L’Écho d’Alger (p. 147-170).

XV

LE GORILLE POLICIER


Dans la cœur de l’Institut. Roland eut la prudence de s’entortiller de nouveau dans le cache-nez et de remettre ses gants pour cacher ses mains velues.

Puis, la démarche hâtive, sans un regard sur ce qui l’entourait, absorbé par ce qui devenait son unique préoccupation, il se dirigea vers la voûte, la traversa et cogna contre la porte.

Le gardien à face de brute se montra sur la porte de la loge.

— Vous voulez sortir ? grogna-t-il.

Un son indistinct s’échappa du cache-nez, constituant une affirmation suffisante.

L’homme s’approcha de la porte et l’ouvrit à l’aide d’une des clés pendant à son trousseau. Son regard apathique dévisagea à peine l’être étrange qui quittait l’établissement. Sa consigne ne visait que l’introduction des visiteurs ; c’était seulement pour entrer qu’il fallait montrer patte blanche.

La voiture, avec son cocher flegmatique, qui, immuable sur son siège, plongeait dans un journal de courses une trogne illuminée, stationnait à quelques mètres de la porte. Moins résigné. Godolphin rôdait autour et dénombrait les ornières de la traverse, maugréant à haute voix.

Le bruit de la porte, s’ouvrant et se refermant, attira son attention. Il aperçut l’homme-singe et se dirigea vers lui avec l’allégresse que suscite la fin d’une corvée.

— On démarre interrogea-t-il. C’est pas trop tôt ! Où allons-nous, patron ?

— Chez toi, murmura Roland, en remontant dans la voiture.

Le tonnerre des roues, dépourvues de caoutchouc, le grincement des essieux et le brimbalement des vitres du fiacre disloqué s’opposaient à toute conversation. L’homme-singe, d’ailleurs, y paraissait peu disposé. Godolphin, encore que la langue lui démangeât — il n’avait pas encore épuisé les réflexions et les curiosités que lui inspirait la bizarrerie de la situation — se résigna à sommeiller.

Rencogné dans un des angles, Roland réfléchissait, se posait, en les ordonnant, les termes du problème qu’il avait à résoudre.

La vérité — ou son point de départ — était à l’endroit où s’était joué le drame, à la villa des Roses. C’était là qu’il fallait aller pour retrouver les traces à suivre, s’il en subsistait quelques-unes.

L’homme-singe se retourna vers son compagnon.

— Godolphin ! appela-t-il.

— Présent patron ! fit le saltimbanque en s’éveillant.

Il se frotta les yeux et regarda le gorille.

— On veut faire causette ? demanda-t-il. Je suis toujours à la disposition de la société.

— As-tu bien compris le rôle que Mlle Sarmange souhaite te voir remplir auprès de moi ?

— Un peu, mon prince ! On n’est pas une gourde. C’est même tout ce que j’ai compris dans l’histoire. Mais, n’est-ce pas ? quand les choses dépassent votre intellect, faut pas insister.

— Tu ne peux pas tout comprendre, Godolphin, soupira le gorille. Moi-même, je suis resté longtemps à me croire fou. Ce n’est que depuis une heure que je suis sûr, hélas ! d’avoir toute ma raison.

— Aussi, faut avouer que c’est pas simple ! Vous êtes comme qui dirait un homme déguisé en singe

— Précisément.

— Et vous n’êtes pas le seul à le raconter, puisque la petite demoiselle paraît y croire dur comme acier. Mais, pour se fourrer ça dans la caboche, y a de quoi la faire éclater !… Enfin, motus ! Je reste au port d’armes ! On m’a payé pour vous balader, je vous balade, vrai de vrai, comme nourrisson, vous êtes de taille.

— Ainsi, je peux compter sur votre dévouement ?

— Allez-y, mon vieux Poil-aux-Pattes ! Excusez la familiarité, faut le temps de s’y faire.

— Peu importe, dit Roland. Parle comme tu voudras.

— Le cœur sur la main : on sait à quoi s’en tenir. Pour en revenir à la chose d’être votre bonne d’enfant, je vous dirai que j’y suis tout porté, pas seulement rapport à la galette que la depoiselle m’a allongée, — quoique je ne méprise pas ça, — mais aussi parce que j’ai un petit sentiment à votre endroit. On n’est pas de bois, quoi ! Nous avons traîné la balle ensemble, ça rapproche, quoique nous ne soyons pas de la même catégorie.

— De sorte que tu es prêt à me suivre et à m’aider dans ce que j’entreprendrai ?

— Sauf la considération que je dois à mon pupille, je pourrais en écouter de plus bêtes ! Sans compter que, pour la jugeotte, vous m’avez toujours épaté. Et, maintenant que vous jaspinez comme père et mère, ça serait malheureux de ne pas pouvoir s’entendre.

— Bien. Écoute. Il y a un homme qui a fait mon malheur. Je veux retrouver cet homme.

Godolphin considéra en hochant la tête la formidable carrure du gorille et fit entendre un petit sifflement.

