Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Juillet 1830 (RÉVOLUTION DE)

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1093-1094).

Juillet 1830 (révolution de). Les causes déterminantes de la révolution de Juillet, personne ne l’ignore, furent la nomination d’un ministère ultra-rétrograde, la dissolution de la Chambre et la publication des fameuses ordonnances. Mais, depuis longtemps, le régime restauré en 1814 et 1815 était condamné dans l’esprit public. L’âme de la révolution s’était réveillée avec une puissance irrésistible, et la nation vivait dans l’attente de cette convulsion qui devait emporter ce dernier vestige de la vieille monarchie, ces pâles survivants des Bourbons, que les baïonnettes étrangères avaient ramenés du fond de l’émigration. Depuis la mort de Louis XVIII surtout, l’issue n’était plus douteuse ; en voyant monter sur le trône le comte d’Artois, le libertin converti, l’instrument aveugle des congrégations, l’ennemi déclaré des gouvernements constitutionnels, le prototype de l’émigré, la France tressaillit et se prépara. Le duel, d’ailleurs, était commencé depuis longtemps, et la victoire probable de l’idée révolutionnaire apparaissait aux yeux de tous. Charles X était pour ainsi dire le seul homme en France qui crût encore sérieusement à la monarchie de droit divin, qui persistât dans la tradition d’un principe éteint et dans l’espoir d’un retour à l’ancien régime. Du moins n’avait-il pour appui qu’une poignée d’insensés qui vivaient de l’espoir de réactions chimériques. Mais on trouvera ailleurs (v. Charles X, Restauration, etc.) l’esquisse de ce régime ; ici, nous n’avons à nous occuper que du fait même de son anéantissement.

La dissolution de la Chambre n’avait paru et n’était en effet que le prélude d’un coup d’État, dont la proposition formelle avait été faite au conseil des ministres par M. de Chantelauze dès les premiers jours de juillet. De nouvelles élections avaient donné encore une fois la majorité aux libéraux ; mais le gouvernement était résolu à ne pas laisser la Chambre s’assembler. Le 25 juillet, les ministres réunis à Saint-Cloud, en présence du roi et du dauphin, signèrent enfin les ordonnances, que depuis quelque temps on préparait en silence ; le 26, elles parurent au Moniteur, présentées comme d’indispensables réformes, et précédées d’un rapport un roi émaillé de tous les sophismes accoutumés, à savoir, qu’on ne sortait de la charte que pour rentrer dans la charte, dont l’interprétation appartenait au roi, etc. En résumé, les ordonnances détruisaient en réalité la liberté de la presse, établissaient un nouveau système électoral calculé pour anéantir la liberté du vote, et dissolvaient l’assemblée nouvelle avant même qu’elle eût été réunie.

Les hommes qui jetaient ainsi le défi à la nation et qui prétendaient la ramener au pouvoir absolu, les insensés qui jouaient cette partie terrible, instruments et conseillers d’un prince abêti, étaient suffisamment connus par leur esprit rétrograde et leur incapacité ; c’étaient un Polignac, un Chantelauze, un Peyronnet, un d’Haussez, un Guernon-Ranville, un Vaublanc, etc.

À Paris, l’impression fut profonde, bien qu’on s’attendît à tous les excès du pouvoir. Cependant la journée du 26 fut relativement calme. Au Palais-Royal, seulement, on vit quelques jeunes gens monter sur des chaises, comme autrefois Camille Desmoulins, et semer l’agitation par des discours enflammés. Les étudiants commencèrent à se remuer. Les journalistes s’assemblèrent dans les bureaux du National, et, après d’orageuses discussions, rédigèrent cette protestation célèbre, acte de patriotisme et d’énergie qui pouvait conduire les signataires sur l’échafaud. Les uns, comme les ardents rédacteurs de la Tribune, voulaient qu’on dépliât le drapeau tricolore et qu’on appelât le peuple aux armes ; d’autres plus prudents, comme MM. Thiers et Mignet, voulaient se maintenir sur le terrain légal et organiser la résistance par le refus de l’impôt. En principe, il fut admis que ce serait au nom de la charte violée qu’on protesterait contre le coup d’État.

Quelques députés, réunis chez M. Delaborde, étaient livrés aux mêmes débats. Parmi les plus résolus figuraient Bavoux, Daunou, Villemain, de Schonen. Casimir Périer, malgré sa véhémence naturelle, ne cherchait qu’à contenir les esprits.

La bourgeoisie se montrait fort irritée ; de toutes parts, les industriels fermaient leurs ateliers, avec l’intention non dissimulée de pousser les ouvriers sur la place publique. Mis dans l’impossibilité matérielle de paraître, les journaux s’adressaient à l’autorité judiciaire. Le Courrier français, le Journal du commerce et le Journal de Paris obtinrent de M. Debelleyme, président du tribunal de première instance, une ordonnance qui prescrivait aux imprimeurs de prêter leurs presses aux journaux non autorisés.

