Coups de clairon/Du Guesclin/Son Cœur

Coups de Clairon : Chants et Poèmes héroïques
Georges Ondet, Éditeur (p. 213-219).


LE CŒUR DE DU GUESCLIN[1]


À M. l’abbé DANIEL,xxxxxxxxxx
Curé-Archiprêtre de Saint-Sauveur, de Dinan
.
les bretons

« Notre-Dame-Guesclin ! Notre-Dame-Guesclin ! »
Ô cri, qui résonnais à l’oreille Saxonne
Comme un tocsin,
Comme un glas lugubre qui sonne
La défaite, le déclin !…
« Notre-Dame-Guesclin ! Notre-Dame-Guesclin ! »
Ô cri, qui, tout-à-coup, volais de bouche en bouche
Sur le peuple Français au désespoir enclin
Comme un Sursum Corda triomphal et farouche !…
« Notre-Dame-Guesclin ! »

Cri de rage et d’amour, tout à la fois prière
Et formidable appel de guerre !…
Si l’ennemi jamais envahit la frontière
Et si les loups bretons doivent montrer leurs crocs,
Ne t’entendrons-nous pas, soudain, sortir de terre ?
« Notre-Dame-Guesclin » si terrible naguère,
Es-tu mort, à jamais, avec notre Héros ?

une bretonne

Quand Du Guesclin était enfant,
— Enfant indomptable et colère —
Sa mère lui faisait, souvent,
Dire auprès d’elle sa prière ;
Plus tard, lorsque pour les Combats
Il devait quitter sa Tiphaine,
Près d’elle il s’inclinait, front bas,
Devant une vierge de chêne…

les bretons

Ô Vous, que Du Gucsclin n’implorait qu’à genoux
À côté de sa mère ou près de sa compagne,
Ô Notre-Dame-de-Bretagne,
Priez pour nous !

une bretonne

Quand l’heure du combat sonnait,
Avant d’entrer dans la mêlée
Le Héros breton se signait,
Imité par sa rude armée ;
La Foi, toujours, fut son soutien ;
Nous lui devons son Épopée,
Car on peut-être bon chrétien
Et n’en brandir que mieux l’épée !

les bretons

Ô vous que Du Guesclin n’implorait qu’à genoux,
S’il nous faut pour la France, aussi, faire campagne,
Ô Notre-Dame-de-Bretagne,
Veillez sur nous !

un dinannais

Quand Bertrand Du Guesclin, miné par la souffrance,
S’endormit, plein de gloire, à Chateauneuf-Randon,
On transporta son corps à Saint-Denis en France,
Mais son cœur s’en revint au cher pays breton !

Ce cœur, qui ne connut ni l’orgueil ni la haine,
S’en revint tout saignant, tout pantelant encor,
Au pays dinannais où la douce Tiphaine,
Pour la première fois, le fit battre plus fort ;


Dans sa châsse de plomb, dans son urne de pierre,
Il fut à toi, dès lors, antique Saint-Sauveur,
Et tes enfants pieux, aux saints jours de prière,
Peuvent l’interroger, encore, avec ferveur…

Car ce cœur n’est pas mort, si j’en crois la légende,
— Le cœur des preux, comme leur âme, est immortel —
Il dort, lorsque la France est respectée et grande,
Il dort, silencieux, à l’ombre de l’Autel…

Mais, sitôt qu’un malheur menace la Patrie,
Que chantent les clairons, que battent les tambours,
Que les canons brutaux commencent leur tuerie,
Le vieux cœur se réveille et bat à grands coups sourds ;

Rythmant la Joie ou bien la Tristesse de l’heure,
Scandant les Te deum ou les De Profundis,
Il bat, le triste cœur, il souffre, et saigne, et pleure
Tout le sang, tous les pleurs déjà versés, jadis !

Et le bruit monte, monte, emplit la basilique,
S’éteint, reprend, selon la victoire ou le deuil,
À croire, par instants, que la pauvre relique
Va briser les parois de son double cercueil !