— Vous avez un ennemi ? dit-il. Je ne voudrais pas être dans sa peau.

— Es-tu prêt à m’aider dans mes recherches ?

Le saltimbanque se gratta l’occiput en signe d’embarras.

— Savoir ! fit-il. Ça pourrait mal tourner, le jour où vous lui tomberez dessus. S’il y a de la casse, j’aimerais pas être responsable.

— Je te promets de t’épargner tout ennui. Je cherche une piste, comprends-tu ?

— Vous allez vous faire policier, quoi ? Elle, n’est tout de même pas banale !…

— Je n’emploierai dans mes recherches que des moyens licites, qui ne te compromettront en rien. Le jour où j’aurai trouvé, nous nous séparerons, et j’agirai seul, à mes risques et périls.

— Et aussi à ceux de l’autre ! émit Godolphin, auquel le ton de sourde menace du gorille n’avait point échappé. Ma foi ! mon prince, je suis de la fête. Tant pis pour celui qui vous a fait du tort. Je n’empêcherai jamais un copain de régler ses petits comptes.

— En route, donc ! dit Roland. Nous allons commencer notre enquête.

— On va loin ?

— À Fontenay.

— En ce cas patron, lâchons la bagnole. Un taxi-auto fera mieux notre affaire.

Cinq minutes plus tard, ils roulaient dans la direction de la route de Châtillon.

Le chauffeur, selon les instructions qu’il avait reçues, arrêta l’auto devant la grille de la villa des Roses.

Godolphin seul, descendit. Roland l’avait stylé durant la route.

Un écriteau, appendu à la grille, annonçait que la villa était à louer et qu’on pouvait, pour visiter, s’adresser à la porte voisine.

— Chouette !… murmura le saltimbanque, en suivant ce conseil. Ça va marcher tout seul.

Après quelques pourparlers, une vieille dame loquace le guida vers la villa.

Par la portière, Roland vit le couple traverser le jardin et pénétrer dans l’habitation. Au bout de trois quarts d’heure, ils ressortirent, et Godolphin, laissant la propriétaire refermer la grille, remonta dans l’auto, qui reprit la direction de Paris.

— J’ai les tuyaux, dit le saltimbanque à Roland. Ça n’a pas été trop dur. Quand j’ai eu donné des arrhes en annonçant qu’elles lui resteraient acquises en cas de non-location, la vieille s’est mise à bavarder tant que j’ai voulu.

— Raconte, dit laconiquement l’homme-singe.

— Voilà patron. La villa a bien été louée à la date mie vous disiez. C’était pour un nommé Roland Missandier. La location a été conclue par son domestique, un petit bougre boutonné qui ne lâchait que ce qu’il voulait, comme paroles s’entend, parce qu’en fait d’argent il était plutôt large. Paraît qu’ils se sont installés de nuit, le 15 février, sans tambour ni trompette. La vieille, au matin, a trouvé les volets ouverts, et alors, pendant un mois, ça a été un mic-mac, des médecins qui venaient, qui partaient, qui revenaient. Puis un beau jour, tout a disparu, encore de nuit, ni vu, ni connu. Les médecins sont bien revenus, mais, macache ! y avait plus personne.

— C’est tout ? demanda Roland, profondément désappointé.

— C’est tout, patron… Ah ! y a encore ça : dans la villa, il y avait deux malades. On l’a su dans le voisinage parce que deux infirmiers sont venus, vers les onze heures du soir, casser une croûte dans un café. Et ils ont raconté qu’ils venaient d’aider à emballer deux individus drôlement ficelés. C’étaient les types de la villa des Roses. Paraît qu’ils étaient entortillés dans des couvertures à ne pas laisser le bout de leur nez et qu’ils ne bougeaient pas plus que des morts. On les a fourrés dans une grande auto, sur les banquettes, en vis-à-vis, et puis un petit chauffeur, qui devait être le domestique, a sauté sur le volant et, bonsoir ! en quatrième !

— Quelle direction ont-ils pris ?

— Ça, patron, on ne me l’a pas dit. Et puis, ils ont pu changer en chemin… Vous trouvez que, comme piste, c’est moche ? Le fait est que, pour la suivre, il faudrait avoir le nez creux.

Il parut bien, en effet, que toutes les précautions avaient été prises pour isoler les deux manifestations du faux Roland Missandier. Pour la première, la piste s’arrêtait à la porte de l’institut du scalpel. Sorti de l’ombre, l’homme y était rentré aussitôt et sa courte apparition ne donnait sur lui aucun renseignement utilisable. À Fontenay, la méthode paraissait avoir été la même ; l’homme avait surgi brusquement et disparu de même. Suprême habileté, qui rendait encore plus difficiles les recherches, il avait agi seul. Car, on ne pouvait compter comme complices les deux infirmiers. Avec les médecins et la propriétaire, ils étaient seuls à avoir vu l’homme, sans rien savoir de lui ; ils ne pouvaient donc servir à le rattacher au passé ou au présent. Ainsi, l’isolement du crime était parfait. C’était un éclair au milieu d’une mer de brouillard.

