Traduction par Josefa Božena Koppová.
Imprimerie Dr. Ed. Grégr. (p. 256-280).
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xiii.


Le printemps s’enfuyait à grands pas. Le monde travaillait déjà dans les champs ; les lézards et les serpents se réchauffaient déjà sur le haut de la côte, en si grand nombre que les enfants qui allaient cueillir des violettes et des muguets sur la montagne sis en contre-bas clu château, en avaient toujours peur. Mais grand’mère leur répétait qu’ils devaient être sans crainte ; que jusqu’à la saint Georges, nul animal n’est venimeux ; qu’on peut alors le prendre sans danger dans la main. Ce n’est ajoutait-elle, que quand le soleii est déjà bien haut, qu’ils contractent du venin !

Dans la prairie, derrière la digue fleurissaient les grandes pâquerettes et les renoncules. D’autres primevères montraient, les unes, leur bleu d’azur ; les autres, leur jaune d’or. Les enfants ramassaient diverses sortes d’herbes tendre pour les mettre dans la soupe ; ils rapportaient aussi des orties pour les oisons ; et aussi souvent que grand’mère entrait à l’étable, elle promettait à Straka la vache, de l’envoyer bientôt au pâturage. Les arbres furent en peu de temps couverts de leurs feuilles ; des moucherons se jouaient gaîment dans l’air, l’alouette s’élevait très haut vers les nuages ; les enfants l’entendaient bien chanter ; mais ils n’apercevaient que rarement le petit oiseau chanteur.

Ils écoutèrent aussi le coucou, et lui criaient dans la forêt : « Coucou dis nous, combien d’années nous vivrons encore ? » Il coucouait quelque fois ; mais quelquefois aussi Adèle se fâcha contre lui de ce qu’il faisait exprès de ne pas coucouer. Les garçons apprirent à Adèle à se tailler des sifflets avec du saule ; et quand le sifflet ne voulait rendre aucun son, la faute en était, disaient-ils, à elle-même, qui n’avait pas su bien tailler son sifflet. « Et vous autres filles, vous ne savez même pas faire un sifflet, lui disait Jean qui se moquait d’elle.

« Ce n’est pas notre affaire ; et toi tu ne pourrais jamais faire un pareil chapeau » lui dit Barounka, en montrant à ses frères un petit chapeau fait de feuilles d’aune, et garni de marguerites, dont elle avait attaché les feuilles l’une à l’autre avec des aiguilles de sapin.

C’est tout de même un grand art, dit le garçon en secouant la tête. « Non pas pour moi, mais pour toi » répondit en riant Barounka, qui se mit alors à garnir le chapeau, et à faire un corps de poupée de la moelle de sureau.

Cependant Jean avait mis sur ses genoux une baguette de sureau, et s’adressant à Adèle : Allons ! écoute, lui dit-il, et regarde bien comme je vais faire ; et se mettant à tailler son morceau de sureau : « Taille toi bien, petit sifflet. Ou si tu ne te tailles pas bien, je me plaindrai à monsieur le prince et il te donnera un tel coup que tu en voleras jusqu’à la cruche d’or.

Le sifflet était fini, et sifflait bien. Mais Guillaume fit la réflexion qu’on ne l’entendrait pas aussi bien que celui du berger Venceslas. Alors il n’eut plus de goût à faire des sifflets ; il disposa des baguettes du menu pour en construire une petite voiture, à laquelle il s’attela et se mit à courir par la prairie, avec les chiens derrière lui.

En donnant à sa sœur une petite poupée qu’elle avait faite Barounka ajouta : Tiens, voilà ! mais apprends à en faire toi même, en attendant que nous fréquentions l’école ; car si tu ne sais rien faire, qui jouera avec toi ? Tu resteras seule ici. Grand’mère y sera, répondit la fillette avec une certaine mine qui montrait bien, que cette solitude ne lui serait pas trop agréable, mais serait au moins supportable, à raison de la présence de grand’mère. En ce moment le meûnier passait, et tendant une lettre à Barounka il dit : Courez la porter à votre maman, et lui dites qu’un garçon du moulin à été à la ville, où il l’a reçue au bureau de poste.

« C’est une lettre de papa ! » s’écrièrent les enfants joyeusement et en courant à la maison. Madame Proschek lut la lettre, le visage royonnant de joie : la lecture terminée elle annonça à tous que leur père arrivait vers le quinze du mois de mai, ainsi que madame la princesse.

« Combien de fois avons-nous à dormir encore ici-là ? » demanda Adèle. —

« À peu près quarante fois, » dit Barounka.

« Oh Dieu, cela durera encore assez longtemps, » dit la fille en fronçant les sourcils.

« Mais sais-tu bien ce que je vais faire, disait Guillaume par manière de conseil : tracer quarante lignes sur la porte, et tous les matins en me levant j’en effacerai une. »

Oui, fais-le, dit la mère en riant, le temps s’écoulera plus vite.

