L’Art de faire les Rapports en Chirurgie/02

CHAPITRE II.

Des différences des Raports en Chirurgie.


TOus les Raports en Chirurgie, tels qu’ils ſoient, peuvent ſe réduire, comme l’a dit l’Auteur de la Doctrine des Raports en Chirurgie, ſous trois eſpeces générales, qui ſont les Raports proprement pris, les Certificats d’excuſe, & les Eſtimations.

Le Raport proprement pris eſt une Certification à Juſtice, faite par un ou pluſieurs Chirurgiens titrés, de l’état où ils ont trouvé le corps humain, vivant, ou mort, dans ſont tout, ou dans quelqu’une de ſes parties. Ces Raports proprement pris ſont de trois eſpeces, ſçavoir, dénonciatifs, proviſoires, & mixtes.

On nomme Raports dénonciatifs ceux que toutes ſortes de Chirurgiens font de quelque bleſſure que ce ſoit, à l’heure même ou bientôt après, en vertu de leur droit de Maîtriſe, à la réquiſition des bleſſés, ou de ceux qui s’intéreſſent pour eux ; auxquels Rapports les Juges n’ont d’égard qu’autant qu’ils le croient juſte & raiſonnable.

Je dis que les Juges n’ont à ces Raports dénonciatifs que l’égard qu’il leur plait, parce que n’étant que des témoignages volontaires, ils ſont ſujets à ſuſpicion. Auſſi n’y a-t-il gueres qu’au Châtelet de Paris, que le Juge Criminel accorde aſſez ordinairement une premiere proviſion à un bleſſé, ſur un ſimple Raport dénonciatif, lorſque l’information eſt forte, & tout-à-fait conforme aux faits énoncés dans le Raport ; & comme cet uſage eſt abuſif ſelon la rigueur des Ordonnances, les Chirurgiens-Jurés du Châtelet ſe ſont de tout tems récriés contre la facilité de ce Magiſtrat, qu’ils prétendent contraires à leurs droits & à leurs priviléges.

Mais ce qui ſe dit ici des Raports dénonciatifs, étoit autrefois mieux fondé qu’il ne l’eſt à préſent. Car quoique les Médecins & Chirurgiens du Châtelet ayent de tout tems voulu ôter à tous les autres Chirurgiens la faculté de faire ces ſortes de Raports, qu’ils prétendoient ne leur pas moins appartenir que ceux qui ſont ordonnés par Juſtice ; cependant, outre le long uſage qui faiſoit une eſpece de preſcription, c’eſt que le ſieur Deſſita, Lieutenant-Criminel, & le Procureur du Roi de ce tems-là, ne ſe prêtoient pas trop à leurs idées ; au lieu que ſon Succeſſeur leur étant plus favorable, ils ne cherchoient, pour revendiquer leurs prétendus droits, que l’occaſion propre à jetter de la poudre aux yeux des ſimples ; & cette occaſion ſe trouva heureuſement, en ce que la nommée M. Anne Giroux ayant été griévement bleſſée à la tête par une chûte de haut, un Médecin de la Faculté de Paris & différens Chirurgiens la panſerent, & étant morte, firent l’ouverture de ſon cadavre, ſans que la Juſtice en eût connoiſſance ; ſur quoi ce Médecin & ces Chirurgiens furent aſſignés à la requête du Procureur du Roi par-devant le Lieutenant-Criminel, pour être condamnés d’avoir excédé leur pouvoir, ayant entrepris, en cas de mort, de prendre connoiſſance d’un délit qui appartenoit à la Juſtice Criminelle. Cette inſtance ayant été vivement pourſuivie, le Médecin & les Chirurgiens taxés d’une entrepriſe téméraire ſur les droits de la Juſtice, furent condamnés à l’amende & aux dépens ; il fut fait défenſes à tous Médecins & Chirurgiens, autres que ceux du Châtelet, de faire à l’avenir aucuns Raports dénonciatifs & autres, à peine aux Médecins d’interdiction, & aux Chirurgiens de fermer leurs boutiques, & de plus grande peine ſelon le cas. L’appel ayant été inceſſamment interjetté de cette Sentence, il ſe fit au Parlement une longue ſuite de procédures, auxquelles la Faculté de Médecine & le Corps des Chirurgiens intervinrent, juſqu’au 20 de Mars 1728, que la Cour de Parlement, après toutes les Parties dûement ouïes, & les délais expirés, rendit un Arrêt qui maintient les Médecins de la Faculté, & les Maîtres Chirurgiens de Paris, dans l’ancien uſage de faire tous les Raports dont ils ſeront requis, à l’exception des cas de mort violente ; & défenſe fut faite au Lieutenant-Criminel, de faire à cette occaſion aucuns Réglemens, tant généraux que particuliers ; enſorte que les Médecins & Chirurgiens du Châtelet ſe trouvent à cet égard entiérement déchûs de leurs anciennes prétentions.

Les Raports proprement pris de la ſeconde eſpece, que l’on nomme proviſoires, ſont ceux qui ſe font par les Chirurgiens Jurés en titre d’Office, prépoſés pour les Raports, & qui ſont ordonnés par le Juge. L’on obtient toûjours pour les bleſſés, au moyen de ces Raports, quand les faits qui ſont raportés le méritent, des proviſions, tant pour leurs alimens & médicamens, que pour leurs frais de pourſuite.

Sous la troiſieme eſpece de Raports proprement pris, que l’on peut appeller mixtes, on comprend ceux qui ſont donnés ſur le ſimple réquiſition des bleſſés, mais qui étant faits ou approuvés par les Chirurgiens titrés, ne laiſſent pas d’être proviſoires, quoique la partie adverſe en puiſſe conteſter l’exécution quand il s’agit d’une ſeconde proviſion, en demandant, par une Requête préſentée au Juge, une contre-viſite ; & en ce cas-là les Juges nomment des Chirurgiens d’Office pour faire le Raport, qui prévaut même ſur celui des Chirurgiens titrés.