Pourtant, après avoir ainsi plongé, il avait dû reparaître plus loin, très loin, sans doute. Dans deux circonstances encore, il avait dû reparaître aux côtés des héros du drame.

Par Godolphin, Roland savait qu’un vagabond se disait le maître du gorille. Sans doute il l’avait reçu du mystérieux personnage. Mais, ou le fait s’était-il passé ? Comment retrouver ce vagabond ? Que pourrait-il dire ? Indiquer la silhouette du misérable, vague et probablement maquillée. Là encore, Roland ne retrouverait qu’une apparition sans lien avec les autres événements ; la fausse personnalité se devinerait, sans s’affirmer, masquée par son nom à lui, ou à un autre.

Une lettre de Violette lui donna sur l’arrivée de son corps à la gare de Lyon tous les détails qu’il désirait. Mais l’enquête à laquelle il se livra, avec Godolphin, ne lui apporta aucun élément décisif : à Fontainebleau un homme d’équipe se rappelait avoir assisté à l’embarquement, dans un wagon de première classe, d’un être aux allures bizarres, qu’il avait jugé fou ; il était accompagné, mais son compagnon n’attirait point l’attention. Bref, ce n’était qu’une nouvelle apparition, aussi fugitive que les autres. Et celle-là était la dernière. En dehors d’elle, plus de traces, Roland eut beau se tourner dans toutes les directions, refaire pas à pas les trajets supposés de Fontenay à Fontainebleau et de Fontainebleau à Paris, par tous les itinéraires possibles, il n’obtint nul indice. Débarrassé de ses compromettants compagnons, l’homme passait inaperçu. Il fallait être au courant du drame pour deviner sa présence là où s’étaient signalés le malheureux Roland et son double. Entre ces trois apparitions, pas le moindre bout de fil ne traînait. Et sans ce fil conducteur qu’apporte presque toujours le hasard, dieu des enquêtes policières, l’homme-singe se convainquit que toute recherche était vaine.

Imaginez un voyageur cherchant sa route du centre d’une plaine aride, d’un désert de sable qu’encercle un horizon où le ciel se confond avec le sable. Dans quelle direction marcher ? Telle était la situation de Roland.

Aucune preuve matérielle ne subsistait donc du passage du monstre ? Si : la lettre remise au professeur Fringue, et que l’homme-singe avait conservée. Écrite sans préparation, sous les veux des deux savants, d’une main qui ne devait pas hésiter, pour ne point éveiller leurs soupçons, elle devait présenter une écriture sincère, d’où, tout au moins, n’avaient pu être bannies les caractéristiques courantes, formes de certaines lettres, barres, liaisons, qui pouvaient, à l’occasion, permettre des comparaisons et une identification.

Mais pour qu’elle pût être utilisée, il fallait que le hasard désignât l’homme aux soupçons de Roland et que celui-ci pût l’approcher. Entreprise délicate, car la seule vue de sa victime suffirait à mettre l’ennemi en garde, et la forme actuelle de l’homme-singe était une infériorité. N’était-il pas hors la loi ? à la merci du premier geste de défense que légitimerait sa qualité de bête ? Un coup de feu l’abattrait dès sa première apparition ; une simple réclamation obligerait Godolphin à l’enfermer ou à le laisser confisquer par l’autorité, sous couleur de sauvegarder la sécurité publique. Il était une bête, et de la vie ou de la liberté des bêtes, les hommes n’ont point à rendre compte. Comment, dans ces conditions, parvenir, libre et vivant, jusqu’à l’homme, si le hasard s’en mêlait ?

Quant à dévoiler le secret de sa fantastique aventure et à réclamer les secours de la police et de la loi, il n’y fallait pas songer. Invoquer le témoignage du professeur Fringue pour le cabanon.

Seul ! le gorille était seul contre un adversaire inconnu, que soutiendraient, au premier appel, toutes les forces de la société. Il n’était qu’une bête chassant l’homme en pleine civilisation.

Mathématiquement, il devait succomber. Pourtant, il ne renonça pas. Il est vrai qu’à ses yeux, sa vie était un bien faible enjeu, mise en regard de sa vengeance. Il attendit donc et se recueillit, avant d’adopter une tactique nouvelle.

Une prudence instinctive lui avait fait, dès le début de ses recherches, abandonner l’ancien domicile de Godolphin. Tous deux, déménageant nuitamment, avaient transporté leurs pénates dans Paris. Les environs de la Glacière, avec leurs masures isolées, offrirent le gîte sûr que souhaitait Roland.

Or, un beau matin, sans qu’aucun incident justifiât ce renouveau de curiosité, un journal recommença à parler du singe phénomène. « Le filet » se détachait en bonne place, et fut reproduit avec des variantes.