Le meûnier qui venait de la digue s’arrêta. L’expression de son visage était soucieux, il ne faisait ni grimaces, ni clignotements d’yeux ; la tabatière qu’il avait à la main, ne tournait pas entre ses doigts ; « Savez-vous ce qu’il y a de nouveau, mes gens ? dit-il en entrant dans la chambre.

« Qu’est-ce qui est arrivé ? » demandèrent grand’mère et madame Proschek tout d’une voix ; car elle reconnurent que le père meûnier n’était pas comme à l’ordinaire.

« Il y a que la montagne nous envoie l’inondation ! »

« Dieu nous préserve de la voir arriver subite et terrible, » dit grand’mère effrayée.

« J’en ai bien peur, » dit le meûnier. « Nous avons eu pendant plusieurs jours, les vents du midi ; puis il est tombé beaucoup de pluie dans les montagnes, et quand mes pratiques au haut pays arrivaient à la mouture, elles racontaient que tous les étangs étaient débordés et que la neige fondait rapidement. Je crois cette année, à une inondation assez funeste. Je retourne bien vite à la maison, pour tout soustraire au vilain hôte qui vient nous visiter. Je vous conseillerais de prendre aussi toutes vos précautions ; car on ne peut jamais être trop circonspect. Je reviendrai vous voir dans l’après-midi. Faites bien attention à la crûe des eaux ; et vous enfants, n’allez pas trop près de l’eau, comme des linots et des linottes ajouta-t-il en pinçant la joue d’Adèle. Il dit, et s’en alla.

Grand’mère alla voir à la digue. Des deux côtés de la digue avaient été établies des chaussées fortement palissadées en bois de chêne, et entre lesquelles croissaient des fougères. Et en examinant les parvis de la chaussée, grand’mère vit que l’eau avait beaucoup monté, et que les fougères les plus basses étaient déjà sous l’eau. Sur ces eaux troublées et sales le courant charriait des pièces de bois, des lits de gazon et des rameaux d’arbres. Grand’mère rentra soucieuse à la maison. Quand, par le passé, venait la débâcle, il était arrivé souvent que les glaçons s’étaient amoncelés à la digue, et qu’alors le torrent de la rivière passant dans la rigole inondait tous les bâtiments. C’est pourquoi on était toujours en crainte, quand la glace commençait à se gercer ; mais alors des garçons du moulin étaient toujours de garde à l’effet d’éloigner le danger en réparant sans cesse les amas de glaçons qui tendaient à se fermer. Mais, cette fois, devant l’inondation qui venait des eaux descendant de la montagne, pas moyen de se préserver. Elle accourait des montagnes comme un cheval sauvage, entraînant tout ce qui se trouvait sur son passage, ruinant rives et chaussées, emportant arbres et habitations, et tout cela si précipitamment que les gens n’avaient pas le temps de voir où ils en étaient. Seulement comme grand’mère avait déjà fait expérience de tout cela, elle ne rentra à la maison que pour conseiller de monter au grenier tous les objets et meubles qui garnissaient le rez-de chaussée.

Sur ces entrefaites arriva le chasseur qui en descendant de la forêt du côté des scieries, avait entendu dire que l’eau augmentait, et il avait voulu se rendre compte lui-même de la marche du fléau. « Les enfants ne seraient, dit-il qu’un embarras, et si le danger devenait pressant, que deviendraient-ils ? »

Il fit l’offre la plus obligeante : « je vais les prendre chez nous là-haut, » dit-il, et ce parti contentait fort les deux maîtresses. Cependant on multipliait les rangements et les transports de maison. On faisait monter la volaille vers la côte, et on conduisit la vache chez le chasseur.

« Et à présent il faut que vous suiviez les enfants, pour que la femme du chasseur n’eut pas trop de peine avec eux, dit grand’mère à sa fille et à Betka, quand toute disposition eut été prise ; pour moi, je reste ici avec Ursule. Et si l’eau vient à envahir le bâtiment, nous monterons au grenier ; mais j’espère, qu’avec l’aide de Dieu, tout n’ira pas si mal que nous soyons emportées avec la maison, à raison de la pente moins rapide elle se trouve moins compromise que celle du moulin ; les pauvres gens, ils doivent être bien inquiets ! Madame Proschek fut longtemps sans vouloir consentir à ce que sa mère restât, mais comme celle-ci ne céda pas, elle fût obligée de partir sans elle. Au moins que les chiens ne vous quittent pas ! Ce fut la dernière recommandation qu’elle fit à sa mère en quittant la maison.

« Ne crains rien, ils savent très bien, où trouver protection ; ils ne nous quitteront point. » Et en effet grand’mère pouvait aller ici ou là ; Sultan et Tyrl étaient toujours sur ses traces, et quand elle s’assit avec son fuseau, près de la fenêtre d’où l’on voyait la rivière, ils se couchèrent à ses pieds. Ursule, qui passait ordinairement les journées à frotter, à laver, à ranger, se mit alors à nettoyer les petites étables, sans se douter qu’une heure après, elles allaient être remplies d’eau et de vase.

