Calmann-Lévy éditeurs (p. 72-86).

III

On parla longtemps d’Houchemagne chez les Fontœuvre. Ce beau jeune homme, qu’on n’avait plus revu après son apothéose de la rue Laffitte, avait laissé dans les esprits une impression profonde. Pierre Fontœuvre le discutait sans cesse. Lui, avait renoncé à ses boueux, sujet trop difficile, pour choisir, en vue du Salon, une composition d’animaux. Maintenant il passait son temps aux abattoirs de la Villette, d’où il rentrait le soir fourbu, sentant l’écurie et l’étable, avec des pochades de veaux ou de génisses plein ses cartons. Il s’enthousiasmait, blaguait « les rêveries d’Houchemagne qui concevait dans l’irréel », chantait les merveilles d’un jarret, d’une croupe ou d’un garrot. Il semblait que ses bêtes se fussent incarnées en lui, et il s’ébrouait comme un cheval, remuait du col comme un taureau, imitait le piétinement léger des moutons au pacage.

Jenny, qui n’avait pas vendu sa Femme au piano, en reprenait le sujet pour l’agrandir. Elle travaillait, harcelée par les ennuis d’argent. Ayant emprunté sur sa toile dix louis à madame Dodelaud, elle n’osait plus envoyer sa fille chez les vieux marchands, de crainte de les importuner. Et Marcelle, qui vaguait tout le jour dans la maison, s’attachait aux jupes de sa mère, recevait tantôt un baiser et tantôt une gifle, selon que e la peinture allait bien ou mal.

Ce fut alors que mademoiselle Darche s’éprit de la petite fille et obtint de Jenny Fontœuvre la permission de l’emmener promener souvent. Cette émancipée aux airs tranchants, qui avait aimé plus d’une fois depuis sa prime jeunesse, était dévorée d’une soif insoupçonnée de maternité. Nul ne pouvait deviner que cette fille flegmatique avait désiré, avec des larmes, la venue d’un enfant. Se montrer en public avec les enfants des autres était pour elle une compensation à ce chagrin. Quand on la regardait alors, elle éprouvait une fierté qui, pour être usurpée, n’en était pas moins sensible.

Une fois, au retour d’une de ces promenades, Marcelle conta qu’elle avait vu le mari de mademoiselle Darche.

— Son mari ? s’écria la mère stupéfaite.

— Oh ! pas un mari comme papa, bien sûr, mais tu sais, le monsieur… Il l’a embrassée et lui a dit : « Donne-moi un faux-col propre car je vais voir une malade chic. »

Jenny Fontœuvre eut un scrupule dont elle s’ouvrit le soir à son mari. Nelly Darche était ainsi, vivant dans l’amour libre avec une sorte de candeur ; mais pouvait-on confier une enfant de huit ans à une fille qui avait un amant et ne s’en cachait guère ? Là-dessus le père et la mère eurent une grave conférence où ils cherchèrent en vain les raisons qu’on a de dissimuler aux enfants tout ce qui, dans les mœurs, est en dehors des lois. Et ils conclurent ensemble à la nécessité d’une initiation précoce pour une fille forcée dès l’adolescence de gagner son pain.

D’ailleurs, à ce moment d’autres idées les hantaient. Leur Salon avait du succès. Dès la fin d’avril, Jenny reçut deux lettres d’amateurs qui convoitaient son tableau, et madame Dodelaud parlait d’un Espagnol qui tournait autour des bêtes de Fontœuvre. Déjà tous deux pensaient à un nouveau dîner où l’on inviterait cette fois les antiquaires avec Addeghem, qui avait loué copieusement les deux toiles.