« Qu’est devenu le fameux gorille, demanda en chœur la presse du matin et du soir. Puis, ce furent des insinuations : son escapade en avait fait un danger public ; l’autorité ne pouvait s’en désintéresser ; la police devait aux citoyens de découvrir, son propriétaire et de s’assurer que la bête était suffisamment surveillée. Des avis suivirent, qui promettaient des primes à qui apporterait un renseignement, soit aux journaux, soit à la police. Enfin, un dernier communiqué, d’allure officielle celui-là, invitait le sieur Godolphin ; dernier « manager » de la bête à faire connaître son domicile et à indiquer s’il était toujours en possession de son singe.

Toute cette campagne était si visiblement inspirée que Roland, à qui le saltimbanque en apportait les échos, flaira instinctivement l’ennemi.

Pour quelque motif que ce fût — soit qu’il eût appris les recherches faites à Fontenay, soit que sa haine insatiable ne voulût point perdre de vue sa victime — il s’inquiétait du sort du gorille et avait imaginé ce moyen pour le rechercher, sans se mettre personnellement en avant.

Le fait qu’il se servait de la presse comme d’un projecteur pour fouiller le monde d’un jet de lumière, n’indiquait point une puissance particulière, d’argent ou de relations. Il suffit d’une occasion pour glisser dans l’oreille d’un reporter à court de copie une idée d’écho ; et, avec un peu de chance, celui-ci fait son chemin. Le moyen choisi, l’ampleur du tintamarre obtenu ne suffisaient donc point à situer socialement l’individu qui en était l’instigateur.

Mais, puisqu’il attaquait, il se rapprochait de Roland, il offrait une chance de le découvrir. L’homme-singe se résolut à en profiter, quel que fût le risque.

Après réflexion, il réintégra sa cage et envoya Godolphin faire, au commissariat voisin, la déclaration réclamée.

L’effet fût prompt. La presse cessa de s’occuper du gorille. Ce pouvait être l’indice que, sa curiosité satisfaite, l’inconnu entendait agir personnellement.

Roland demeura dans sa cage et attendit, ayant averti Godolphin du rôle qu’il aurait à jouer, le cas échéant.

Mais, contrairement à ses suppositions, aucun espionnage ne se manifesta autour de la bicoque qu’ils habitaient. L’ennemi ne parut, ni en personne, ni par émissaires.

Seulement, quelques jours après, Godolphin reçut une lettre qu’il s’empressa de communiquer à Roland.

Celui-ci la prît, avec des battements de cœur. Une piste allait-elle se dessiner ?

L’examen de l’écriture lui fît soupçonner qu’elle avait été écrite de la main gauche. Cela témoignait, de la part du scripteur, une méfiance ou une prudence qui pouvaient donner à penser.

Le contenu était bref et banal.

« Monsieur — disait-il — j’ai appris par les journaux que vous étiez toujours en possession d’un gorille, dont les aventures et l’intelligence font un spécimen doublement curieux. Peut-être serais-je acquéreur de cette bête, si vos conditions n’étaient pas trop déraisonnables. Voulez-vous venir m’en causer au café Riche, demain, à cinq heures. Il vous suffira de me demander à la caisse.

A.-L. Handkerson »

La physionomie faussement américaine du nom, à la désinence trop voulue et maladroitement adaptée, pouvait tromper un saltimbanque ; aux yeux de Roland, elle se décelait un masque nouveau ou un appât grossier. Le signataire tenait à excuser sa fantaisie et aussi à la rendre naturelle car une apparence empruntée de milliardaire yankee.

Pour le démasquer plus aisément, il fallait aller à lui sans méfiance. S’il était l’ennemi, ses projets le trahiraient.

— Tu iras au rendez-vous, Godolphin, dit l’homme-singe. Imagine-toi que je suis un gorille comme tous les gorilles, qu’il n’y a rien entre nous et qu’un milliardaire désire m’acheter. Manœuvre comme tu manœuvrerais en cette circonstance. Laisse-toi tenter par la somme, que tu chercheras, naturellement, à faire augmenter le plus possible. Sois cupide et rusé. Fais semblant d’hésiter et ne conclus rien, mais sans décourager l’amateur.

— Compris, patron ! répliqua le saltimbanque, en clignant de l’œil. Mais finalement ?… le magot ? ça me passera sous le nez ? C’est dur de s’allumer là-dessus pour la blague.

— Ne te retiens pas. Je crois que tu pourras empocher la somme.

— Vous laisseriez faire l’affaire ?… Oh ! vous êtes rien chic ! C’est pas que je tienne pas à vous : mais une pareille occase !…

— Tu en profiteras, répéta le gorille. Mais regarde bien l’homme et retiens tout ce qu’il te dira.

— Ayez pas peur ! On ouvrira l’œil et les « esgourdes ».