La nuit venait et l’eau augmentait toujours davantage, et au point que le lit de la rigole ne suffisait plus à la contenir. La prairie derrière la digue était déjà sous l’eau ; et là où les saules n’arrêtaient point sa vue, grand’mère voyait très bien de la fenêtre, le balancement des ondes, encore que la maison fût bâtie bien bas, et que les bords de la rivière fussent assez élevés. Elle mît de côté son fuseau, et joignit les mains pour prier.

Ursule entra dans la chambre. L’eau mugit avec une impétuosité terrible à entendre ; et comme si les animaux étaient dans l’attente d’un désordre de la nature, ils se tiennent cachés ; on ne voit pas même de passereau. » dit-elle, en essuyant le banc placé près de la fenêtre.

Au même instant on entendit le bruit d’un galop de cheval. Un cavalier était accouru de la digue par le grand chemin. I] s’arrêta près de la maison en criant : « Sauvez-vous du danger, voici l’eau des montagnes ! » Et il repartit au galop, le long de la chaussée jusqu’au moulin ; puis, du moulin jusqu’à la petite ville.

« Que Dieu nous garde ! Cela va mal par là, en haut, puisqu’ils ont envoyé un exprès, dit grand’mère en pâlissant. Elle encourageait pourtant Ursule, à n’avoir pas de crainte. Elle alla voir encore, si tout était en sûreté, et si la rivière n’était pas déjà répandue sur ses bords. Elle y rencontra monsieur le meûnier. Il avait chaussé des bottes qui lui allaient au-dessus du genou ; il montra à grand’mère, comment l’eau était déjà débordée du lit de la rivière et de la rigole.

Mila et Coudrna vinrent faire leurs offres de services à grand’mère, pour qu’elle ne restât pas seule dans le bâtiment. Mais grand’mère remercia Coudrna, en le renvoyant chez lui : « Vous avez des enfants, lui dit-elle ; si un malheur vous arrivait ici, je l’aurais sur la conscience. Et s’il est nécessaire que quelqu’un reste avec nous, eh bien ! que ce soit Jacques qui le peut plus aisément ; on n’a pas besoin de lui à l’auberge, où il n’est, pas à craindre que l’eau monte plus haut que là où est l’étable. Et ils se séparèrent.

Le bâtiment resta envahi par l’inondation jusqu’à minuit. Les gens allaient et venaient le long de la côte de Zernov avec des lumières ; le chasseur descendit aussi par la côte vers le bâtiment. Et sachant d’avance que grand’mère ne dormirait point, il cria et siffla, pour savoir comment tout s’y comportait. Jacques lui répondit de la fenêtre de la chambre, en lui recommandant de veiller à ce que madame Proschek ne fût point inquiète pour sa mère ; sur cette réponse, le chasseur se retira.

Les premières clartés du matin montrèrent toute la vallée changée en un vaste lac. Dans la chambre de la Vieille-Blanchisserie on ne pouvait circuler qu’en marchant sur des planches, et Mila eut même grand peine à passer sur la côte pour porter à manger à la volaille ; l’eau accourait avec une telle rapidité sur la chaussée que Mila faillit en être renversé. Dans la journée tous les habitants de la vénerie en descendirent pour voir ce qui se passait dans la vallée. En apercevant dans leur habitation submergée comme grand’mère marchait par dessus les planches, pour pouvoir aller et venir dans la chambre, les enfants se mirent à crier et à pleurer, au point de ne pouvoir être apaisés qu’à grand’peine. Les chiens regardaient par les lucarnes ; et quand Jean les appela, ils répondirent par des aboiements, et des hurlements ; et si Mila ne les avait pas retenus, ils eussent joyeusement sauté en bas.

Vint ensuite Coudrna, qui raconta, quelle désolation régnait plus loin, en bas pays. L’eau avait emporté à Žlitsch deux bâtiments, dans l’un desquels se trouvait une vieille femme, qui, pour avoir barguigné, au lieu d’obéir tout de suite à l’ordre du messager, avait été surprise, sans ressource, par l’inondation. L’eau enlevait les ponts, les rasserelles, les arbres, en un mot, tout ce qui se trouvait sur son passage. Les habitants du moulin s’étaient déjà retirés dans les chambres du premier étage.

Christine vint voir, si elle ne pourrait pas apporter aux inondés de la Vieille-Blanchisserie quelque chose de chaud à manger ; mais ce ne fut pas possible ; et quand le hardi Mila essayait de traverser l’eau pour arriver jusqu’à elle, elle le pria elle-même, de rester là où il était.

