Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Juillet 1830 (ORDONNANCES DE)

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1093).

Juillet 1830 (ordonnances de). Elles furent la cause déterminante de la révolution. Dans sa lutte insensée contre le pays, Charles X était depuis longtemps résolu à pousser la résistance jusqu’aux dernières extrémités, c’est-à-dire jusqu’à un acte royal, autrement dit jusqu’à un coup d’État. La dissolution de la Chambre, la constitution du ministère Polignac éclairaient assez l’opinion sur les projets de la faction. Dès le mois de mai, l’hypothèse de la réélection d’une Chambre hostile (c’est-à-dire libérale) avait été l’objet des délibérations du conseil des ministres, et il avait été décidé que, dans ce cas, « le roi aviserait, » et qu’il ferait usage du pouvoir que lui donnait l’article 14 de la charte. Cet article portait : « Le roi est chef suprême de l’État… Il fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et à la sûreté de l’État. »

C’est sur ce texte élastique que le roi et ses ministres comptaient s’appuyer pour justifier leurs coups de force et résister à la nation.

On connaît le résultat des élections : l’opposition, quoique dynastique, revenait plus forte et plus décidée. Le gouvernement n’hésita plus. Dans le conseil, deux ministres, MM. de Peyronnet et de Guernon-Ranville, firent bien quelques objections contre l’opportunité des mesures projetées, mais finirent par se laisser convaincre. M. de Peyronnet se chargea même de préparer l’ordonnance sur le nouveau système électoral qu’on avait imaginé ; M. de Chantelauze accepta la tâche de rédiger l’ordonnance contre la presse, ainsi que le rapport qui devait précéder et justifier cette double violation du pacte constitutionnel.

Ceci se passait dans les premiers jours de juillet.

Malgré les précautions prises pour que le secret fût gardé, il transpira cependant quelque chose dans le public des projets gouvernementaux. L’inquiétude était extrême, et les spéculations de bourse, comme à la veille de toutes les crises, dénotaient par leurs fluctuations précipitées l’incertitude et l’anxiété des esprits.

Jusqu’à la fin, le roi et ses ministres dissimulèrent avec le plus grand soin. Les Chambres devaient se réunir le 3 août ; on affectait de poursuivre les préparatifs de cette solennité, on fixait à l’avance l’ordre des travaux ; enfin, le 24 juillet, on envoya aux pairs et aux députés les lettres closes habituelles pour assister à la séance d’ouverture.

Ces manœuvres n’avaient pour but que de tromper le public et de couvrir les dispositions secrètement prises dans l’hypothèse d’une résistance et d’un conflit.

Le lundi, 26 juillet, les ordonnances parurent au Moniteur, précédées d’un Rapport au roi, pièce grossièrement sophistique qui contenait l’exposé de la situation politique intérieure, signalait la presse comme la source de tous les maux, comme un dissolvant auquel nulle force, nulle institution, nul gouvernement ne pouvaient résister ; comme une école de scandale, de licence et de mensonge qui altérait les mœurs et le caractère de la nation ; comme un objet d’alarmé pour les hommes honnêtes et paisibles, etc. La charte, d’ailleurs, n’a pas concédé formellement la liberté des journaux et des écrits périodiques ; c’est là une spéculation qui doit être soumise à la surveillance de l’autorité publique… Une démocratie turbulente tend à se substituer au pouvoir légitime ; elle dispose de la majorité des élections par le moyen des journaux et par le concours d’affiliations nombreuses… Bref, la constitution était ébranlée, et le roi seul avait le droit et la force de la raffermir sur ses bases. Le moment était donc venu de recourir à des mesures en dehors de l’ordre légal, afin de rentrer dans l’esprit de la charte.

Cette violation de la charte, présentée comme un retour à la charte, était d’une effronterie familière à tous les fauteurs de coups d’État. On sait qu’en brumaire Bonaparte ne détruisit la République que pour la raffermir, et que le dictateur du 2 décembre déclarait ne sortir de la légalité que pour rentrer dans le droit.

Les ordonnances étaient au nombre de cinq. Nous n’en donnerons pas ici le texte, non plus que celui du Rapport. Ces pièces, qu’on trouve d’ailleurs dans toutes les histoires de la Révolution de 1830, nous prendraient un grand espace sans beaucoup d’intérêt pour nos lecteurs. Nous croyons donc suffisant d’en présenter une analyse succincte.

La première ordonnance supprimait la liberté de la presse périodique, et soumettait tous les journaux ou recueils, sans distinction, à une autorisation préalable qui devait être renouvelée tous les trois mois et qui serait toujours révocable. Tout écrit au-dessous de 320 pages ne pouvait non plus paraître sans autorisation du ministre ou des préfets.

Ces dispositions amenaient nécessairement la suppression de tous les journaux opposants ; elles équivalaient à la confiscation, ou du moins à la destruction de propriétés particulières.

La deuxième ordonnance prononçait la dissolution de la Chambre des députés, avant même qu’elle eût été réunie, c’est-à-dire qu’elle cassait des élections qui avaient été faites régulièrement.

La troisième et la quatrième établissaient un système électoral qui réduisait la Chambre de près de moitié, lui enlevait le droit d’amendement direct, excluait la masse des patentés des listes électorales, où ne figuraient plus que les hauts propriétaires, les plus imposés de chaque département, les seuls qui conservassent le vote direct, où tout enfin était calculé pour anéantir la liberté et la sincérité du vote, et faire de la représentation nationale une espèce de commission asservie au gouvernement et à l’aristocratie.

Enfin, la cinquième ordonnance appelait au conseil d’État les ultra-royalistes les plus décriés : un Delavau, encore couvert du sang versé dans la rue Saint-Denis ; un Dudon, regardé comme le plus grand déprédateur de l’époque ; un Forbin des Essarts, fameux par ses fureurs dans les Chambres ; un Vaublanc, un Cornet d’Incourt, et d’autres encore, instruments des jésuites, orateurs serviles ou complaisants de la faction.

La publication des ordonnances causa une profonde stupeur dans Paris, bien qu’on s’attendît à quelque chose de semblable. À l’article consacré ci-après à la révolution de Juillet, on trouvera le résumé des événements qui suivirent, la protestation des journalistes, l’agitation, puis le soulèvement du peuple ; enfin, le renversement de Charles X, qui, à la dernière heure du grand drame, quand des flots de sang avaient coulé, essaya de sauver sa couronne en consentant à retirer les ordonnances. Mais on sait avec quel méprisant dédain fut accueillie cette concession in extremis ; on connaît la réponse des événements ; ce fut le mot terrible et décisif des révolutions triomphantes : Il est trop tard !