— Et, naturellement, sur nos petits secrets, ne lâche rien. Je ne t’ai jamais parlé, je ne suis jamais sorti de ma cage, tu n’as reçu aucune visite à mon sujet, nous ne sommes pas allés à Fontenay. Tu attends tout simplement que le bruit de mon escapade, à laquelle tu n’as rien compris, s’apaise et te permette de m’exhiber de nouveau à des conditions avantageuses.

— On dira ça, et, pour le reste, motus !

Le saltimbanque revint le soir, extraordinairement animé.

— Du nanan, patron ! cria-t-il. Pourvu que vous acceptiez !… Vingt mille balles pour bibi deux cents par mois, nourri, logé et blanchi. Car on ne se quitterait pas.

— Comment ça ?

— Ben ! je vous servirais de gardien, kif-kif ici… à une petite différence près… Oh ! c’est un chouette particulier !

L’enthousiasme de Godolphin débordait. Roland coupa court au panégyrique.

— Raconte en détail, dit-il.

— C’est juste ! Si je ne commence pas par le commencement, je ne m’y retrouverais plus. La fin est trop belle !

— D’abord, comment est-il ?

— Vanderbilt ? Oh ! c’est pas un costaud ! un petit gringalet…

— Un petit ?

— Oui, noiraud, avec une barbe qui lui mange jusqu’aux yeux.

À part la taille, Roland n’avait sur son ennemi aucun renseignement qui put constituer un signalement. La barbe n’infirmait ni ne confirmait le léger soupçon que faisait naître la coïncidence de taille ; d’ailleurs elle pouvait être fausse ; elle l’était certainement si l’individu tenait à conserver l’incognito.

— Continue, Godolphin.

— Voilà, Je m’amène à cinq plombes tapant. Je demande l’aristo et on me conduit dans un salon ousqu’il m’attendait, tel que je vous l’ai dépeint. D’abord, on se fait des politesses : C’est vous l’homme ? — C’est vous le monsieur ? Y a du bon. — Qu’est-ce que vous prenez ? Et tout le tralala d’usage entre gens qui vont chercher mutuellement à se rouler. Comme je tenais à rester d’aplomb, je me contente sagement d’un byrrh, mais le gueusard fait laisser la bouteille. Un rupin, que je vous dis ! Enfin, quoi, on trinque et on cause. C’est alors qu’il m’a dégoisé sa proposition, qu’il était acquéreur pour vingt mille balles comptant si ça me chantait. Vous pensez ! Et puis que c’était une fantaisie et que, même, je pouvais me faire une position chez lui, si j’entrais dans ses idées.

— Quelles idées, demanda Roland, en voyant que le saltimbanque s’arrêtait, hésitant.

— C’est ce que je lui ai demandé, comme de juste, répondit Godolphin avec un léger embarras. Faudrait pas que ça vous froisse si je vous ai laissé un peu débiner sans rouspéter. Vous m’aviez dit de vous considérer comme une bête ordinaire.

— Absolument. C’est ce que tu as fait, j’espère.

— C’est ce que j’ai fait, confirma le saltimbanque, soulagé de s’entendre approuver. Sans vos recommandations, j’aurais pas pu encaisser de sang-froid toutes les suppositions qu’il a faites sur votre compte ; car il vous a un peu abîmé de portait, le monsieur. Il a dit que les gorilles étaient de sales bêtes, sournoises et toujours prêtes à un mauvais coup au moment où on s’y attendait le moins ; que votre histoire l’avait bien prouvé. Lui, il était amateur, naturellement, mais il voulait prendre ses précautions. Bref, il n’est pas partisan des singes qui se baladent de la cave au grenier, et, s’il vous achète, c’est pour vous mettre dans une bonne cage, avec un gardien dont il soit sûr, un costaud qui n’ait pas les foies blancs et qui soit susceptible de vous allonger un solide atout en cas que vous feriez le méchant. C’est des mots n’est-ce pas ? J’ai laissé dire. D’ailleurs, je mangeais, parce que, pendant ce temps-là, il avait fait servir un balthazar à la hauteur. Il me guettait du coin de l’œil et, quand il a vu que je ne tiquais pas, il m’a lâché le reste du morceau. Si j’étais pas trop attaché à la bête, ni susceptible d’attachement — ça, il y tenait — je pouvais être cet homme-là et me faire des fentes pour mes vieux jours. D’autant plus que ça ne durerait pas toujours. Quand son caprice serait passé, bonsoir la bête ! Elle prendrait sa retraite au muséum, et moi je me retirerais avec une indemnité, Roland ne perdait pas un mot.

— Qu’as-tu dit ? demanda-t-il.

— Dame ! patron, mettez-vous à ma place, fit le saltimbanque d’un air penaud. Toute cette galette-là, ça m’étoilait le cerveau, et puis, j’avais bu ! Je ne voulais pas manquer la bonne affaire et je sentais bien que c’était oui ou non, sans barguigner. Si, j’avais demandé à réfléchir, il n’y aurait pas cru. Alors, j’ai dit oui.

— Tu as dit oui, s’exclama l’homme-singe.

— Vous fâchez pas. Il est toujours temps de se dédire.