Deux jours se passèrent dans ces alarmes ; ce ne fut qu’au troisième, que l’eau commença à décroître. Et comme les enfants furent étonnés à leur retour de la vénerie : le petit jardin était inondé ; le verger, recouvert d’une épaisse couche de vase ; et présentait ça et là, des espaces de terrain profondément creusé par l’eau ; les saules et les aunes étaient couverts de boue jusqu’à milieu, de leur hauteur ; les petites étables étaient minées ; le petit pont détruit ; les chenils emportés. Les garçons allèrent avec Adèle derrière le bâtiment voir si les petits arbres qu’ils avaient rapportés du bois l’année précédent étaient encore debout. Ils étaient intacts, aussi bien les bouleaux que grand’mère avait plantés pour les filles, que les sapins attribués aux garçons. Ces enfants avaient, sous le poirier bâti une petite chaumière, qu’entourait un petit jardin, fermé d’une haie ; ils avaient creusé une petite rigole au dessus de laquelle ils avaient établi de petits moulins qui tournaient quand l’eau de la pluie qui venait de tomber les avait remplies. Un petit four en terre argileuse recevait les gâteaux et les petits pains qu’Adèle se plaisait à y faire cuire. Il n’y a plus trace de tous ces petits monuments de leur vie enfantine. Pauvres enfants ! leur dit grand’mère qui souriait en écoutant toutes leurs lamentations. Comment votre petit jouet pourrait-il résister au courant de l’élément déchaîné qui a pu abattre des arbres séculaires et emporter des maisons solides.

Les ardeurs du soleil eurent bientôt séché les champs, les près et les chemins ; le vent dispersa les alluvions ; l’herbe reprit même une teinte plus fraîche ; tout le dommage fut bientôt réparé ; mais si la nature montra peu de traces de la terrible inondation, le souvenir s’en conserva longtemps dans la mémoire des hommes. Les enfants saluèrent avec des cris de joie le retour des hirondelles et se réjouissaient fort de l’arrivée prochaine de M. Beyer ; puis du retour de leur père. On était à la veille de la saint Jacques et de la saint Philippe. Après que grand’mère prenant le morceau de craie, bénite le jour de la fête des Rois, eut tracé trois croix, sur le côté extérieur de toutes les portes, soit de la maison, soit des étables et au poulailler, elle se rendit avec les enfants sur la montagne nue près du château. Les garçons portaient de vieux balais sur leurs épaules. Sur le sommet étaient déjà rassemblés Christine, Mila, Marie avec tous les domestiques de la ferme et du moulin. Venceslas Coudrna et ses frères aidèrent Mila à poisser les balais ; les autres empilaient du bois mêlé de ramilles de sa pins pour faire un bûcher et y mettre le feu. La nuit était belle : tiède, caressait la barbe des épis verts, qui ondoyaient ; en même temps qu’il distribuait partout l’odeur des fleurs du parc, et des vergers en fleurs dans toute la montagne. Le cri d’un hibou se fit entendre du bois voisin ; le merle chanta ensuite sur le haut peuplier près du grand chemin ; puis prenant la parole, le rossignol chanta ses phrases harmonieuses dans les buissons du parc d’où elles montaient jusqu’en haut Tout d’un coup la flamme jaillit sur la colline de Žlitsch, et le moment d’après sur la montagne de Žernov ; puis des feux, plus ou moins ardents, couraient et sautillaient à travers les côtes. Et plus loin encore sur les montagnes de Náchod, et de Neustadt on apercevait circuler des flammes et des lumières dansantes. Mila enflamma à son tour son balai poissé, et le jeta dans le bûcher qui en un moment, était en flammes. Les jeunes gens se mirent à sauter ; chacun prit un des balais poissés, l’enflamma et le lança en l’air aussi haut qu’il put, en criant : « Vole, sorcière, vole ! » Puis, ils se rangèrent et commencèrent à exécuter des danses avec leurs flambeaux ardents, tandis que les filles, se tenant par les mains, tournaient en chantant autour des flammes du bûcher ; quand il commença à être consumé, elles dispersèrent le feu en sautant par dessus ; et alors c’était à qui en enverrait plus loin les débris.

« Regardez : il faut que cette vieille sorcière vole le plus haut possible » s’écria Mila, et saisissant le balai, il le jeta si vigoureusement dans l’air, qu’il vola bien haut en sifflant pour aller tomber presque dans le champ emblavé, près duquel se tenaient les spectateurs.

En voilà une sorcière qui fait du bruit, dirent en riant les jeunes gens et déjà ils couraient après le balai poissé, qui pétillait comme une fusée. Et ils applaudissaient à Mila. Aussi bien entendait-on arriver jusque-là les cris de joie les rires et les chants qui partaient également des montagnes de Žernov et de Žlitsch. Des figures fantastiques passaient exécuter des mouvements sauvages tout autour de la braise ; de moment en moment il s’en échappait un lutin qui au milieu de l’air, secouant dans l’air sa tête en feu, en faisait jaillir des milliers d’étincelles, jusqu’à ce qu’il tombât, aux risées des spectateurs. « Eh ! voyez donc ! En voilà encore une qui a volé haut, s’écria Marie, en faisant signe du doigt, vers la montagne de Žernov. Mais une des femmes lui abaissa le bras, en lui rappelant qu’il ne fallait pas montrer au doigt les sorcières ; sinon, l’une d’elles pourrait bien lancer une flèche contre son doigt. Il était déjà tard, quand grand’mère retourna avec les enfants à la maison. « Grand’mère, n’entendez-vous rien ? » lui dit Barounka, à voix basse, en l’arrêtant près de la maison, et au milieu du verger en fleurs « il me semble que quel que chose fait un léger bruit. »