Le 27, la National, le Temps, le Globe parurent, malgré les ordonnances, et furent répandus à profusion. Des troupes d’étudiants et d’ouvriers parcouraient Paris au cri de Vive la charte ! Le pouvoir chargea le duc de Raguse du commandement de la capitale ; choix tout à fait malheureux, car il n’y avait pas de nom plus impopulaire et plus détesté. Bientôt les épisodes révolutionnaires commencèrent à se multiplier. La réunion des électeurs et d’autres assemblées improvisées agitaient la question d’une prise d’armes générale. Casimir Périer, Sébastiani, Dupin, Thiers continuaient à faire tous leurs efforts pour qu’on se bornât à la résistance légale. Cependant les députés signèrent une protestation, du moins une partie de ceux qui étaient arrivés à Paris.

La police fait irruption dans les bureaux des journaux qui ont osé paraître ; mais il se passe là des scènes significatives : des serruriers appelés refusent de forcer les portes, et les commissaires sont obligés de recourir à celui qui rivait les fers des forçats.

Le sang coula sur quelques points, mais à sept heures il n’y avait pas encore eu d’engagement sérieux. Enfin, le premier coup de fusil fut tiré et une barricade construite à quelques pas du Théâtre-Français. La cavalerie balayait les rues par des charges multipliées ; Paris frémissait comme à l’approche des grandes luttes ; la bourgeoisie se mêlait ouvertement au mouvement ; il était visible qu’un choc formidable allait avoir lieu. Le drapeau tricolore parut sur quelques points, excitant une émotion générale ; l’École polytechnique, agitée par Charras, envoyait des délégués à La Fayette, à Laffitte, etc., pour offrir son concours actif. Enfin, dans la soirée, au milieu d’une foule de petites luttes partielles, Paris se hérissait çà et là de barricades. Malgré les temporiseurs prudents et pusillanimes, la révolution commençait.

Dès le matin du 28, toute la population était debout, les citoyens s’armaient comme ils le pouvaient ; le libraire Joubert, au passage Dauphine, le député Audry de Puyraveau, dans sa maison, Étienne Arago, sur la place de la Bourse, Charles Teste, etc., distribuaient des armes au peuple. Les élèves de l’École polytechnique, licenciés, se jetaient sur la place en uniforme, aux cris de Vive la liberté ! Vive la charte ! À bas les Bourbons ! et prenaient le commandement de troupes de citoyens. Une foule d’anciens gardes nationaux (la garde nationale avait été licenciée en 1827) se joignaient également aux combattants. La bataille s’engagea de tous les côtés. La garde royale et les Suisses montraient un grand acharnement ; mais les troupes de ligne ne paraissaient généralement combattre qu’à regret. Le tocsin sonnait à Notre-Dame et dans une foule d’autres églises. L’Hôtel de ville fut pris et repris plusieurs fois, pendant une fusillade et une canonnade de douze heures. À l’attaque du pont de la Grève, où commandait Charras, un de ces enfants de Paris, comme on en rencontre tant dans les fastes révolutionnaires, s’illustrait par son héroïsme sur ce pont qui reçut son cadavre et qui a gardé son nom (Darcole).

Si des hommes politiques, comme M. Thiers et autres, s’étaient enfuis prudemment ou cherchaient à entraver l’action, une foule de citoyens courageux qui avaient tout à risquer s’étaient précipités dans l’action, corps et biens. Il suffira de rappeler les noms des Arago, de David (d’Angers), d’Audry de Puyraveau, de Mauguin, de La Fayette, de Laffitte, de Dupont (de l’Eure), etc.

Marmont avait établi son quartier général aux Tuileries ; adversaire des ordonnances, il était dans la fatalité de sa vie de se rendre plus odieux encore en versant le sang français pour une cause qu’il servait sans enthousiasme. Arago, Laffitte et quelques députés allèrent le trouver au nom de leurs collègues, pour le supplier d’arrêter l’effusion du sang. Ils n’en purent obtenir que la promesse d’en référer au roi, qui était à Saint-Cloud. Il écrivit en effet pour obtenir le retrait des ordonnances. Mais la cour, en sûreté loin du combat, ne répondit que par un refus hautain. La bataille continua. Le 29, l’insurrection fit de nouvelles et importantes recrues ; les généraux Dubourg et Gérard, notamment, se mirent à la tête de détachements qui se dirigeaient vers le Louvre et les Tuileries. Sur ce point, la lutte fut acharnée ; les Suisses se défendirent avec un courage digne d’une meilleure cause ; mais après plusieurs heures de combat, le peuple emporta le château. Déjà il était maître de l’Hôtel de ville et des points les plus importants. Marmont dirigea ce qui lui restait de troupes vers les hauteurs de Saint-Cloud. La royauté avait décidément perdu cette bataille suprême qu’elle avait eu l’imprudence de livrer. Cependant quelques sanglants épisodes eurent encore lieu sur plusieurs points occupés par des détachements de la garde royale. Mais bientôt Paris tout entier appartint au peuple. Une joie immense emplit tous les cœurs : les Bourbons étaient abattus ; c’était comme une revanche de l’invasion.

