Coups de clairon/Un Sauvetage

Coups de Clairon : Chants et Poèmes héroïques
Georges Ondet, Éditeur (p. 79-82).


UN SAUVETAGE

(cris dans la tempête)


À L. Orsoni, en guise de préfacexxxxx
à son ouvrage sur les
Stations de Sauvetage.

« Ohé ! les gâs ! Hardi ! Courage !
Paraît qu’un brick est en péril ;
C’est encor là du bel ouvrage,
Au sale équinoxe d’Avril !

Allons, debout, toute la bande !
Il faut sortir notre canot,
Si petit sur la Mé si grande
Mais que Dieu bénit de là-haut !


À présent, comptez-vous, les hommes :
Dix ! vingt !! trente !!! pourquoi pas plus ?
Quatre suffiront, car nous sommes
Des gâs d’attaque et des poilus !

Allons, ne pleure pas, du mousse !
Grandis et nous t’emmènerons !
Nous sommes parés ? Va bien ! Pousse !
Et souquez dur aux avirons !

Le brick est loin, faut qu’on l’atteigne !
Hardi ! souquez dur, les enfants !
Tant pis tant mieux si la main saigne :
Plus besoin de cracher dedans !

Fameux temps pour rincer les voiles !
Fameux temps pour laver les ponts !
L’embrun nous perce jusqu’aux moelles,
On tremble ainsi que des capons…

Mais ça n’est qu’à fleur de carcasse :
Les cœurs sont chauds sous les cirés !…
Bon ! voici leur grand mât qui casse !
J’arrivons, les gâs ! Espérez !

Ils ont talonné de l’arrière…
Que bruit : on dirait du canon !
Vite, lançons-leur une aussière :
Leur bateau coule, nom d’un nom

Raté !… Laissons virer la barque,
Nous aurons le vent sur tribord…
Victoire ! Ohé ! du gâs, embarque !
Le mousse et les femmes d’abord !


On est au complet ? Bonne affaire,
C’est que Sainte-Anne est avec nous !
Et maintenant, cap sur la terre !
Nage au plus près, gare aux remous !


La Mé grogne et menace et pleure,
On connaît ses mauvaisetés :
Elle comprend ben qu’à cette heure
Les naufragés sont sauvetés ;

Elle en écume, toute blanche,
Et doit se dire : « Un de ces jours
Sur vous je prendrai ma revanche :
On ne me nargue pas toujours ! »


On dirait d’une femme soûle
Qui bave en hurlant son défi…
Assez, donc, la Mé ! tais ta goule,
T’es roulée aujourd’hui, suffit !

Honte à toi !… Pour nous, double joie !
— Nos cœurs en sont aises, faut voir, —
Car nous t’avons volé ta proie
Et fait, tertous, notre Devoir ! »