Mais Roland n’y songeait guère. Lui et Godolphin dans la place ! N’était-ce pas une de ces revanches que réserve le destin à ceux dont il a éprouvé la patience ? En profitant de l’occasion qui s’offrait, il serait vite fixé sur les intentions du faux Américain à son égard. Elles l’éclaireraient sur le mystère. Sans doute, à cet instant, il ne pouvait prévoir la tournure des événements. C’était un saut dans l’inconnu, un inconnu plein de dangers. Mais il risquait d’y pêcher la lumière. Et une chance l’accompagnait : Godolphin.

— Pourrai-je compter sur toi ? demanda-t-il. Me demeuras-tu fidèle, au cours de cette aventure ? Seras-tu prêt, non seulement à me défendre en cas de danger, mais à me rendre la liberté quand je te la demanderai ?

— Ça, patron, c’est couru, s’écria le saltimbanque. Mais vous pensez donc qu’il pourrait y avoir du grabuge.

— Oui, dit l’homme-singe.

— Et vous… vous acceptez quand même ? interrogea timidement Godolphin, partagé entre la crainte et l’espoir.

— Oui, si je suis sûr de toi.

— Pas d’erreur ! J’empoche la somme, mais, quand je devrais la rendre, à votre signal je redeviens votre homme.

— Alors, sois sans remords ; tu as bien fait d’accepter.

— Veine ! cria le saltimbanque, soulagé d’un grand poids.

Mais, pris d’une nouvelle inquiétude, il se rembrunit aussitôt.

— Vous savez, patron, expliqua-t-il avec embarras, c’est ce soir qu’il vient nous chercher. Paraît que c’est pressé.

— Qu’il le soit ! murmura l’homme-singe. Je le suis aussi.

Une heure après, une auto s’arrêtait devant la bicoque ; un camion automobile suivait avec une équipe de déménageurs.

Godolphin, qui se tenait sur la porte, vit le chef de l’équipe s’approcher du coupé et engager, par la portière, un colloque avec la personne qui se trouvait à l’intérieur. Le richissime Américain ne descendit pas, mais il passa sa tête hors de l’auto et fit signe au saltimbanque d’avoir à obéir aux instructions du déménageur.

Celui-ci entra dans la cour avec ses hommes, et Godolphin les guida vers la cage, dans laquelle le gorille se tenait, indifférent en apparence, mais l’œil aux aguets.

— Diable ! fit le chef de l’équipe, en l’apercevant. Voilà un particulier qui ne sera pas commode à déménager.

— Oh ! riposta le saltimbanque, de son air le plus naturel, il n’est pas si terrible qu’il le paraît.

Néanmoins les deux déménageurs jugèrent de jeter, par-dessus la cage, une forte bâche qu’ils entourèrent de cordes. Ainsi aveuglé, il était impossible au gorille de rien suivre de la scène. Il sentit seulement qu’on soulevait la cage et qu’on le transportait sur le plateau d’un camion. La voix de Godolphin, se mêlant à celle des déménageurs, l’assura que son allié ne l’abandonnait pas.

Enfin, le camion s’ébranla, avec un grand fracas, emportant l’homme-singe, entouré de nuit.

Cette façon, de voyager dans les ténèbres, vers un but inconnu, caractérisait bien l’aventure dans laquelle il s’engageait. Mais, résolu à en accepter tous les aléas, pour la chance qu’elle lui offrait, Roland ne broncha pas.

Après un trajet assez long, le camion s’arrêta, et la manœuvre recommença pour amener la cage à terre. Elle fut ensuite traînée ; à l’inclinaison qu’elle prit, aux chocs suivis d’arrêts brusques qui lui firent infligés, le gorille devina qu’on descendait un escalier.

Quand la cage fut en place, la bâche enlevée, Roland se trouva dans une sorte de caveau, de dimensions fort restreintes. Les déménageurs se retirèrent, refermant sur eux une porte de fer, selon les indications d’un personnage invisible. L’homme-singe demeura seul au milieu des ténèbres.

Malgré son inébranlable résolution et en dépit du sang-froid qu’elle lui communiquait, il ressentit une légère angoisse. Si ses prévisions étaient justes, il se trouvait aux mains de son ennemi. Celui-ci ne s’était-il point ravisé et n’avait-il pas éloigné Godolphin ? Cela encore pouvait être le résultat d’une dernière et habile machination.

Dans l’ignorance où il était des intentions réelles comme de la personnalité de son persécuteur, Roland pouvait tout craindre. À cette minute, il était à sa merci, sans autres armes que sa force de bête, terrible, sans doute, mais que rendaient illusoire les barreaux de la cage. Il le sentit davantage quand, la solitude et le silence se prolongeant, il empoigna machinalement les tiges de fer entre ses mains puissantes, tentant vainement de les ébranler.

Cette cage, ce caveau, c’était une prison ce pouvait aussi être un tombeau. Et ce dernier raffinement de barbarie n’était pas improbable, étant donnée la haine mystérieuse qui s’acharnait à la perte du malheureux.

