Librairie Hachette (p. 133-137).


XIV

Le dimanche.


Les moutons ont besoin de paître et d’être gardés le dimanche comme les autres jours ; Louis, qui s’était montré résigné toute la semaine, se sentit le cœur bien gros quand il vit chacun de ses camarades en fête, paré de ses beaux habits, rester près de sa famille et recevoir ses parents. Assis dans la vaste plaine où paissait son troupeau, il suivit des yeux les groupes joyeux qui s’éparpillaient sur la route. Lui seul n’avait personne qu’il aimât auprès de lui, sa mère était trop loin pour venir l’embrasser ; il restait là, abandonné, pleurant, et n’ayant pour tout consolateur que le chien qui venait de temps en temps lécher ses mains.

Un tourbillon de poussière l’enveloppa tout à coup ; il aperçut sur la route une calèche traînée par deux magnifiques chevaux.

La calèche avançait rapidement ; elle s’arrêta ; une gracieuse enfant d’environ quatorze ans en descendit.

« Louis, dit-elle en s’adressant au petit berger, nous allons à Lussan : que faut-il dire à ta mère ?

— À ma mère ! répéta l’enfant stupéfait et regardant la belle jeune fille enveloppée comme dans un nuage de soie bleu de ciel ; vous allez la voir, madame ? »

La charmante enfant sourit à ce titre de madame.

« Veux-tu lui écrire ? lui demanda-t-elle ; j’irai te chercher ce qu’il faut pour cela. »

La marquise s’était avancée en ce moment.

« Te voilà bien étonné, Louis, dit-elle, c’est ma fille ; elle a voulu m’accompagner à Lussan pour porter de tes nouvelles à ta mère.

— Ah ! madame, vous lui direz… vous lui direz que je l’aime et que je vous aime ; et avec un mouvement de tendresse naïve, le petit berger se jeta dans les bras de la marquise.

— Tiens, écris-lui, puisque tu sais écrire, fit Cora en lui tendant un crayon et du papier ; voilà mon livre pour t’appuyer. »

L’enfant resta quelque temps à rédiger sa lettre, puis il la remit à la marquise après y avoir déposé un baiser.

« Vous direz à maman que le baiser que je lui envoie est sur son nom, madame, et qu’il y en a un aussi sur le vôtre, et aussi qu’elle me réponde.

— Oui, oui, elle te répondra. Adieu ! Louis ; vers six heures je te rapporterai la réponse. »

Quelques instants après, le galop rapide des chevaux emportait, loin du petit garçon, sa chère bienfaitrice.

Il compta toutes les heures qui s’écoulèrent après son départ avec une vive impatience.

Six heures sonnèrent à l’église ; la marquise n’était pas revenue.

« Elle m’aura oublié, bien sûr ! disait le pauvre enfant ; et ma réponse, ma réponse viendra-t-elle ?

— La voilà, la réponse ! s’écria une voix joyeuse derrière lui ; mon frère, voilà d’abord les baisers de maman. »

C’était Jacques.

La marquise l’avait emmené dans sa calèche, et il était descendu à l’entrée du bois pour surprendre plus agréablement son frère.

Il tenait un morceau de galette, et apportait des cerises plein ses poches qu’il versait sur les genoux de Louis ; la marquise y fit joindre une part du dindon qu’on rôtissait à la ferme. Les deux frères dînèrent assis sur l’herbe de la prairie, causant de la famille et de leur mère ; Jacques partagea, dans l’étable, le lit de paille fraîche de Louis, et ce fut un jour de bonheur pour eux.

Jacques partit en promettant de revenir souvent ; il revint en effet, apportant chaque fois avec lui des nouvelles de sa mère, de douces paroles pour Louis, et des fruits cueillis dans le jardin par ses sœurs.

Béatrice allait souvent le dimanche à Lussan, et elle ramenait toujours dans sa calèche Jacques ou ses sœurs, et quelquefois tous les trois.

Les enfants se sentaient bien intimidés dans cette belle voiture qui les emmenait si rapidement vers leur frère ; ils osaient à peine s’asseoir sur les coussins de brocatelle, et il fallait toute la simplicité de la marquise et la gaieté aimable de Cora pour les rassurer et les faire un peu parler.

Si on rencontrait Mme de Méligny en compagnie de ces deux petites paysannes avec Jacques, on ne s’avisait pas de sourire, car on soupçonnait toujours une bonne œuvre dans tous ses actes.