L’Art de faire les Rapports en Chirurgie/03

CHAPITRE III.

De la Validité des Raports en Chirurgie.


COmme l’uſage des Raports ſur quelque matiere que ce ſoit, n’a été établi en Juſtice, que pour connoître des vérités dont les Juges ne peuvent pas s’inſtruire par eux-mêmes, leurs lumieres, toutes pénétrantes qu’elles ſoient, ne ſuffiſant pas pour les éclaircir à fond du détail de tous les faits qui concernent les différentes profeſſions des hommes, il a été d’une grande importance, particulierement à l’égard des Raports en Chirurgie, qui peuvent quelquefois, comme je l’ai déjà dit, décider de la vie ou de la mort des accuſés, d’engager les Chirurgiens à ne ſe point éloigner de la vérité dans la relations des faits qui dépendent de leur Art.

Or comme il ſe trouve peu de gens ſi confirmés dans le mal, qui ne ſoient intimidés par la religion du ſerment, c’eſt avec raiſon que l’on a ordonné que tous les autres titres dont les chirurgiens pourroient être revétus, ne rendroient point leurs Raports valables, s’ils ne s’étoient aſtraints, par un ſerment exprès, à faire ces Actes avec fidélité.

C’eſt auſſi pour cela que de quelque caractere que les Chirurgiens ſoient pourvûs, ils ne ſont admis par aucun Juge Civil ou Criminel à faire des Raports en Chirurgie, qu’après avoir prêté ce ſerment entre ſes mains : & même que les Juges ſubalternes ſont toûjours bien fondés à demander ce même ſerment, dans les cas extraordinaires, aux Chirurgiens qu’ils nomment d’Office pour faire des Raports, quand même ils ne pourroient pas ignorer que ces dénommés ne l’euſſent déjà fait en des Cours ſupérieures. Ce ſerment eſt donc la premiere condition eſſentielle à la validité des Raports.

Et comme il ne ſuffit pas à un Chirurgien d’avoir un deſſein formé & une obligation indiſpenſable de faire ſon Raport ſans s’éloigner de la vérité, mais qu’il faut encore, pour y bien réuſſir, qu’il ait la capacité requiſe pour diſtinguer le vrai du faux, c’eſt-à-dire, qu’il ait une connoiſſance parfaite de ſon Art & de ſes dépendances, c’eſt ce qui fait auſſi que tous ceux qui ſe diſent Chirurgiens, ne ſont pas admis par les Juges à la preſtation du ſerment néceſſaire pour faire des Raports valables, mais ſeulement ceux qui ont un titre qui répond de leur ſuffiſance.

Auſſi les Juges n’admettent-ils à ce ſerment que les Maîtres Chirurgiens reçûs par les Communautés des Villes, ſoit pour les Villes mêmes, ou pour les Bourgs & Villages de leur reſſort, qui font des Raports dénonciatifs, ſur leſquels on obtient pour l’ordinaire une premiere proviſion, quand les faits le méritent : mais les Chirurgiens du Châtelet Jurés en titre d’Office, font les Raports d’Ordonnance criminelle en ladite Juriſdiction du Châtelet, les viſites des priſonniers & des cadavres, & aſſiſtent à la queſtion que l’on donne aux criminels ; pendant que les Magiſtrats dont la compétence ne regarde que le civil dans le Châtelet même, choiſiſſent ordinairement, pour les Raports, tels Chirurgiens qu’il leur plait, ou dont les Parties conviennent, & les nomment d’Office pour le Raport dont eſt queſtion.

La Cour de Parlement a quatre Chirurgiens, qu’elle choiſit pour toûjours, dont deux ſont dans l’exercice actuel, & les deux autres n’exercent qu’en cas d’abſence, & ſont habiles à ſuccéder aux deux premiers en cas de mort. Ils prennent la qualité de Chirurgiens ordinaires du Roi en ſa Cour de Parlement.

Les autres Cours & Juriſdictions de la même Ville, tant ſupérieures que ſubalternes, s’en choiſiſſent auſſi pour toûjours, ou en nomment d’Office tels qu’il leur plait, quand elles en ont beſoin.

On a créé pour le Châtelet de Paris deux Matrônes Jurées en titre d’Office, pour procéder aux viſitations qui regardent la défloration des filles, & la groſſeſſe, & pour aſſiſter au congrès dans le tems que cette preuve étoit reçûe pour autoriſer le divorce ; & ces Matrônes font leurs viſites & leurs Raports conjointement avec les Chirurgiens Jurés, ou ſéparément, ſelon que les uns & les autres le jugent à propos, à moins qu’il ne leur ſoit expreſſément ordonné, par l’Arrêt ou par la Sentence, d’agir de concert.

Outre ces deux Matrônes Jurées en titre d’Office, la Cour de Parlement en nomme deux par commiſſion. Il y en a deux autres particulierement commiſes pour l’Officialité : & les autres Juriſdictions en nomment d’Office, quand elles croient avoir beſoin de leur miniſtere.

Mais comme la connoiſſance des Médecins & des Chirurgiens Jurés ſur toutes ces matieres, ſont toûjours fort ſupérieures à celles de ces Matrônes, qui ſont la plûpart auſſi préſomptueuſes qu’ignorantes, les Médecins & Chirurgiens Jurés aiment beaucoup mieux, pour l’ordinaire, faire leurs viſites & leurs Raports ſéparément, que de ſe commettre avec ces demi-ſçavantes, que l’on voit ſouvent tomber dans l’erreur par ignorance, par orgueil, ou par opinâtreté. Et entre une infinité d’exemples, que l’on pourroit citer là-deſſus, celui du mois de Novembre 1665 fut funeſte & des plus crians ; les nommées Bourcier, veuve Loudiere, & Marie Garnier femme de Bureau, ayant déclaré par leur Raport qu’il n’y avoit aucun marque de groſſeſſe dans une Particuliere criminelle, qui fut exécutée en conſéquence, & qui néanmoins ſe trouva groſſe de trois à quatre mois dans la diſſection de ſon cadavre : pour raiſon de quoi ces Matrônes Jurées furent interdites, décrétées, ajournées, & ſévérement blâmées & admoneſtées par le Magiſtrat, tant ſur leur impéritie, que ſur leur témérité à décider avec trop de hardieſſe ſur un fait incertain, & ſur lequel il faut convenir que les plus habiles peuvent ſe méprendre.

Auſſi depuis ce tems-là les Juges ne s’en raportent-ils plus à la déciſion de ces Matrônes ; & dès qu’une Criminelle ſe dit groſſe, & que l’on peut en avoir le moindre doute, on differe ſon exécution juſqu’à ce que le tems ait éclairci cet énigme : étant en effet bien plus juſte de retarder la punition d’un crime, que de ſe mettre en danger d’ôter à un innocent la vie ſpirituelle & corporelle.