Roland frissonna.

Mais la porte s’ouvrit, une lumière frappa en pleine face le gorille arc-bouté sur ses courtes jambes, les mains crispées sur les barreaux qu’elles s’efforçaient de tordre. Un homme parut sur le seuil, suivi de Godolphin.

— Ah ! ah ! fit-il d’une voix brève, en dirigeant sur son prisonnier le réflecteur de la lampe qu’il tenait à la main.

Son visage demeura dans l’ombre ; mais l’homme-singe sentit le feu de deux yeux noirs qui le fixaient.

Lui-même regardait, immobile, hésitant à mettre un nom sur cette face, cachée par une fausse barbe, sur ce front pâle sous les cheveux trop noirs.

Dans son autre main, l’homme tenait un révolver, dont il dirigeait le canon vers la poitrine du gorille ; derrière lui, Godolphin se tenait, pareillement armé et fort embarrassé de son personnage.

— Voici qui n’est pas rassurant, dit A.-K. Handkerson, d’une voix coupante. L’animal s’ennuie et voudrait reprendre la clé des champs.

— La cage est solide, dit Godolphin.

— Résisterait-elle ? En tout cas, voici vos instructions : vous resterez là jusqu’à mon retour. Vous me répondrez de la bête. D’ailleurs cette porte est solide. Elle demeura fermée.

Ces derniers mots, murmurés entre les dents, s’adressaient moins à lui-même qu’au saltimbanque. Mais, ce dernier avait l’ouïe fine ; il les entendit.

— Vous allez me laisser seul là-dedans ? demanda-t-il, d’un air médiocrement enthousiasmé.

— Aujourd’hui seulement. Demain, j’aviserai ; quelques grosses chaînes scellées au mur assagiront notre pensionnaire. Bonsoir.

Il jeta encore un regard au gorille et sortit en refermant la porte sur lui.

Godolphin et l’homme-singe écoutèrent son pas s’éloigner dans l’escalier.

— Ben ! mon vieux, faut croire qu’il a la frousse, murmura le saltimbanque, quand tout bruit se fut éteint

— Ouvre, dit laconiquement Roland.

— Une veine que j’aie conservé la clé du cadenas ! chuchota Godolphin en obéissant… Mais, c’est celle de la porte qu’il faudrait, ajouta-t-il en allant examiner le panneau de fer.

L’homme-singe s’en approcha à son tour ; la porte s’encadrait exactement dans la maçonnerie, d’ailleurs assez grossièrement faite de briques liées par un mauvais mortier. Les doigts du gorille en éraflèrent les bavures qui s’effritèrent.

— J’ai un couteau, proposa Godolphin.

Moitié de la lame, moitié des doigts, l’homme-singe descella deux ou trois briques ; alors passant ses mains dans les ouvertures, il empoigna le panneau de fer et le secoua violemment. Sous l’effort, la maçonnerie se disloqua, libérant la serrure et les deux verrous ; la porte, littéralement arrachée, tourna sur ses gonds.

— Mince de poigne ! murmura Godolphin avec admiration. Mais qu’est-ce qu’il va dire, le monsieur ?

Roland n’écoutait même pas, obsédé par une seule pensée. Cette figure, où l’avait-il rencontrée ? Était-ce celle de l’ennemi ?

— Une preuve ! rugit-il en s’élançant hors du caveau.

Le saltimbanque le suivit.

— Il va y avoir du grabuge, songeait-il en serrant le revolver que lui avait confié Handkerson.

La maison était silencieuse. Du vestibule, dans lequel ils venaient d’émerger, on n’entendait aucun bruit permettant de croire que quelqu’un l’habitait.

— Où sommes-nous ? demanda Roland.

Godolphin fît un geste d’ignorance.

— Ça je ne peux pas vous dire. Je suis venu dans l’auto, avec le type ; pas mèche de regarder par la portière. Et puis, il faisait nuit. Tout ce que je sais, c’est que nous sommes dans Paris.

— Mais, cette maison ?

— Oh ! un petit pavillon. En dehors de notre homme, il ne doit pas y avoir de locataires.

— Des domestiques ?

— Je n’en ai pas vu. C’est le Yankee qui a ouvert.

L’homme-singe regarda autour de lui. Quatre portes ouvraient sur le vestibule. Il se dirigea vers l’une d’elles.

— Entrons, dit-il résolument.

— Gare au « rigolo », si le type est encore là ! murmura Godolphin.

Sans paraître entendre ce rappel à la prudence, Roland ouvrit brusquement.

La pièce — une chambre — était vide ; elle ne semblait point habitée, quoique prête à recevoir un hôte. À côté, un petit salon avait également cet aspect abandonné des pièces dans lesquelles on entre rarement.

Le gorille et Godolphin retraversèrent le vestibule et pénétrèrent dans une des salles faisant face : cuisine inutilisée, devenue débarras, le désordre le plus complet y régnait.