« Ce n’est rien, c’est le vent qui se joue dans les feuilles, » répondit grand’mère, qui ajouta : « Ce vent léger fait bien. »

« Pourquoi du bien ? »

« Parce que les arbres se penchent l’un vers l’autre. On dit que, quand les arbres en fleurs se penchent l’un vers l’autre comme en s’embrassant, ils donneront bonne récolte.

« Ah, grand’mère, que c’est dommage, au moment des cerises et des fraises, alors qu’il y a tant de plaisir, de rester tristement assis sur un banc de l’école » dit Jean.

« Il n’en va pas autrement, mon garçon ; tu ne peux pas rester toujours à la maison, et n’y faire que jouer. À présent vous devez avoir d’autres soucis et aussi d’autres joies. »

Et moi aussi, je serais contente de fréquenter l’école, » dit Barounka ; « je ne serais triste, bonne maman, que de ne pas vous voir de toute la journée. »

« Et vous me manquerez bien aussi, mes chers enfants ; mais qu’y faire ? L’arbre fleurit, l’enfant croît ; l’arbre perd ses fleurs, le fruit en tombe ; l’enfant devient grand, et quitte ses parents. C’est la volonté de Dieu.

Aussi longtemps que l’arbre demeure sain, il produit du fruit ; que s’il devient sec, on l’abat ; on le met dans le feu ; le feu de Dieu le consume ; puis avec sa cendre, on engraisse la terre, sur la quelle croîtront encore d’autres arbres.

C’est ainsi que votre grand’mère aura bientôt fini d’avoir filé sa tâche, et que vous l’ensevelirez pour le grand sommeil, ajouta la vieillotte à demi-voix.

Le rossignol recommençait à chanter dans un bosquet situé auprès du petit jardin ; les enfants l’appelaient leur rossignol, parce qu’il revenait tous les printemps faire son nid au même buisson voisin du jardin. La triste mélodie de la complainte de Victoire résonnait de la digue. Les enfants auraient bien voulu sortir encore en promenade ; mais grand’mère les obligea de rentrer.

« Vous savez leur dit-elle, que vous allez dès demain à l’école, et qu’il faut vous lever de bonne heure ; allez vous coucher, si vous ne voulez pas que maman ne se fâche contre vous. » Et elle le fit rentrer tous l’un après l’autre.

Le lendemain pendant leur déjeuner, leur mère leur fit à tous, excepté à Adèle qui dormait encore, ses recommandations sur le soin qu’ils devaient mettre à étudier, à écouter monsieur le maître, à marcher et à se tenir convenablement en route ; recommandations si touchantes qu’elles leur faisaient venir les larmes aux yeux.

Grand’mère leur prépara ensuite leurs provisions de bouche. « Voilà pour chacun sa portion », dit-elle en mettant sur la table trois grands chanteaux de pain, « et vous avez aussi chacun votre petit coûteau de poche. Vois-tu mon Jenik, il y a longtemps que tu l’aurais perdu, en sorte qu’à présent tu n’aurais pas avec quoi couper ton pain », dit-elle, en tirant de sa poche trois petites jambettes à manches rouges. Puis elle fit dans chaque chanteau un petit trou, y mit du beurre qu’elle recouvrit avec la mie qu’elle en avait tirée ; déposa un chanteau dans la gibecière en paille de Barounka, et les deux autres dans les sacs de cuir des garçons. Elle ajouta au pain, et pour chacun, des fruits secs. Le déjeuner fini, les enfants se mirent en chemin : « Que Dieu vous garde, mes enfants, n’oubliez pas ce que je vous ai dit », leur dit encore leur mère arrêtée sur le seuil. Les enfants lui baisèrent la main, et leurs yeux se remplirent des larmes.

Grand’mère ne leur disait pas encore adieu ; elle les accompagna à travers la prairie ; Sultan et Tyrl y couraient aussi autour d’eux. « Vous mes garçons, obéissez bien à Barounka, quand elle vous fera des remontrances ; car elle est votre aînée » leur disait grand’mère ; « ne faites point sur la route de ces polissonneries qui vous nuisent. Ne soyez pas assis sur les bancs de l’école, pour ne rien faire ; vous le regretteriez plus tard. Saluez tout le monde poliment ; évitez les voitures et les chevaux. Et toi, Guillaume, n’embrasse pas chaque chien, que tu rencontres ; il y en a des méchants, et tu pourrais être mordu. N’allez pas au bord de l’eau et ne buvez pas quand vous avez trop chaud. Et toi Jenik, ne mange pas ton pain avant l’heure. Et à présent allez à la garde de Dieu ; j’irai ce soir avec Adèle à votre rencontre.