Un soir de mai, les Fontœuvre lisaient paresseusement dans l’atelier au milieu du tapage des deux enfants, quand ils poussèrent un cri de surprise. La porte s’était ouverte très doucement, et Jeanne de Cléden, en appareil de voyage, cache-poussière, valise, voilette, se trouvait devant eux, souriante, silencieuse. Elle fut d’abord touchée de la joie sincère de ses cousins qui l’accueillaient avec l’hospitalité fervente du Parisien, si heureux de recevoir, si épris de l’imprévu, si curieux de toute diversion apportée à sa vie coutumière. Elle venait, disait-elle, pour noyer ses idées noires, pour reprendre un peu d’entrain au contact de Paris, car elle s’était mise à s’ennuyer là-bas. En effet, quand elle eut ôté sa voilette, on lui trouva un pauvre visage amaigri, tiré, où luisaient deux grands yeux languissants. Au dîner, elle ne mangea rien. Le soir, Jenny Fontœuvre vint elle-même l’enclore du paravent, la border dans le canapé-lit de l’atelier. Alors, la jeune fille levant sur elle son regard fatigué :

— As-tu revu Nicolas Houchemagne ?

— Aperçu seulement une fois au Salon, et c’est tout.

— Il ne vient jamais à ton jour ?

— Jamais.

— Ah ! soupira Jeanne en fermant les yeux.

Ses traits exquis eurent une petite contraction. L’artiste, illuminée d’une divination soudaine, lui demanda :

— Tu… tu l’aimes donc ?

— Oh ! à en mourir !

Et comme la petite Fontœuvre, très émue, gardait le silence, Jeanne poursuivit lentement, les yeux toujours clos :

— Je suis son esclave, son adoratrice, la chose de son œuvre. Toute ma vie, toute ma vie est à lui.

De tels mots, dits par une telle jeune fille, si digne, si fière, frappèrent étrangement Jenny Fontœuvre. Même, ce soir-là, elle ne put rien objecter, tant cet amour se présentait à elle comme une noble et fatale passion. Ce fut la nuit que, très agitée, elle aperçut les obstacles : la pauvreté d’Houchemagne, sa naissance, et un peu aussi sa marmoréenne attitude. Mais Jeanne de Cléden, qui avait tout quitté pour suivre l’entraînement, avait aussi tout prévu, tout envisagé. Ce n’était plus le fils des vignerons de la banlieue ; c’était un être d’exception qu’elle aimait, un prince, un demi-dieu. D’ailleurs, M. de Cléden, après avoir pris de discrets renseignements dans le pays natal du jeune peintre, consentait à tout. Et ce consentement du vieux noble breton était la première attestation donnée à la profondeur, à la souveraineté de l’amour de Jeanne. L’altération de la santé, chez la jeune fille, fournissait la seconde, car c’était en vérité une pauvre enfant malade qui revenait ainsi à son dominateur ; elle était extrêmement changée ; moins. belle, certes ; mais quelle flamme spirituelle, quel drame intérieur, se devinait en elle ! Comment ne se serait-on pas intéressé à cette jeune fille aimant si complètement et pour la première fois !

Un des jours qui suivit, Jenny Fontœuvre monta la rue de Vaugirard jusqu’à l’adresse d’Houchemagne. Elle le trouva chez lui ; il la reçut dans une petite salle qui n’était pas son atelier, et parut bien surpris de sa visite ; elle-même en était fort embarrassée et répétait :

Ah ! si vous saviez pourquoi je viens ! si vous saviez pourquoi je viens !

Les longs yeux bridés d’Houchemagne s’ouvraient de curiosité ; et elle tardait à parler ; elle contemplait avec une certaine considération l’objet d’un amour si rare. À la vérité, Addeghem avait dit assez juste quand il apparentait le physique du peintre au François Ier du Titien. Houchemagne en avait le sourire intellectuel et presque philosophique allant se perdre dans la barbe brune, et aussi l’allongement spirituel du nez. À l’étudier ainsi, elle gagnait du temps. Il finit par demander s’il pouvait être en quelque manière agréable à madame Fontœuvre ; et c’est alors qu’elle se décida et avoua ses intentions matrimoniales. Voilà, elle en revenait à ce projet exposé naguère en plaisanterie. Il devrait épouser mademoiselle de Cléden. C’était très sérieux aujourd’hui.

Il se mit à rire ; il se défendit. D’abord, il ne voulait pas entendre parler de mariage. Puis, surtout mademoiselle de Cléden ne voudrait pas entendre parler de lui.

