Il n’avait pas fait dix pas sur la terre ferme qu’il rencontrait un marchand généreux, dont la demeure était située près du fleuve et qui, sentant une bonne affaire à conclure avec Roger, voulut bien recevoir temporairement la malade. Roger s’empressa de l’y transporter.

Quand il se fut assuré qu’Ohquouéouée serait au moins à l’abri des éléments, il courut à l’Hôtel-Dieu, afin d’obtenir que les religieuses consentent à la recevoir et à en prendre soin. Une demi-heure plus tard, Ohquouéouée était confortablement installée dans un lit d’hôpital.

Mais, malgré tous les soins dont elle fut entourée, au lieu de prendre du mieux, sa maladie ne fit que s’aggraver. Le troisième jour de son arrivée à l’Hôtel-Dieu, il devint évident à celles qui la soignaient qu’il leur serait impossible de ramener la jeune Iroquoise à la santé. Bien qu’elle ait été d’une constitution beaucoup plus forte que la moyenne, son corps n’avait pu résister au surmenage auquel elle l’avait soumis depuis un an.

En effet, que l’on songe à l’hiver qu’elle avait passé dans une bourgade ennemie, où les autres femmes étaient loin de lui être sympathiques, et où, étant gardée prisonnière, elle manquait à peu près de tout en ce qui concerne le vêtement et la nourriture, sous un climat infiniment plus rigoureux que celui sous lequel elle était habituée de vivre ; puis, que l’on songe aux misères et aux fatigues qu’il lui avait fallu surmonter au cours de son voyage du confluent de la Mattawin et du Saint-Maurice au lac Saint-Pierre, ainsi que les six ou sept semaines pendant lesquelles elle avait erré aux environs des Trois-Rivières, cherchant un moyen de traverser le Saint-Laurent ; ensuite sa longue et pénible randonnée du lac Saint-Pierre au village de Saratoga dans l’État de New-York, et de là, au confluent de la Massawippi et du Saint-François ; que l’on ajoute à toutes ces fatigues physiques les douloureuses émotions qu’elle avait dû éprouver lors de la mort de son père, et aussi quand elle découvrit l’homme qu’elle aimait par-dessus tout, prisonnier des guerriers de sa tribu ; et, en dernier lieu, le voyage qu’elle avait fait en compagnie de celui qu’elle venait de délivrer au prix de tout ce qu’elle avait de plus cher avant de l’avoir connu, et l’on se demandera comment il se faisait qu’elle fût encore au nombre des vivants.

Il avait fallu, pour qu’elle ne fût pas morte depuis longtemps, qu’elle joignait une constitution de fer dans un corps parfaitement sain, à toutes les ressources vitales de la jeunesse. Et il n’est pas surprenant que les religieuses de l’Hôtel-Dieu de Québec, malgré tous les bons soins qu’elles lui avaient prodigués depuis son arrivée dans leur institution, eussent perdu tout espoir de ramener Ohquouéouée à la santé.