« Mais grand’mère n’oubliez pas de nous laisser du dîner, et de tout ce que vous y aurez, » priait Jean. « Allons ! à quoi donc penses tu ? Et comment pourrions nous oublier, dit grand’mère en souriant. Puis, elle bénit les enfants en leur faisant le signe de croix et déjà ils la quittaient, quand se rappelant encore une chose à leur dire : « S’il devait survenir un orage, leur dit-elle, mais je pense que nous n’en aurons pas aujourd’hui ; eh bien, n’ayez pas peur, marchez lentement, faites des prières, mais ne restez pas sous les arbres, car la foudre les frappe de préférence. Avez vous compris ?

« Oui, grand’mère, et c’est ce que papa nous a déjà dit une fois. »

« Eh bien ! allez et faites mes compliments à monsieur le maître. »

Elle dit et rebrousse chemin aussitôt, pour éviter que les enfants ne voient les larmes qui mouillent ses yeux. Les chiens sautent autour des enfants, comme s’ils allaient les suivre à la promenade ; mais Jean les tire d’erreur en les chassant de l’arrière. À l’appel de grand’mère, ils reviennent auprès d’elle, et ce n’est pas sans se retourner plusieurs fois, dans l’attente d’un nouveau rappel, mais de la part des enfants. Grand’mère se retourne aussi ; mais quand elle a vu que les enfants ont dépassé le petit pont, où Marie les attendait, elle rentra en toute hâte vers la maison.

Elle était pendant toute la journée dans une sorte de rêverie, allant et venant dans la maison comme si elle cherchait quelqu’un.

À peine le coucou eut-il sonné quatre heures dans la grande chambre qu’elle prit son fuseau sous le bras et dit à Adèle. « Viens, petite fille, nous irons à la rencontre des petits écoliers, que nous attendrons près du moulin. » Elles partirent.

Sur un banc placé près de la statue de saint Jean Nepomucène étaient assis, sous les tilleuils, le meûnier, sa femme et quelques uns de leurs chalands. « Vous venez au-devant des enfants, n’est-ce pas ? » lui cria de loin la meûnière ; nous attendons aussi notre Marie. Asseyez-vous au milieu de nous, grand’mère ! »

Et elle prit place sur le banc. Qu’y a-t-il de nouveau, demanda-t-elle au meûnier et à la compagnie ?

« Je venais de raconter que les jeunes gens doivent se rendre au recrutement cette semaine, » dit un des chalands.

« Alors, que le bon Dieu les protège ! » dit grand’mère.

Vous avez raison, grand’mère, il n’y aura pas mal d’affliction comme cela, dit la meûnière, car je crois bien que Mila est au désespoir.

« Il en va toujours ainsi, quand on est bel homme, dit le meûnier qui, pour lors, faisant sa moue, et clignait d’un œil ; si Mila ne l’était pas, il serait exempté du service militaire ; mais la méchante jalousie de la fille du maire, de Lucie, et la colère de la fille de l’administrateur lui ont joué ce mauvais tour.

« Peut-être le père de Mila viendra-t-il à bout d’accommoder l’affaire, dit grand’mère ; et c’est là-dessus que repose la dernière espérance de Jacques, depuis qu’à Noël dernier, l’administrateur a refusé de le prendre en service au château.

« Eh bien ! reprit un des chalands, le vieux Mila donnerait bien pour cela une ou deux centaines de florins. »

« Deux cents florins, mon camarade, dit le meûnier, seraient encore bien peu. Et le père Mila ne peut pas donner autant ; car sa ferme n’est pas, après tout, si considérable, et il y a là bien des enfants. Jacques se tirerait plus facilement d’affaire en épousant la fille du maire ; mais des goûts on ne dispute pas. Je sais que, si Mila est obligé de se présenter au recrutement, et qu’il garde encore le choix entre l’état militaire et son mariage possible avec Lucie, il préférera encore devenir soldat plutôt que gendre du maire. »

« Un fouet en vaut un autre, » dit un second chaland, en secouant la tête ; « et qui aura Lucie n’aura pas besoin de dire : « Mon Dieu ! ne me punissez pas ! « car il se trouvera assez puni. La personne que je plains le plus dans tout cela, c’est cette pauvre Christine. »

Combien elle en aura de chagrin ! dit grand’mère.

