L’Orbe pâle/Une voix a voulu me nommer les étoiles

Eugène Figuière et Cie (p. 39-40).


UNE voix a voulu me nommer les étoiles.

Je ne veux pas savoir le nom des étoiles, ce domaine qu’il me plaît de posséder et de parcourir de toute mon imagination enivrée de fantaisie.

Je ne veux pas qu’on matérialise mes étoiles, non plus qu’on les individualise.

Puisqu’il n’y a plus de terre inexplorée où porter mon rêve de conquête, qu’on me laisse mes étoiles ! Tant que nul n’y aura pénétré, elles m’appartiendront, et ce que j’imagine d’elles sera la vérité autant que celle proclamée par les patients savants.

Lorsque, allongée sur ma terrasse, je regarde mes étoiles, j’embrasse l’illimité. Je ne les dénombre pas et je ne les nomme pas, et ce sont elles qui suscitent mes rêves, innombrables et innommables autant qu’elles. Je ne les connais pas, aussi sont-elles pour moi toujours toutes présentes. Je n’ai pas de préférence, et que je rêve ou j’agisse sous l’astre de la guerre ou de l’amour, que m’importe ! puisque je suis toujours en guerre et en amour.

Seules, je distingue celles que la mort me désigne : les étoiles filantes, qui, généreusement, accordent en disparaissant les possibilités qu’elles abandonnent.

Mon âme, brièvement leur crie : « Nous ! » et elles comprennent.

Une voix a voulu me nommer les étoiles. Je ne veux pas savoir le nom des étoiles.