— Ah ! vous croyez cela ? insinua la petite Fontœuvre, énigmatique.

Et puis, tout à coup, en confiance soudain près de cet homme loyal, et oubliant les règles de réserve qu’elle s’était imposées, elle raconta l’amour de Jeanne, son retour à Paris, ses confidences, la répercussion de cette grande tendresse sur sa santé, et comme elle était triste, et rêveuse, et charmante et nouvelle du fait de cette grave passion qu’il avait su inspirer à cette fille délicieuse. Elle allait, elle allait, non sans une certaine éloquence chaleureuse, et elle s’aperçut qu’elle avait certainement troublé l’artiste, qui pâlit.

— Mais moi, moi reprenait-il très gêné de ce rôle ingrat, je n’éprouve pour mademoiselle de Cléden qu’une respectueuse admiration. Certes, je puis bien avouer que sa beauté, la merveilleuse pureté de son type, m’ont fort impressionné, et j’ai là des cartons où vous retrouveriez certainement son profil. Mais, vous comprenez, l’artiste seul s’est ému ; vous devez connaître cela, vous aussi, l’emballement pour des traits, pour un corps, pour une chevelure qui vous hantent, vous enchantent, vous ravissent, sans qu’il soit question d’amour, sans qu’il soit à peine question de sexe.

— Ah ! dit Jenny désolée, comment n’êtes-vous pas touché d’un si grand attachement ? Jamais je n’ai rencontré pareil amour.

Et soudain, dans un coup de sang qui prit cet homme flegmatique, jusque-là muré dans son art, gardé par lui de toute faiblesse, des plus ordinaires penchants, Houchemagne entrevit la possession totale de cette suave et parfaite beauté. Il en pourrait connaître la continuelle présence, le constant enivrement. Et cette divine inspiratrice serait sa femme, sa femme à lui, docile, dévouée à son œuvre, sa compagne !

Ce fut alors seulement qu’il objecta presque douloureusement :

— Je ne peux pas me laisser toucher. Songez qu’avec la peinture à laquelle j’ai consacré ma vie, je ne gagne pas trois mille francs par an, et que je vis comme un cénobite. Et vous m’avez averti que cette jeune fille avait de la fortune. Au surplus, je veux que mon père soit toujours chez lui, chez moi ; or, c’est un brave homme de vigneron qui vient à Paris en gros souliers et de la terre aux mains. Comment voulez-vous, comment voulez-vous ?…

La petite Fontœuvre ne laissa pas échapper l’accent de regret qui était dans ces mots ; elle répliqua aussitôt :

— Venez dîner ce soir. Elle ignore ma visite. Vous causerez librement.

La porte de l’atelier était restée close, mystérieusement. La jeune femme partit sans l’avoir visité, quelque désir qu’elle en eût.

Houchemagne arriva le soir à sept heures, chez les Fontœuvre ; et il eut une commotion quand il aperçut, dans la blancheur du vitrage drapé de toile écrue, la frêle et flexible Jeanne. Après le chaud accueil des deux Fontœuvre, sans dire un mot, elle lui tendit une main si glacée, si tremblante, que le sens des caresses amoureuses s’éveilla en lui, tendrement, et qu’il eut envie de couvrir de baisers cette pauvre main défaillante. Qu’il la trouvait belle dans cet émoi ! Qu’il lui savait gré de rester silencieuse !… Et ce cœur neuf de jeune homme, miraculeusement intact, connaissait enfin une puissance plus forte que lui-même, à laquelle il ne résistait pas. Quand il pensait que cette beauté, que cette douceur féminine seraient à lui quand il le voudrait, son sang battait si furieusement le long de ses artères, qu’en l’observant, on aurait pu le voir, parfois, se comprimer les poignets.

À table, on les plaça côte à côte. Elle lui dit :

— Si vous allez jamais en Bretagne, venez à Sibiril. Mon père serait heureux de vous recevoir ; vous y trouveriez une campagne sans grâce, mais profonde, unie, pleine du rêve spirituel, et où il vole des anges invisibles.

