Le oui et le non des femmes/20

Calman Lévy (p. 213-218).
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XX


Le lendemain, la comtesse Caroline reçut les trois lettres qu’on va lire.

LUCIEN À CAROLINE

« Ma chère bien-aimée, me pardonnerez-vous jamais ? Je suis un fou et je vous ai égarée par mes sophismes. Je vous aime et le temps des épreuves est passé. Voulez-vous devenir ma femme ? Notre union régularisera ce que notre situation a d’extraordinaire, d’insolite, d’inconvenant aux yeux du monde. Mais, si nous sommes unis, si nous sommes autorisés à une intimité si douce qu’elle fait mon seul bonheur, rien ne nous forcera à prendre le mariage comme le prennent la plupart des ménages d’aujourd’hui. Pour nous, ce sera toujours l’union enthousiaste de deux âmes, union que la possession ne fera que rendre plus intime et plus délicieuse ; le mariage comme je l’entends sera toujours pour moi l’idéal de l’amour.

« Votre Lucien, ton Lucien attend ta réponse, et il la prévoit. Dans quelques semaines nous pourrons retourner dans notre cher Mareuil, purs comme nous le sommes, libres de nous aimer sans blesser les préjugés, les usages, la morale.

« Ma Caroline, un mot de toi et je suis à tes pieds. »

La comtesse Caroline eut sur les lèvres un singulier sourire ; elle décacheta la seconde lettre et lut :

« Madame,

« J’ai l’honneur de vous demander votre main. Je vous aime de toutes les forces de mes vingt-six ans ! je vous aime comme un homme qui veut, toute sa vie, rester le plus tendre des amants et le moins mari des maris ! Je vous aime avec une passion que rien ne calmera, que rien n’attiédira et que la possession ne fera qu’accroître ! J’ai dû, madame, dans des moments d’égarements passionnés, vous laisser voir combien je vous désirais, combien je vous aimais ; pardonnez-moi ces instants de folie, qui prenaient leur source dans mon extrême amour. La demande que je viens vous supplier d’agréer vous prouve que cette passion n’a jamais été séparée un seul instant de la respectueuse admiration que vous inspirez à tous.

« Gaston, vicomte de Charly. »

— Allons, il vaut mieux que je ne croyais, dit Caroline ; voilà qui me raccommode avec cet étourdi.

Mais, au moment d’ouvrir la troisième, elle devint pâle comme la mort et ses mains tremblantes ne purent déchirer l’enveloppe.

— Si ce n’était pas ce que j’espère, dit-elle, si je me trompais…

Elle rompit le cachet ; la lettre tout entière lui sauta aux yeux ; George disait :

« Madame la comtesse,

« Peut-être aurait-il été plus conforme aux bienséances de charger un ami ou un parent de la démarche que je fais moi-même aujourd’hui ; mais je n’ai pas à Gênes d’ami que je veuille charger de cette mission, et vous-même n’avez aucun parent à qui je puisse m’adresser.

« Je viens donc loyalement à vous, madame, et j’ai l’honneur de vous demander votre main.

« Je vous aime ; c’est-à-dire que j’ai pour vous cet amour ardent, respectueux et pur, le seul qu’un homme puisse éprouver pour une honnête femme et pour une femme de cœur. Je ne vous ferai pas de phrases poétiques je comprends tous les sentiments, mais je ne crois pas aux phrases sonores ; je ne vous parlerai pas des ardeurs de ma passion, c’est là un langage insultant, même pour une femme que l’on épouse. Un honnête homme ne veut jamais que sa femme ne soit que sa maîtresse.

« Je vous aime et je vous demande votre main ; pour moi, cela veut dire que je sens en moi tout ce qu’il faut pour faire votre bonheur, et que j’ai en vous assez d’estime pour vous confier le mien, l’honneur du nom que je me suis fait et l’avenir de ma famille.

« Je ne vous demande pas une prompte réponse. Réfléchissez et décidez. Satisfait d’avoir mis ma demande à vos pieds, j’attendrai que votre sensibilité et votre raison aient plaidé ma cause dans votre cœur.

« George Lemiet. »