Calmann-Lévy éditeurs (p. 159-176).
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XIV

« J’espère ne pas vous déplaire en vous rappelant notre dernière causerie du Jardin Je pense souvent, non sans plaisir, que les cours vont vous rappeler bientôt ici. Pour vous, il en va sans doute autrement. Ce serait normal. Mais pour moi les vacances sont longues… »

Au cours du voyage nocturne qui ramenait à Paris les trois Arbrissel, Pierre, bercé par les ressorts moelleux du wagon-salon où 1ls’allongeait avec ses parents sous la lampe en veilleuse, restait trop nerveux pour s’endormir, obsédé tout à coup du remords d’avoir laissé sans réponse ce message, cette flèche lancée un jour par sa mystérieuse camarade d’école. Décidément, cette sotte histoire de mariage conventionnel avec la petite communiste de château avait troublé ses esprits. Il se sentait enragé contre lui-même. « Je suis moins qu’un goujat, se disait-il.

Jamais un valet de nos fermes, là-bas, n’aurait endossé pareille grossièreté. Et il s’agit, pour comble, de la créature certainement la plus subPage:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/170 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/171 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/172 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/173 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/174 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/175 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/176 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/177 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/178 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/179 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/180 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/181 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/182 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/183 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/184 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/185 de souvenirs coloniaux : corbeilles de paille tressée, panoplies de sagaies, calebasses, tamtams, fétiches effarants ; puis, sculptées dans un bois satiné à reflets roses, de petites pirogues longues et sveltes à l’image de celles qui glissent sur le Nil noir, si étroites que les nègres doivent s’y aligner un par un pour pagayer librement. C’est de toute cette vie coloniale qu’était sortie cette fille merveilleuse, pensait Pierre Arbrissel comme étourdi de cette plongée dans le passé tragique de Marie. Il avait peine à détacher ce beau visage paisible des évocations du vieux soldat d’Afrique.

Il comprenait clairement à cette minute qu’on ne l’avait invité que pour qu’il fit le point dans ce drame ancien. Mais il y avait longtemps qu’il en avait ressenti le tragique et comme la fatalité. Le plus urgent : convaincre son père qu’il n’y avait pas eu infamie demeurait encore à faire et ses épaules fléchissaient là-devant. Pourtant jamais Marie ne lui avait été plus proche, plus unie, plus douce. Et il pensait à ce colon ivre d’amour, parti dans la chaude et verte humidité, parmi le désordre des lianes retombantes sous des frondaisons dressées, emportant le beau corps dont il était fou. Son amour à lui se trouvait d’une bien autre essence. Mais est-ce que spirituellement il n’emportait pas aussi vers l’inconnu de la vie cette proie chérie qu’il ne se lassait pas de contempler ?