Il répondit :

— Je vous promets que j’irai.

Et tout au long du repas, il s’aperçut qu’elle n’avalait que quelques miettes. Plusieurs fois, il se souvint du tableau qu’il préparait et de la figure de sainte Agnès ; alors il étudiait les gestes. de Jeanne. Ensuite, il se trouvait odieux de faire servir égoïstement à son art, comme un modèle vénal, cette tendre fille. Puis des scrupules lui vinrent. L’élégance de mademoiselle de Cléden, les bagues de ses doigts, toute son aristocratie fleuraient un parfum d’opulence ; et il s’aperçut qu’il convoitait bassement, lui aussi, une vie riche, avec la joie de peindre sans souci du pain quotidien, et de passer dix ans sur une toile, s’il le fallait. De ce moment, il résolut de résister à tout entraînement. Jenny Fontœuvre, qui l’observait avidement, le vit devenir glacial. Dans la soirée, Jeanne eut le cœur si gros qu’elle dut quitter l’atelier pour cacher ses larmes. Comment la trouvez-vous, voyons, sincèrement ? murmura la petite Fontœuvre à l’oreille d’Houchemagne, quand la jeune fille les eut quittés.

C’est une déesse, dit-il en affectant de plaisanter, quoiqu’il commençât à n’en avoir plus envie. C’est une déesse, et moi je suis un pauvre diable. Concluez, madame.

Il prit congé de bonne heure, et avec une si évidente cérémonie, que, dès la porte refermée, les Fontœuvre s’entre-regardèrent et dirent tristement :

— Fini !

Le lendemain, Jeanne de Cléden, les yeux rouges, se leva dès l’aube et sortit. Elle allait au Louvre. Les quais parisiens sous leur buée bleuâtre, les peupliers frissonnants, l’eau sous les ponts, le décor splendide du palais des rois, en face, tout cela eût enivré Jeanne un autre jour. Mais elle n’en sentait l’attrait que secrètement, et tout blessait son cœur. Son idée touchante était d’aller souffrir, avec la majesté d’une grande âme, dans ces salles désertes et nobles, devant les chefs-d’œuvre émouvants. Et surtout elle voulait voir ce portrait d’une femme inconnue, attribué à Philippe de Champaigne, et dont Houchemagne avait déclaré, la veille, que madame Trousseline lui ressemblait, — car les artistes, par une inversion singulière, voient les tableaux comme des prototypes, et la nature comme une image de l’art.

Ainsi qu’elle l’avait présumé, le musée était vide à cette heure matinale ; seuls des copistes installaient leurs chevalets le long des galeries. La charmante fille s’arrêtait çà et là, devant ses toiles préférées ; les larmes qu’elle retenait avec peine lui en voilaient la vue, comme l’eût fait un verre embué, mais elle les reconnaissait ; et au Salon Carré, elle disait aux Titiens, aux Vincis, et à ces grandissimes Noces de Cana dont le voisinage l’oppressait comme le grouillement d’une cité vivante : « Oh ! mes chers chefs-d’œuvre, je n’ai plus que vous ! »

Ses pas légers trouvaient une résonance dans l’ampleur des salles ; elle les assourdissait en glissant ses bottines sur les parquets luisants. Elle pensait à Houchemagne. Et elle avait l’esprit si plein de son image qu’elle n’eut pas un mouvement de surprise quand elle l’aperçut au milieu. de la grande galerie.

Comme si le drame muet de la veille ne s’était jamais passé entre eux, ils se sourirent en se tendant la main. Se retrouver ainsi, ce matin, c’était une de ces choses inexplicables en apparence, un de ces événements incompréhensibles qui semblent relever du surnaturel, et qu’on jugerait au contraire tout simples s’il était permis de suivre dans les âmes l’enchaînement logique des impressions, depuis leur source jusqu’à leur aboutissement. Chez les deux jeunes gens, une succession d’idées différentes avait eu une résultante identique, et ils se retrouvaient au même lieu, ce matin, dans la même disposition romanesque et mélancolique, avec le désir de recourir aux puissantes et consolatrices sensations de l’art. Justement, le hasard les avait réunis devant le saint Jean-Baptiste de Vinci. Après un silence, Houchemagne montra celui qui montre l’invisible et demanda :

— Vous étiez venue le voir ? Vous l’aimez ?

