Calmann-Lévy éditeurs (p. 177-199).
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XV

Et tu sais, mon vieux papa, ma décision est formelle. Je n’épouserai pas une autre femme que Marie Lavaur.

C’était trois jours après la réunion de la rue du Cherche-Midi. Dés le dîner les deux Arbrissel, selon le vieil usage, étaient remontés à l’atelier, le temps d’une pipe pour le grand homme, de quelques cigarettes chez le jeune — tous deux assis comme de coutume à même les tables de dessin. La déclaration atteignit si fort Hyacinthe que les tables tressautèrent sous le coup de poing qu’il donna, et ses lèvres serrées laissèrent passer un seul mot :

— Tonnerre !

La main du jeune homme saisit cette main. célèbre toute frémissante de courroux, essaya de la caresser.

— Laisse-moi ! dit le père. Je hais les baisers de Judas.

— Père, je ne te trahis pas en aimant une jeune fille ! Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/188 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/189 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/190 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/191 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/192 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/193 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/194 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/195 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/196 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/197 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/198 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/199 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/200 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/201 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/202 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/203 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/204 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/205 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/206 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/207 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/208 tirer de cette fille, point campagnarde mais champêtre, un intérêt pour sa neurasthénie, un remède contre son dégoût de vivre, un baume pour sa plaie saignante !…

Lors de la réouverture des cours du dernier trimestre à la Faculté, le lendemain d’un retour où la voiture à pétrole s’était montrée favorable aux deux êtres passionnés qu’elle cahotait, à grands fracas, au travers des provinces alors en fleurs de l’Occident français, Pierre Arbrissel, en poussant la porte d’un amphithéâtre, connut le choc le plus violent qu’il pût recevoir en se voyant poitrine contre poitrine avec Marie Lavaur. Leur jeunesse réagit avant leur conscience. De toutes leurs années surajoutées, ils ne parvenaient pas à faire la moitié d’un siècle et le sourire ineffable de jadis réapparut, accomplissant un échange inconscient de leurs âmes. Involontairement leurs mains s’accrochèrent. Pierre pressait passionnément celle de cette fière intellectuelle. Mais on ne tarda pas à la lui ôter. Le combat dura bien dix secondes. Et ce fut fini. Marie Lavaur disparut. Elle était plus orgueilleuse qu’amoureuse. Pierre l’avait compris. À partir de cette rencontre, il souffrit plus cruellement que jusqu’ici, pour avoir senti chez elle une qualité d’amour qui n’était pas la sienne. Il pâtissait de ce qu’elle n’eût pas la même forme de douleur que lui — lui qui se riait des blessures de l’orgueil — qui l’aimait comme le chien son maître,