Tandis que la fusillade s’éteignait et que devant le Louvre et ailleurs on creusait de grandes fosses pour y ensevelir les soldats de la liberté triomphante, on s’occupait à l’hôtel Laffitte de fonder une dynastie nouvelle.

La Fayette, nommé commandant de la garde nationale réorganisée, allait s’installer à l’Hôtel de ville et recevoir ces acclamations populaires dont il jouissait avec délices et qui lui troublaient la vue. Une commission municipale faisant fonction de gouvernement provisoire, et composée de MM. Casimir Périer, Lobau, Schonen, Audry de Puyraveau et Mauguin, s’installait également dans le palais communal et choisit M. Odilon Barrot pour secrétaire.

Cependant, atterré par les événements, Charles X se résigna à révoquer les ordonnances quand il n’était plus temps de le faire. M. de Sémonville, après mille efforts, vint annoncer cette belle nouvelle à l’Hôtel de ville. « Il est trop tard ! lui cria M. de Schonen ; le trône de Charles X s’est écroulé dans le sang ! »

Abandonné de la plus grande partie de ses troupes, l’ex-roi, après mille projets vains et vingt-quatre heures d’anxiété et d’irrésolution, dut se résigner à la retraite et prit avec sa famille le chemin de Rambouillet.

À Paris, les intrigues continuaient pour investir le duc d’Orléans de la royauté vacante. Laffitte, Béranger, Thiers, Mignet et d’autres hommes d’une haute notoriété s’y employèrent avec autant de chaleur que d’activité. Une proclamation en ce sens fut rédigée et publiée. Dans la journée du 30, les députés, réunis en grand nombre dans la salle de leurs séances, pourvurent aux services publics et commencèrent à se constituer, pendant que les meneurs envoyèrent à Neuilly une députation pour ramener le duc d’Orléans à Paris.

L’opposition à l’avénement de l’orléanisme ne pouvait être longue ; le peuple flottait dans l’incertitude et le parti républicain n’existait pas. Après de longues hésitations pour accepter ce qu’il convoitait si visiblement depuis longtemps, le duc d’Orléans, voyant la victoire assurée, se décida enfin à recevoir le titre de lieutenant général du royaume, que les députés lui avaient décerné.

Il alla chercher à l’Hôtel de ville la sanction révolutionnaire, et, avec sa finesse habituelle, il se présenta comme un ancien garde national venant rendre visite à son ancien général (La Fayette), et il annonça que la charte serait désormais une vérité.

Il se montra aux fenêtres embrassant La Fayette et le drapeau tricolore, il s’attendrit suffisamment sur l’héroïsme populaire, parla avec effusion de la liberté, des droits de la nation… ; bref, il joua fort convenablement son rôle.

C’était la petite pièce après la grande. La Fayette avait quelques velléités républicaines. Le prince parla avec admiration des États-Unis et finit par conclure qu’il fallait à la France un trône entouré d’institutions républicaines.

Afin que rien ne manquât à cette haute comédie, le 1er août, Chartes X envoya de Rambouillet son approbation à la nomination de son cousin comme lieutenant général. En échange, le « bien-aimé cousin » prenait des mesures décisives pour hâter le départ de ce fantôme, et il faisait publier dans les journaux des factums contre la légitimité du duc de Bordeaux. En outre, un homme dévoué, le colonel Jacqueminot, provoquait cette marche du peuple parisien sur Rambouillet, qui eut pour effet d’obliger Charles X à reculer encore, et finalement à s’embarquer à Cherbourg pour son exil définitif.

Quelques jours plus tard, la Chambre des députés, après quelques modifications à la charte, termina cet imbroglio politique en élevant le duc d’Orléans au trône, par 219 voix contre 33.

La nouvelle royauté fut inaugurée au chant de la Marseillaise, au bruit du canon, et La Fayette, détrempé par mille caresses et autant de protestations, toujours naïf, malgré son grand âge, s’applaudit du résultat et trouva que décidément cet établissement était la meilleure des républiques.

On sait combien de temps l’honnête et vénérable étourdi garda ses illusions.