« Pour ce qui sera de la fille, » dit le meûnier, en fermant les yeux à demi, « elle pleurera, elle sera chagrine pour un temps, et ce sera tout ; mais le pis sera pour Jacques. »

« Il est sûr que pour celui qui n’est pas content de devenir soldat, le métier est fort dur ; néanmoins, il finit par s’y habituer tout comme un autre, dit grand’mère. Je sais bien, là-dessus, comment les choses tournent, monsieur le meûnier. Défunt mon Georges, et moi avec lui, nous avons dû nous ranger à une accoutumance plus dure encore ; mais notre position était une chose, et celle de Christine en est aussi une autre. Georges a obtenu la permission de se marier, j’ai pu devenir sa femme, et nous avons vécu dans le contentement. Mais le cas est ici tout différent ; et il n’y a pas lieu de s’étonner que Mila parte avec répugnance, quand ces deux jeunes gens pensent qu’il leur faudra s’attendre l’un l’autre pendant quatorze années. Peut-être réussira-t-il à échapper à cette situation, » dit la vieillotte, et son visage s’éclaira tout à coup, car elle apercevait au loin les enfants qui revenaient. Et eux, de leur côté, en apercevant grand’mère, prirent leur course jusqu’à elle.

« Voyons, Marie, n’as-tu pas faim ? demandait le meûnière à sa fille, après qu’elle l’eut saluée.

« Sans doute que j’ai faim, et que nous avons tous faim, car nous n’avons pas dîné, » répondit-elle.

« Et ce morceau de pain, et les fruits secs, et les gâteaux ? Tout cela n’était donc que rosée ? » dit le meûnier, clignant toujours de l’œil et faisant tourner la tabatière entre ses doigts.

« Mais ce n’est pas là un dîner ! » dit la fillette en souriant.

« Puis, avoir fait tant de chemin, et apprendre autant ! n’est-ce pas vrai, enfants, que tout cela vous donne de l’appétit ? » leur disait grand’mère en riant. Elle mit alors son fuseau sous son bras, en ajoutant : « Partons bien vite pour que vous ne mouriez pas de faim, » et ils souhaitèrent bon soir. Marie dit encore à Barounka qu’elle les attendrait, le lendemain matin, au petit pont ; puis, elle s’empressa de rentrer au moulin près de sa mère. Barounka avait pris la main de grand’mère en s’en allant. « Racontez-moi donc, » dit celle-ci, chemin faisant, « comment tout s’est passé à l’école, et ce que vous y avez appris ? »

« Voyez grand’mère, » dit Jean en sautant de plaisir devant elle, « je suis bankaufser. »

« Je te prie, mon garçon, de me dire ce que cela signifie ? » Ce fut Barounka qui donna l’éclaircissement demandé :

« Cela signifie, dit-elle, que celui qui est en tête du banc, surveille ceux de ses camarades qui occupent le même banc que lui, et qu’il note celui qui ne se comporterait pas comme il faut. »

« Il me semble que chez nous celui-là s’appelle surveillant, ou moniteur ; mais ce n’était jamais que le plus sage et le plus appliqué de tout le banc, qui surveillait ainsi les autres, et monsieur le maître ne le nommait pas moniteur de si tôt. »

« Aussi Antoine Kopřiva, en sortant de l’école, nous a-t-il fait le reproche que, si nous n’étions pas Proschek, le maître ne ferait pas tant de cérémonies avec nous. »

Et cela fut dit par Barounka sur un ton de plainte.

« N’allez pas croire que M. le maître fasse des exceptions en votre faveur ! Si vous le méritiez, il vous punirait comme il ferait Kopřiva ; ce qu’il en a fait aujourd’hui avec vous n’a été que pour vous attirer à l’école par un sentiment d’honneur, afin que vous y veniez avec plaisir et que vous vous y montriez toujours obéissants. — Et qu’est-ce que vous avez appris aujourd’hui ? »

« Nous avons eu une dictée, » répondirent Barounka et ses petits frères.

« Qu’est-ce proprement qu’une dictée ? »

C’est-à-dire que le maître lit dans un livre lentement, et à haute voix, ce que nous devons écrire ; puis, il nous faut le traduire de l’allemand en bohême, et encore du bohême en allemand. »

« Et les autres enfants, comprennent-ils l’allemand ? » demanda grand’mère, qui, sur toutes choses avait ses idées propres, et aimait, comme madame la princesse, à entrer dans les détails.

Ce fut encore Barounka qui répondit : « Grand’mère, aucun des écoliers ne sait l’allemand ; nous sommes les seuls qui le parlons un peu, parce que nous en avons déjà appris quelque chose à la maison, et que papa nous parle aussi allemand ; mais il n’importe guère que les élèves le comprennent ou non, pourvu qu’ils apportent le thème bien fait. » —

« Mais, comment peuvent-ils faire ces thèmes, puisqu’ils ne comprennent pas un mot d’allemand ? »

« Et il sont pourtant assez punis pour ne les avoir pas bien faits, soit que monsieur le maître les note sur le livre noir ; soit qu’il les oblige à rester debout, mais de honte, à leur place ! Quelquefois même, ils reçoivent aussi des coups sur les mains. Aujourd’hui, celle qui est placée à côté de moi, la petite fille du maire, Anina, a dû rester debout à la place de honte ; et c’est parce qu’à la dictée, elle ne comprend jamais l’allemand. Elle se plaignait à moi, sur le midi, alors que nous étions sorties de classe, de ne savoir pas faire son thème ; et de frayeur, elle ne mangeait pas. Alors je le lui ai écrit, et elle m’a donné, en retour, deux petits fromages. »

« Mais tu aurais dû ne pas les accepter, » dit grand’mère.

