Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 53-57).

IX

L’Amour.


Aimez et faites ce que vous voudrez, a dit un Père de l’Église.

Or, c’est en cette parole que se résume tout l’Évangile du Saint-Esprit.

Lorsqu’on aime véritablement on est libre, car l’amour est au-dessus de tous les pouvoirs et l’emporte sur toutes les contraintes.

Ce qui fait que l’humanité n’est pas libre encore, c’est que, jusqu’à présent, elle n’a pas compris ce que c’est que d’aimer.

Jusqu’à présent on n’a compris, sous le nom d’amour, que l’entraînement d’un sexe vers l’autre.

Instinct souvent brutal, toujours égoïste, inconstant comme la vie animale dans ses phases, et plus impitoyable que l’enfer dans sa jalousie insensée ! Étrange amour qui cherche sans cesse des victimes, qui les entraîne sans remords, les saisit sans pitié, les dévore sans horreur, et les abandonne les restes vivants avec dégoût.

Étrange amour dont l’innocence doit se garder comme de la mort !

Le véritable amour est inséparable de l’intelligence et domine les instincts de la vie animale.

Le véritable amour, c’est l’élan de la volonté vers le bien et l’attrait de l’intelligence vers le vrai.

Car le bien n’est que dans le vrai, et le vrai est inséparable du bien.

Aimer une créature humaine, ce n’est pas la convoiter comme une proie, ce n’est pas la désirer pour en jouir seul ; car il y a pour la personne qui en est l’objet quelque chose de préférable à un pareil amour : c’est la haine.

Aimer, c’est vouloir le bien de ce qu’on aime, et se dévouer tout entier au bonheur d’un autre.

Aimer, c’est mettre dans un autre cœur toutes ses espérances et toute sa vie, en sorte qu’on ne souffre que des tourments qui le font souffrir et qu’on ne soit heureux que de ses joies.

Aimer Dieu, c’est aimer la vérité et la justice plus que tous les honneurs et tous les plaisirs de la terre. Mais on ne peut aimer Dieu sans aimer les hommes, car Dieu ne se manifeste à nous que dans l’humanité, et c’est dans l’humanité qu’il veut être aimé de nous.

Celui qui a le plus aimé les hommes a été un homme-Dieu ; car, en poussant l’abnégation de lui-même jusqu’à donner sa vie humaine, il est entré par l’amour dans une vie divine.

Celui qui aime l’humanité tout entière plus que lui-même est un enfant du Christ et un continuateur de son œuvre : c’est un enfant de l’homme-Dieu.

Celui qui aime un peuple plus que lui-même mérite de régner sur ce peuple, et c’est à cette marque seulement que l’avenir devra reconnaître ses rois légitimes.

Celui qui aime son ami plus que lui-même s’élève pour cet ami au-dessus de l’humanité ; il en est l’ange gardien et la providence visible.

Celui qui aime une femme plus que lui-même mérite d’être aimé d’elle et de posséder sa beauté, car il ne la tourmentera pas de ses exigences égoïstes et ne l’abandonnera jamais.

Il a été dit aux anciens : Vous aimerez le prochain comme vous-mêmes.

Eh bien, maintenant, si vous voulez que l’amour vous sauve, aimez votre prochain plus que vous mêmes !

Charité bien ordonnée commence par soi-même, ont dit les égoïstes, pour mentir l’Évangile du Christ.

Et moi je vous dis que, si vous voulez savoir vous aimer vous-mêmes, il faut commencer par aimer les autres.

Car il faut apprendre à donner pour bien recevoir, et le Christ n’a-t-il pas dit que le plus heureux c’est celui qui donne ?

Egoïsme bien ordonné commence par les autres. Voilà la maxime qu’il faut opposer à celle des hommes sans amour.

Ce n’est que par un grand et intelligent amour que nous saurons vaincre nos passions et résister à celles des autres.

Le véritable amour est fort comme Dieu, et c’est pourquoi il n’a pas peur des hommes.

Et comme il domine les convoitises avec leurs désirs injustes et leurs craintes serviles, il est seul véritablement libre.

Voilà pourquoi, jusqu’à présent, pour les multitudes, la liberté n’a été qu’un mot. C’est qu’il faut affranchir intérieurement les hommes avant de briser leurs chaînes extérieures, autrement on déchaîne des bêtes féroces, et on livre le petit nombre des sages aux fureurs de la foule insensée.

Travaillez donc d’abord à votre affranchissement moral, frères qui voulez être libres, et avant d’opposer la force à la force demandez-vous si vous êtes des hommes ou des brutes, si vous obéissez à des instincts ou à la raison, si vous convoitez ou si vous aimez ?

L’amour, c’est la vie ; l’amour, c’est la force ; l’amour, c’est la puissance ; l’amour, c’est la liberté !

C’est l’amour qui crée, c’est lui qui conserve, c’est lui qui sauve, c’est lui qui régénère.

Et voilà pourquoi l’avenir appartient à la femme, car l’amour a trois phases de développement.

Il est filial d’abord, puis conjugal, puis maternel.

Ce dernier terme est le plus parfait, et c’est par lui que l’humanité communie avec Dieux[1].

La femme s’élève donc plus haut que l’homme sur l’échelle de l’amour, et quand l’amour dominera la force, la femme sera la reine du monde.

  1. Flora écrivait habituellement le mot Dieu avec un x.