Librairie Hachette (p. 139-142).


XV

Les enfants de Béatrice.


Les deux enfants de la marquise, formés par ses leçons, se montraient dignes d’elle. Cora, à quatorze ans, promettait de devenir très-belle ; elle était déjà parfaitement bonne. Elle commençait à se joindre à sa mère dans toutes ses charités ; souvent, quand la marquise se trouvait retenue à la maison par des devoirs du monde, Cora allait avec sa gouvernante visiter les pauvres du village. Accoutumée de bonne heure au spectacle de la misère, la jeune fille trouvait un doux plaisir à soulager les maux de tous genres qu’elle amène à sa suite. Du reste, par une pensée délicate et morale, sa mère lui avait appris à considérer l’exercice de la charité, non comme un sacrifice ou même un devoir, mais comme une récompense. Si Cora voulait consacrer à un petit enfant malheureux l’argent destiné à ses menus plaisirs ou à sa parure, c’était seulement si tous ses maîtres rendaient bon témoignage de son application que Mme de Méligny lui accordait cette grâce.

Il se rencontrait bien encore dans son caractère des inégalités et des défauts : une insouciance trop grande, une vivacité d’allures un peu brusque, une fierté mutine qui faisait parfois se froncer, dans un mouvement d’orgueil, ses deux sourcils bruns ; Béatrice n’essayait même pas de corriger ces légers défauts ; elle ne voulait pas faire de sa fille une ombre effacée d’elle-même, et, pourvu qu’elle fît le bien, elle le lui laissait accomplir suivant sa nature ; elle eût craint de comprimer, par trop de culture, le caractère vif et expansif de Cora ; elle aimait cette spontanéité de résolution, cette rapidité de mouvement, et surtout le sourire toujours éclos sur les lèvres roses de sa fille. Le rire va si bien à la jeunesse !

Cora ne possédait pas, comme la marquise, cette tendresse céleste d’un cœur qui se répand incessamment sur tous, mais elle était bonne, généreuse, compatissante, et on pouvait prévoir que si jamais elle devait connaître ces épreuves, dont la richesse et même la vertu ne garantissent pas toujours, son âme trouverait, pour combattre les douleurs de la terre, une force entretenue et augmentée par la pensée du ciel.

René de Méligny, à dix ans, n’était encore qu’un enfant beau comme les anges de Raphaël, mélancolique et pensif comme eux. Si Cora, avec ses yeux veloutés, ses cheveux noirs et sa fierté candide, ressemblait à son père, René, avec son regard limpide, la délicatesse de ses traits, la douceur de son sourire, était l’image de sa mère. Il avait pour elle un culte passionné, qui remplissait parfois ses grands yeux de larmes soudaines quand il la regardait.

On peut penser que ce fut un bien triste jour que celui où ce tendre et charmant René fut conduit par son père au collège Rollin, pour se former à cette éducation publique qui est indispensable aux hommes. On sortait souvent, il est vrai ; cependant, la première année, quand la marquise eut quitté Paris, vers le mois de juin, René calcula avec désespoir qu’il allait passer deux mois et demi sans voir sa mère, il pleura de tout son cœur, mais ses camarades lui firent tant de honte de sa sensibilité, qu’il cacha ses larmes, fit appel à son courage pour reprendre sa contenance, et, après cet effort, il se sentit plus homme et plus digne de lui-même.

Les vacances vinrent bien vite cependant ; le marquis partit pour chercher son cher fils. Béatrice ne voulut pas quitter Cora, qui souffrait alors un peu d’une fièvre de croissance, et, comme le marquis avait à cette même époque d’importantes affaires à Paris, il partit huit jours plus tôt pour les régler, promettant bien à sa femme et à sa fille de leur amener René dès le premier jour des vacances.