Contes de la Haute-Bretagne/Jean sans Peur

II

JEAN-SANS-PEUR

Il était une fois un roi et une reine qui avaient un petit garçon ; le jour de son baptême ils invitèrent toutes les fées, et chacune lui fit des dons ; l’une disait : Il sera beau, l’autre : Il sera riche, bref chacune lui donna une qualité ; puis elles s’en allèrent.

Il y avait une heure qu’elles étaient parties, quand le roi et la reine virent s’attirer de dessous terre une fée qui avait la mine d’avoir pleuré :

— Vous avez, leur dit-elle, invité au baptême toutes mes commères et pas moi.

— Ah ! ma bonne mère, s’écria le roi, c’est un oubli, je regrette bien de n’y avoir pas pensé.

— Si je voulais, répondit la fée, je pourrais lui retirer tous les dons que les autres lui ont accordés ; mais je ne suis pas méchante, et je vais lui faire moi aussi un don : il sera sans peur.

Depuis ce jour on n’appela plus le fils du roi que Jean-sans-Peur ; en grandissant il méritait son surnom, car il n’avait peur de rien.

Un jour il alla dans la forêt pour chasser avec son chien ; dès qu’il y fut entré, il vit des follets qui dansaient sur l’herbe ; son chien voulut courir après eux ; mais ils l’enlevèrent dans les airs et le mirent en pièces. Jean-sans-Peur s’écria :

— Si vous ne vous en allez pas, je vais vous tirer un coup de fusil

Il tira ; les follets disparurent tous, et jamais il ne les a revus.

Comme il allait quitter la forêt, il entendit pleurer ; il regarda de tous côtés et chercha partout, mais sans rien voir. À la fin, il aperçut un nid de pie et les jambes d’un enfant qui dépassaient le nid. Il grimpa dans l’arbre et y trouva une petite fille qu’il descendit avec précaution :

— Si elle vit, dit-il, c’est elle que j’épouserai.

Il l’emporta chez son père et la fit élever en disant qu’il voulait la prendre pour femme quand elle serait devenue grande.

Elle était jolie comme tout ; à ceux qui aimaient les blondes, elle paraissait blonde, tandis que ceux qui préfèrent les brunes la trouvaient aussi brune qu’elle semblait blonde aux autres ; mais elle rebutait toujours Jean-sans-Peur, et quand il voulait l’embrasser, elle le repoussait avec de dures paroles.

Il en était bien navré, et, pour se distraire, il allait à la chasse ; un jour qu’il chassait dans la forêt où il avait trouvé la petite fille, il vit devant lui un homme tout en blanc : c’était son grand-père. Jean-sans-Peur lui dit :

— Qui t’a envoyé ici ?

— Je n’y suis pas venu seul, répondit le fantôme.

Aussitôt on vit paraître d’autres hommes en blanc.

— Ce sont des morts, dit Jean-sans-Peur sans s’émouvoir.

— Ce sont mes collègues, répondit le fantôme.

— Hé bien ! dit Jean-sans-Peur, s’ils ne s’en vont pas, je vais leur tirer un coup de fusil.

Dès qu’il eut tiré, ils disparurent, et jamais il ne les a revus.

Quand il fut de retour chez lui, la petite fille l’appela ; elle avait alors dix-huit ans :

— Jean-sans-Peur, tu sais où tu m’as trouvée ; dans deux jours d’ici, je vais mourir ; promets-moi de me porter au pied de l’arbre et de m’y enterrer.

— Je te le promets, répondit-il.

Deux jours après, elle mourut, et Jean-sans-Peur dit à son aide-de-camp de lui aider à la porter dans la forêt ; ils lui creusèrent une fosse, et, comme ils allaient la mettre en terre, ils entendirent frapper dans la châsse :

— Ah ! s’écria Jean, elle n’est pas morte.

Il courut à la rivière pour puiser de l’eau dans son casque ; pendant qu’il y était, on entendit un grand fracas, et la châsse se brisa en mille morceaux, quand Jean-sans-Peur revint, il trouva son aide-de-camp baigné dans son sang et blessé à mort. — Adieu, Jean-sans-Peur, lui dit-il, je meurs pour toi : c’est un mauvais génie que tu voulais épouser, et qui s’est transformé en femme pour te tromper.

Il mourut ; Jean-sans-Peur eut bien du chagrin, mais il ne regretta pas la méchante femme qui avait tué son aide-de-camp. Il se maria avec sa cousine, et, s’ils ne sont pas morts, ils vivent encore.

(Conté en 1880 par Joseph Macé, de Saint-Cast mousse, âgé de 14 ans.)