«  Je n’en voulais pas ; mais elle m’a dit qu’il lui en restait encore deux. Elle était si contente que je lui eusse écrit ses thèmes qu’elle a promis de m’apporter tous les jours quelque chose, à la condition que je lui aidasse à faire ses devoirs d’allemand. Pourquoi ne les lui ferais-je pas, grand’maman ? Dites ! »

« Tu peux lui aider à les faire, mais non pas les lui faire, toi seule ; autrement, elle n’apprendrait rien. — »

« Oh ! quant à cela, elle n’est pas obligée de le savoir ; si nous l’apprenons, c’est parce que monsieur le maître l’exige. »

« Et parce que monsieur le maître veut que l’on fasse de vous quelque chose dans le monde. Plus vous en saurez, et plus facilement vous ferez votre chemin. Et la langue allemande est pourtant nécessaire ; vous voyez bien que je ne peux même pas m’entretenir avec votre père, parce que je ne sais pas l’allemand. »

Mais papa vous comprend cependant, et vous le comprenez aussi, quoique vous ne parliez pas allemand. Comme à Zlitsch on ne parle que bohême, Anina n’a pas besoin de l’allemand ; elle a dit que, quand elle voudra le savoir, elle irait en Allemagne. Mais monsieur le maître ne l’entend pas autrement. Et personne n’aine à apprendre l’allemand par le moyen de cette dictée ! c’est si difficile ! Si c’était du bohême, cela irait comme le « Notre Père. »

« Allons ! comme vous n’êtes pas encore en état de raisonner là-dessus, vous n’avez qu’à obéir, et à étudier tout avec joie. Et les garçons ont-ils obéi ? »

Et oui, si ce n’est que Jeník s’est mis à folâtrer avec les autres, pendant que le maître était sorti de la salle ; ils ont sauté par-dessus les bancs. Mais je le lui ai dit aussitôt.

« Qu’est-ce que tu m’as dit, toi ? J’ai cessé de moi-même, et parce que j’entendais revenir monsieur le maître. »

« Et voilà que j’en apprends, de belles choses ! Comment ? tu es surveillant des autres, et tu es le premier à les déranger ! Qu’est-ce que c’est que celà ? » dit grand’mère.

« Ah, grand’mère, » dit à son tour Guillaume, qui jusqu’alors n’avait dit mot ; et il montrait à Adèle un grand morceau de bois doux avec un petit livret d’or battu, qu’il avait reçus à l’école en échange d’un kreutzer ; « Ah ! grand’mère, c’en sont des gamins dissipés à l’école ! Si vous les aviez vus, comme ils sautent par-dessus les bancs et se battent entre eux, et les moniteurs aussi avec eux ! »

Et Seigneur mon Roi ! qu’est-ce que monsieur le maître en a dit ?

Ce n’est pas devant lui qu’ils se montrent tels ; ce n’est qu’en son absence. Car aussitôt qu’ils le sentent venir, ils courent vite à leurs places, posent les mains sur les tables, et le silence s’établit.

« Mauvais garnements ! » dit grand’mère.

« Et les filles donc ! elles jouent aussi, à l’école, avec leurs poupées ! je les y ai bien vues, » dit Jean.

« Vous êtes là tous des fleurettes du jardin du diable ! Il lui en faut à monsieur le maître une sainte patience pour rester avec vous ! » dit grand’mère ! Les enfants lui racontèrent encore plusieurs détails touchant l’école, et ce qui leur était arrivé en chemin. C’était leur première sortie, et ils étaient aussi fiers de cette démarche, faite à eux tout seuls, que s’ils fussent revenus d’un voyage de Paris.

« Et où sont les petits fromages ? Les avez-vous mangés ? » demanda encore grand’mère, qui voulait encore se rendre compte de tout ce que les enfants avaient mangé, tant elle s’inquiétait de leur santé !

« Nous en avons mangé un, dit Barounka ; je voulais rapporter l’autre à la maison ; mais pendant que j’écrivais au tableau, Kopřiva me l’a pris dans ma gibecière ; sa place est juste derrière moi. Si je lui en avais dit quelque chose, il m’aurait donné des coups de poing sur le dos à la sortie de l’école, car c’est le meilleur de tous ! »

Grand’mère était donc bien éloignée de donner raison à ses petits enfants, car elle se disait en elle-même : « Et nous autres donc ? nous n’avons pas été meilleurs ! Les enfants connaissaient bien grand’mère pour être plus indulgente que leur mère ; elle fermait les yeux sur plus d’une espièglerie qu’avaient commise les enfants, et elle permettait que Barounka s’abandonnât quelquefois à des accès de gaité plus grande qu’à l’ordinaire. Aussi ses petits enfants se confiaient-ils à elle en tout, plutôt qu’à leur mère, qui, étant d’un caractère plus sévère, traitait aussi tout plus sévèrement.