CLXXVII

LE JEUNE TOBIE VA CHEZ RAGÜEL, SON PARENT
L’ANGE RAPHAËL L’ACCOMPAGNE

(708 ans avant J.-C.)



Quatre ans après que Tobie fut devenu aveugle, la vie lui devint trop dure, et il demanda au Seigneur de le faire mourir. Espérant que Dieu lui accorderait sa demande, il fit venir son fils Tobie, et lui donna des conseils admirables sur la vie qu’il devait mener pour conserver la protection et l’amour du Seigneur. Puis il lui dit : « Je t’avertis, mon fils, que, lorsque tu n’étais qu’un petit enfant, j’ai prêté dix talents d’argent à Gabélus, qui demeure à Ragès, ville des Mèdes, près de l’Assyrie. Je ne les lui ai jamais redemandés, mais, à présent que je suis hors d’état de travailler, et que je vais bientôt mourir, je ne veux pas t’enlever ce qui doit être à toi et ce qui t’aidera à vivre et à faire vivre ta mère. »

Tobie lui répondit : « Mon père, je ferai tout ce que vous me commanderez. Mais je ne sais pas comment je pourrai retirer cet argent. Cet homme ne me connaît pas, et je ne le connais pas non plus. Je ne sais même pas le chemin par lequel on va dans ce pays-là.

— Mon fils, reprit le vieux Tobie, j’ai son obligation par écrit ; je te la donnerai ; aussitôt que tu la lui feras voir, il te remettra les dix talents ; il est honnête, et il est devenu riche. Pour y aller, va chercher un homme fidèle qui connaisse ce pays et qui t’accompagnera ; tu le payeras de sa peine. »

Tobie, toujours prêt à obéir à son père, sortit aussitôt ; il trouva, près de sa maison, un beau jeune homme en habit de voyage. Ne sachant pas que ce fut un Ange du Seigneur, il le salua, et lui dit : « D’où êtes-vous, bon jeune homme ? »

Il lui répondit : « Je suis un des enfants d’Israël. » Tobie lui dit : « Savez-vous le chemin qui conduit au pays des Mèdes ? » L’Ange répondit. « Je le sais ; je parcours souvent tous ces chemins ; j’ai demeuré chez Gabélus, notre frère, qui demeure dans la ville de Ragès, près de la ville d’Ecbatane.

— Je vous supplie, lui dit Tobie, d’attendre ici un peu, jusqu’à ce que j’aie rapporté à mon père ce que vous venez de me dire. » L’Ange attendit.

Tobie, étant rentré, raconta tout ceci à son père, lequel remercia le bon Dieu de cette heureuse rencontre, et dit à son fils de prier ce jeune homme d’entrer. L’Ange, étant entré, salua le vieux Tobie, et dit : « Que la joie soit toujours avec vous. » Tobie répondit : « Quelle joie puis-je avoir, moi qui suis toujours dans les ténèbres et qui ne vois pas la lumière du ciel ? »

Le jeune homme lui dit : « Ayez bon courage, le temps approche auquel Dieu doit vous guérir. » Tobie ne répondit pas à cette parole qu’il crut être une parole de bienveillante politesse, mais il lui dit : « Pourrez-vous mener mon fils chez Gabélus, en la ville de Ragès, au pays des Mèdes ? Quand vous serez de retour, je vous donnerai ce qui vous sera dû pour votre peine. »

L’Ange lui répondit : « Je mènerai votre fils, et je le ramènerai.

— Dites-moi, je vous prie, reprit Tobie, de quelle famille et de quelle tribu êtes-vous ? »

L’Ange Raphaël lui répondit : « De peur que je ne vous donne de l’inquiétude, je suis Azarias, fils du grand Ananias. »

Armand. Qui était ce grand Ananias ?

Grand’mère. C’était un des trois jeunes gens qui ont été jetés dans une fournaise ardente par le roi Nabuchodonosor ; mais vous ne connaissez pas encore cette histoire ; je vous la raconterai plus tard avec celle du prophète Daniel.

Henri. Mais, Grand’mère, n’était-ce pas un mensonge ? L’Ange Raphaël ne s’appelait pas Azarias.

Grand’mère. C’est vrai ; mais, comme il avait pris l’apparence et la figure du jeune Azarias, il pouvait et il devait même porter également son nom.

Tobie répondit à l’Ange : « Vous êtes d’une race illustre ; je vous supplie de ne point vous fâcher, si, à cause de mon fils, j’ai désiré connaître votre nom. » L’Ange dit une seconde fois : « Je mènerai votre fils en bonne santé et je vous le ramènerai de même. — Que votre voyage soit heureux ! reprit le vieux Tobie. Que Dieu soit avec vous dans votre chemin, et que son Ange vous accompagne ! »

Alors, ayant préparé ce qui était nécessaire pour leur voyage, Tobie dit adieu à son père et à sa mère, et ils se mirent tous deux en route.

Aussitôt qu’ils furent partis, la mère commença à pleurer et à dire à son mari : « Vous nous avez enlevé le bonheur de notre vieillesse ; vous l’avez éloigné de nous. Plût à Dieu que cet argent pour lequel vous l’avez envoyé n’eût jamais existé ! Le peu que nous avons nous suffisait, et ce nous était une grande richesse que de voir notre fils avec nous. »

Tobie lui répondit : « Ne pleure pas ; notre fils arrivera là-bas sain et sauf, et il reviendra aussi vers nous en bonne santé ; tes yeux le reverront encore, car je crois que l’Ange du Seigneur l’accompagne, qu’il dirige tout ce qui le regarde, et qu’ainsi il reviendra vers nous plein de joie. » À ces paroles, la mère cessa de pleurer, et elle ne fit plus de reproches à son mari.