Jeanne de Cléden, pâle et tremblante, murmura :

— Oui, je l’aime.

Quand elle eut prononcé ce verbe, Houchemagne eut un frisson ; il était à cent lieues du tableau ; il se rappelait la visite de madame Fontœuvre ; il se rappelait que cette belle vierge aux yeux tendres le chérissait, et il eut une minute de désespoir, de regret déchirant.

Jeanne reprit :

— Que pensez-vous qu’il veuille dire avec sa main levée, son sourire, sa séduction divine ?

Houchemagne répondit amèrement :

— Qu’il faut dédaigner le siècle, ses joies vulgaires, les biens terrestres ; s’y arracher d’un effort douloureux, surhumain, vivre dans le rêve, dans ce qui est immortel, l’Art, la Beauté, Dieu…

— Voyez pourtant comme son sourire est doux, dit Jeanne.

— Il ment, dit Houchemagne ; ce ne sont que des larmes qu’il vous réserve.

Ils s’absorbèrent un moment dans la contemplation de la toile, puis, poussant un petit soupir, sans transition, Jeanne déclara :

— Demain, je partirai…

Houchemagne eut un cri :

— Oh !

Elle le regardait ; il était de profil devant elle ; une sueur légère luisait à sa tempe ; ses yeux fixés sur le saint Jean, ses lèvres avaient une contraction de souffrance ; bientôt elles frémirent comme celles d’un homme qui pleure et, sans bouger, il prononça :

— Vous partez… vous disparaissez de ma vie… oui, cela vaut mieux… Vous êtes la première femme qui m’ait jamais ému. C’est un scrupule qui me force d’étouffer ma tendresse. Elle n’est pas pure. Il s’y mêle quelque chose d’odieux. Je suis indigne de vous. Il vaut mieux que vous partiez.

Ils étaient absolument seuls dans l’immense galerie. Les rectangles dorés des cadres fuyaient. en perspective jusqu’à la salle des Velasquez, là-bas, et les sombres visages de l’École espagnole, les terribles faces d’Inquisiteurs seules semblaient en ressortir à force de vigueur, de puissance.

— Dites-moi tout, murmura Jeanne d’une voix à peine perceptible, j’ai le droit de savoir.

— Je vous aime riche, voilà ! dit le peintre en la regardant fixement, cette fois, malgré la honte qu’il avait de son aveu. Je vous aime riche comme je vous aime belle. La richesse est aussi une beauté. Elle contribue à donner à une femme telle que vous son charme de patricienne. C’est l’oisiveté de vos mains qui les a faites ce qu’elles sont. C’est la sécurité que crée la fortune qui a sculpté votre visage de paix, vos beaux traits de séraphin placide. C’est la puissance de l’argent qui vous a douée de votre aspect royal, car posséder est une grande chose, posséder, c’est pouvoir. Et c’est pour cela que je vous aime riche, et que votre fortune a allumé, dans le secret de moi-même, une convoitise ignoble.

À ces derniers mots, ses joues, son front rougirent, et il s’attendait à la sévérité de Jeanne. Mais il vit au contraire ses yeux s’adoucir jusqu’à l’humilité ; ses lèvres s’entr’ouvrirent de bonheur et elle vint à lui avec une simplicité de petite fille, prit sa main, la tint dans les siennes en disant :

— Oh ! je suis heureuse ! je suis heureuse !… Je n’ai que cela, moi, ma fortune ; est-ce que j’aurais osé sans cela ?…

Et le cœur défaillant, envahi par un sentiment inconnu d’adoration, il ferma les paupières, pendant que les mains de Jeanne s’accrochaient, se suspendaient à la sienne dans un geste d’abandon puéril, et qu’elle disait :

— Je suis la servante de votre génie…