Coups de clairon/Du Guesclin/Son Aigle noir

Coups de Clairon : Chants et Poèmes héroïques
Georges Ondet, Éditeur (p. 221-226).


L’AIGLE NOIR DE DU GUESCLIN[1]


Poésie récitée par l’auteur à Dinan, le 20 juillet 1902,
lors de
l’inauguration du Monument de Fremiet.

Au Maître-Statuaire Frémiet.

   



Guesclin ! dans ce jour d’allégresse
Nous t’élevons sur le pavois
Et ton Pays natal t’adresse
Son salut par mon humble voix ;

Frémiet, notre Michel-Ange,
Vient de te camper aujourd’hui
À la tête de la Phalange
Des preux ressuscités par lui !

Serrant ton destrier rapide
Dans les étaux de tes genoux
Et cambrant ton torse, solide
Comme un gros pommier de chez nous


Par-dessus ton haubert de mailles,
Sur ta cotte et sur ton écu
Éployant l’Aigle des batailles
De ton blason jamais vaincu,

— L’Aigle noir que tes adversaires
N’apercevaient qu’en frémissant,
L’Aigle noir aux terribles serres,
Au bec rouge encore de sang —

Le front lauré, l’œil plein du Rêve
Réalisé presque autrefois,
Et tenant en ta main le Glaive,
Pieusement, comme une Croix ;

Dans un nimbe d’apothéose,
À travers les chemins d’Arvor
Rosés par la bruyère rose
Et dorés par les genêts d’or ;

Aux mugissements de la Foule
Dont le long vivat triomphal
S’en vient, avec un bruit de houle,
Mourir aux pieds de ton cheval ;

Tu sembles — tant l’Œuvre du Maître
Est d’un réalisme étonnant —
Rentrer vivant, ô rude Ancêtre ! —
Dans ton vieux pays de Dinan !…

… On s’attend à ce qu’apparaisse,
Dans un cortège en beaux atours,
Tiphaine-la-Devineresse,
Ta « Douce » aux grands yeux de velours ;

Ici-même, sur quelque estrade,
On cherche aussi Lancastre et Knoll,
Et Caverley, ton camarade
Quand vous combattiez l’Espagnol ;

À côté d’Olivier, ton frère,
Près de toi l’on s’attend à voir
Jean du Bois portant ta bannière
Où plane encore l’Aigle noir ;

Et l’on cherche tes capitaines
Et tes soldats : Kerlanhouët,
Rohan, Le Bègue de Yillaines,
Mauny, Tinténiac, Lescouët ;

Les Barons à côté des Rustres :
Les Bûcherons de Fougeray
Auprès des Chevaliers illustres
Du Combat des Trente et d’Auray ;

Tous tes vaillants compagnons d’armes,
Rudes Loups du hallier breton,
Cœurs de granit fondus en larmes
Au soir de Châteauneuf-Randon !…

… Car on t’aimait, Bertrand, pour ta laideur si belle,
Ton front si fier, tes yeux si droits, ton cœur si fort,
Et pour ton dévouement si breton, si fidèle,
Sur lequel on pouvait compter jusqu’à la mort !

Tous les cœurs te suivaient quand tu faisais Campagne.
Captif, au Prince Noir tu dis, avec raison :
« Il n’est pas une femme en France, une en Bretagne,
« Qui ne voudrait filer le lin pour ma rançon ! »


Et l’on t’aime toujours comme au temps de ta Gloire,
Plus, peut-être : nos yeux éblouis, aveuglés,
T’apercevant grandi, sur le seuil de l’Histoire,
De toute la grandeur des Siècles écoulés !

Mais le Peuple breton t’aime plus que nul autre :
Sans doute que de toi chacun de nous descend
Et qu’un peu de ton Âme est passée en la nôtre
Et qu’un peu de ton Sang coule dans notre sang !

Aussi, vienne le jour où — par male fortune —
Pour sauver la Patrie il nous faille lutter,
Tu renaîtras, par nous, cent mille fois pour une
Puisque chaque Breton brûle de t’imiter…


Cependant qu’au logis, tout comme leurs Aïeules,
Les Bretonnes sauront encor, près des berceaux, —
— Pour solder du Pays la Rançon, toutes seules,
Filer la quenouillette et tourner les fuseaux !…

… Mais souhaitons plutôt que le grand Jour se lève
De la Fraternité des Peuples, qu’autrefois
Nous prêcha Celui qui — tout comme toi ton Glaive —
Porta, jusqu’au sommet du Calvaire, sa Croix :


Que jamais plus le sang, que jamais plus les larmes
Ne coulent sur les pas du Conquérant vainqueur,
Et que ton Aigle noir s’envole de tes Armes,
L’Aigle noir — ô Guesclin ! — qui nous voile ton cœur :

Qu’il se perde au Zénith ou dans le Néant tombe
L’Aigle noir au bec rouge, aux deux serres d’acier…
Et qu’il soit remplacé par la blanche Colombe
Tenant, dans son bec rose, un rameau d’olivier !

Dinan, le 20 Juillet 1902.
  1. Du Guesclin portait pour blason : D’argent à l’Aigle de sable éployé, becqué et armé de gueules, à la bande de gueules brochant sur le tout.