La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/1.XVI

Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 96-98).


CHAPITRE XVI.

L’Édit de Nantes.


L’édit de Nantes n’est pas, comme on pourrait le croire, la proclamation de la liberté de conscience. D’abord, la liberté de conscience comprend la liberté de toutes les religions et de toutes les doctrines philosophiques, tandis qu’il ne s’agit, dans l’édit de Nantes, que d’accorder la liberté aux protestants et à eux seuls. Pour eux-mêmes, la liberté est loin d’être entière. On ne déclare pas que les lois politiques ou civiles ne feront plus désormais de différence entre les sujets appartenant aux deux cultes, que les deux clergés obtiendront les mêmes secours, auront les mêmes droits dans leurs églises respectives, et la faculté d’exercer publiquement et en tous lieux leur ministère. Les deux partis restent ce qu’ils sont, chacun dans son propre camp, et concluent, pour ainsi dire, une paix sous les armes, en se donnant l’un à l’autre des garanties et des otages. Le roi, devenu par son abjuration chef du parti catholique, après avoir été si longtemps le chef heureux de l’autre parti, n’assure à ses anciens amis que les droits les plus indispensables. Il leur donne la liberté de conscience chez eux, la liberté du culte privé ; c’est-à-dire que désormais on ne pourra plus les rechercher pour ce qui se passe dans leurs maisons, ni les contraindre à participer aux cérémonies de l’autre culte, ni les exclure, pour cause de religion, des fonctions publiques, des hôpitaux et des écoles, ni les déshériter ou les injurier pour cause de religion. Quant au culte public, il ne sera permis que dans les lieux où il existait déjà à la date du mois d’août 1597, dans deux localités désignées à cet effet par chaque bailliage ou sénéchaussée du royaume, dans les châteaux des seigneurs, avec cette distinction que les seigneurs haut-justiciers pourront admettre au prêche un nombre illimité de protestants, et les seigneurs qui ne jouissent du droit de haute justice, trente étrangers seulement, outre leur famille et leurs vassaux. Les seigneurs haut-justiciers jouissant du droit reconnu par cet article étaient au nombre de trois mille cinq cents. Tout exercice public du culte protestant était interdit dans les grandes villes de la Ligue, qui en avaient fait la stipulation particulière par leurs traités avec le roi, dans tous les bailliages de Rouen, et dans une étendue de cinq lieues autour de Paris ; cependant, par dérogation à cette clause, des prêches furent autorisés à une demi-lieue de Rouen, à Ablon, qui n’est qu’à quatre lieues de Paris, et ensuite à Charenton, qui n’en est qu’à deux lieues[1]. Il ne pouvait y avoir de prêche à l’armée quand le roi y était, ni dans aucune ville du royaume où il faisait momentanément sa résidence. Les églises nommaient deux députés généraux pour résider auprès du roi. Elles s’assemblaient librement en consistoires, colloques, synodes provinciaux ou nationaux, et pouvaient même tenir des assemblées politiques, mais seulement avec autorisation royale. Le parti conservait comme sûreté, deux cents villes, parmi lesquelles la Rochelle, Montpellier, Montauban, plus, toutes les places du Dauphiné qui se trouvaient, à l’époque de l’édit, au pouvoir de Lesdiguières. Le roi pourvoyait à l’entretien des fortifications et à la solde des troupes, ce qui constituait une dépense de cinq cent quarante mille livres (environ deux millions d’aujourd’hui). Il consacrait en outre une somme de cent soixante-cinq mille livres (quatre cent quatre-vingt-quinze mille francs d’aujourd’hui) aux gages des ministres et des régents dans les collèges et les écoles. Les églises avaient d’ailleurs le droit de posséder des biens propres et d’accepter des dons et legs. Enfin, une chambre spéciale, nommée chambre de l’Édit, où les causes des protestants étaient portées, fut créée dans tous les parlements du royaume. La chambre de l’Édit se composait à Bordeaux, Toulouse et Grenoble, de deux présidents, dont un réformé, et de douze conseillers, dont six réformés. À Paris et à Rouen, la chambre était composée de seize membres, dont quinze catholiques et un réformé seulement ; mais les catholiques ne siégeaient dans cette chambre que de l’aveu des protestants et sur leur présentation.

Henri IV, pour éviter une révolte des protestants, leur avait accordé cet édit, qui ne contenta personne et donna lieu à mille difficultés jusqu’à la révocation. Pour lui, il était si loin de concevoir la séparation du spirituel et du temporel et de la souhaiter, qu’après avoir souffert si longtemps de l’usage que ses ennemis faisaient contre lui de l’autorité de Rome, il donna tous ses soins, une fois converti, à mettre le pape dans ses intérêts, et à se servir de lui contre les catholiques excessifs. Un jour que les critiques violentes dont l’édit de Nantes était l’objet avaient lassé sa patience, il rassembla le parlement et lui tint ce discours : « Je sais que l’on a fait des brigues ici même, que l’on a suscité des prédicateurs séditieux ; mais je donnerai bon ordre à tous ces gens-là et ne m’en attendrai pas à vous… C’est le chemin qu’on a pris pour faire des barricades et venir par degrés au parricide du feu Roy…. Mais j’ai sauté sur des murailles de villes, je sauterai bien sur des barricades… Ceux qui pensent être bien avec le pape s’abusent ; j’y suis mieux qu’eux. Quand je l’entreprendrai, je vous ferai tous déclarer hérétiques pour ne me point obéir[2]. »

  1. M. Poirson, Histoire d’Henri IV, t. Ier, p. 307 sqq.
  2. Le Grain, déc. hist., ap. Journal d’Henri IV, p. 303 note.