Restait la quatrième pièce, la dernière, le pavillon se composant uniquement d’un rez de chaussée. Celle-là était fermée à clef. Mais d’un coup d’épaule, le gorille jeta bas la porte ; l’intérieur était vide. Décidément, le propriétaire avait quitté le pavillon. C’était vraisemblablement ce qu’avait escompté l’homme-singe pour se livrer en toute liberté, à la perquisition qu’il méditait, car il ne manifesta aucun désappointement.

Ses yeux fouillèrent la pièce, où Godolphin, rassuré pénétra derrière lui.

Si, dans les autres, aucun des objets s’y trouvant ne paraissait pouvoir éclairer la personnalité du faux Américain dans cette dernière, un cabinet de travail, Roland pouvait tenter des recherches, avec quelque espoir de voir sa curiosité satisfaite.

Ce ne devait pas être — pas plus que le reste de l’habitation — l’habituel logis d’Handkerson. Outre qu’elle était fort sommairement meublée d’un bureau et de quelques fauteuils, on n’y voyait point cet éparpillement d’objets, de livres et de papiers qui témoigne d’un labeur quotidien, sans cesse interrompu et sans cesse repris. Ce cabinet ne pouvait être qu’un local accessoire, peut-être retraite ignorée, en tout cas fort éloigné du centre d’occupation de son propriétaire. Sa destination devait être tant, de permettre à celui-ci de s’isoler à son gré que de conserver quelque dossiers secrets, de ceux qu’un homme d’affaire — ou même un particulier, pour peu qu’il puisse envisager ou craindre des indiscrétions aux conséquences désagréables — n’aime point à conserver chez lui.

Le bureau, meuble très simple, semblait seul s’offrir aux recherches, et ses cinq tiroirs, dont les serrures ne constituaient pas de sérieux obstacles, pouvaient être rapidement fouillés.

Ils ne renfermaient d’ailleurs que des choses insignifiantes : papier à lettres, sans entête, fournitures de bureau, et quelques numéros de vieilles revues. Un tri soigneux avait dû en exclure tout ce qui portait la marque du propriétaire ; on n’y trouvait ni cartes de visite, ni factures, ni même un seul chiffon de papier qui portât une ligne d’écriture.

S’étant convaincu, par un examen attentif, qu’une prudence préventive l’avait rendu inutile. Roland rejeta sa glane pêle-mêle dans les tiroirs et promena autour de lui un regard dérouté.

— Y a pas bézeff ! traduisit Godolphin, qui suivait, avec un intérêt bénévole, cette perquisition dont il ne comprenait pas le but.

Un papier clair, à raies vert pâle sur un fond à peine bleuté, tapissait les murs presque nus. Deux gravures, sans cadre, s’y voyaient seulement, fixées par quatre punaises, sur le panneau opposé aux fenêtres. Roland remarqua dépassant l’une d’elles, horizontalement, deux imperceptibles lignes noires, longues à peine de trois centimètres, et qui étaient respectivement parallèles aux bords inférieurs et supérieurs de la gravure. De l’endroit où elles s’interrompaient partait un plissement vertical du papier, comme s’il eût recouvert les charnières d’une porte invisible.

L’homme-singe s’approcha et toucha la gravure : les punaises jouaient dans les trous, ce qui dénotait qu’on les en avait à diverses reprises retirées, puisqu’on les y avait remises. Une secousse imperceptible suffit à la faire tomber : sa chute démasqua, outre les trois lignes d’une petite porte, le trou d’une minuscule serrure. Évidemment, il y avait là une cachette.

— Le couteau, Godolphin, demanda le gorille.

Il glissa la lame dans la fente, un peu au-dessus de la serrure ; une pesée suffit pour ouvrir. Dans l’ouverture. Roland plongea un regard avide. Il y avait un fouillis de papiers, et, jeté dessus, un portefeuille dont l’homme avait dû se débarrasser avant de sortir, jugeant qu’il encombrait sa poche.

Dépliant la lettre remise au professeur Fringue, l’homme-singe en compara l’écriture à celle des papiers renfermés dans la cachette : elles étaient les mêmes.

Et, dans le portefeuille, entre les factures d’un bijoutier et d’une fleuriste, il trouva la coupure d’un « écho mondain » paru dans un journal du jour.

Un nom, tout de suite lui sauta aux yeux ; c’était celui qu’il cherchait, celui de l’homme qu’il venait d’entrevoir devant sa cage et qu’il reconnaissait enfin.

— Borsetti !… murmura-t-il avec un accent d’inexprimable colère. Borsetti ! l’associé de M. Sarmange !…

C’était une véritable révélation.

L’écho — trois lignes — en indiquant le note du criminel donnait en même temps la raison du crime :

« On annonce, disait la coupure, les fiançailles de M. Pasquale Borsetti et de Mlle Violette Sarmange, fille du banquier. »

Le persécuteur de Roland lui prenait sa fiancée.