Les Sceptiques ont dit : « Ce bruit, ce grand prodige,
C’est le heurt d’un marteau sur une enclume, au loin ! »
Soit !… mais le forgeron c’est Du Guesclin, vous dis-je,
Et l’enclume est son cœur et le marteau son poing !

C’est toi, Bertrand, c’est toi ! Toi qui, la nuit, te lèves,
Afin de marteler sur ton cœur fort et doux
Et de tes poings carrés, tes poings d’acier, des glaives
Pour le jour où la France aura besoin de nous !


Réponds ! qu’à la chaleur de ton cœur — ô merveille ! —
La pierre soit brisée et le plomb soit fondu !
Réponds ! N’est-il pas vrai, Bertrand, que ton cœur veille
Et qu’ils ne sont pas fous ceux qui l’ont entendu ?

C’est ta fête aujourd’hui ! Vois, ton église est pleine,
Dinan t’écoute : Parle ! Est-ce toi, vraiment toi
— Quand la Bretagne et quand la France sont en peine —
Cœur de Guesclin, qui bats ? et qui pleures ?…

une voix, sortant du cénotaphe :

Cœur de Guesclin, qui bats ? et qui pleures ?…— C’est moi !

les bretons, à voix basse :

Du cénotaphe où gît le rêve
De notre glorieux Passé
Une voix, tout à coup, s’élève :
La voix du Héros trépassé…

la bretonne

Ne porte plus de proche en proche
Tes refrains triomphants :
Tais-toi, tais-toi, vieille cloche !
Prières, restez en suspens !
Ne bougez plus, petits enfants !

les bretons

Bretons, chrétiens, tendez l’oreille
Et toi, sceptique, éteins ton sourire moqueur :
De Du Guesclin qui se réveille
Nous allons, sans doute, ô merveille !
Entendre parler le grand cœur !

le Cœur

Oui, c’est moi qui veille, dans l’ombre
Du sépulcre lugubre et sombre
Où, tout vivant, je suis muré ;
Oui c’est moi, c’est bien moi, poète,
Le cœur joyeux, aux jours de fête…
Aux jours de défaite, navré !
Que de fois ai-je, de la sorte,
Pleuré sur la Victoire morte,
Et de joie ensuite bondi
Lorsque s’en revenaient, joyeuses,
Les phalanges victorieuses
Sous les palmes que l’on brandit !
Oui, c’est moi qui forgeai des épées
Pour vos anciennes Épopées…
Mais qui m’endormirai, joyeux,
Quand, libre enfin de toute étreinte,

Mon Pays n’aura plus en son âme une crainte,
Plus une larme dans ses yeux !
D’ici là, chaque fois, Bretons, que sur la France
Fondra quelque Ennemi méditant son déclin,
Moi, le cœur de Guesclin ressuscité soudain,
Je lancerai mon cri de Guerre et d’Espérance :
« Notre-Dame-Guesclin ! »

les bretons

Orgues, chantez vos hymnes solennelles !
Cloches de Saint-Sauveur, de vos battants épais
Rythmez, rythmez vos Chansons fraternelles !
C’est aujourd’hui la fête de la Paix !


Mais, un jour s’il venait à fondre sur la France
Quelque lâche Ennemi méditant son déclin,
Le cœur de Du Guesclin, ressuscité soudain,
Nous jetterait son cri de Guerre et d’Espérance :

le Cœur

Notre-Dame-Gucsclin !

les bretons

Notre-Dame-Gucsclin !!!

(Dinan, le 20 juillet 1902.)


  1. Cette cantate, mise en musique par H. Kowalski, a été dite et chantée, sous la direction du compositeur, par Mr et Mme Botrel, M. l’abbé Heurtault, M. Louis Chupin et 100 exécutants (chœurs et orchestre) à la Messe solennelle célébrée à la mémoire de Duguesclin, le 20 juillet 1902, en l’Église Saint-Sauveur de Dinan, lors de l’inauguration du monument de Frémiet.
    xxxx L’orchestre et les exécutants étaient massés au pied du Cénotaphe dans lequel le Cœur du Héros est enfermé.