Contes de la Haute-Bretagne/Poutte-Poutte le Bossu

CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE
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LES CHERCHEURS D’AVENTURES


I

POUTTE-POUTTE LE BOSSU

Il y avait une fois un homme qui était riche ; mais il était vieux, vieux comme tout. Il entendit parler d’une eau qui rajeunissait, et il envoya l’aîné de ses enfants pour chercher une bouteille de l’eau merveilleuse qui faisait redevenir jeune.

Le garçon prit un sac d’or pour ses frais de route, et il monta sur le plus beau cheval de l’écurie de son père, et il se dirigea du côté de la fontaine. Elle était dans la cour d’un château gardé par des géants ; ils s’endormaient à midi, et, pour pouvoir puiser de l’eau, il fallait sauter sur une mule blanche qui se tenait près de la fontaine et ne pas réveiller les géants, car ils mangeaient tous ceux qui leur tombaient sous la main.

Au bout de huit jours, le jeune homme arriva à l’heure de midi dans la cour des géants : il laissa son cheval à la porte, et il sauta sur la mule blanche ; mais il fit du bruit : les géants se réveillèrent ; ils le forcèrent à descendre de sur la mule et à remonter sur son cheval. Ils voulaient le manger, et il ne savait comment faire pour se sauver. Il leur dit pourtant :

— Ouvrez une des barrières : vous allez voir comme mon cheval trotte bien ; il n’a pas son pareil au monde.

Les géants voulurent voir comment trottait ce cheval.

Dès que les barrières furent ouvertes, le jeune homme l’éperonna et il se sauva. Il arriva à une auberge où il y avait joyeuse compagnie, et il y resta à dépenser ce qui lui restait de son sac d’or.

Son père, voyant qu’il ne revenait pas, s’ennuya d’attendre, et il envoya le second de ses enfants à la recherche de l’eau qui faisait rajeunir ; il lui donna aussi un sac d’or et le meilleur cheval de son écurie. Le jeune garçon se mit en route, mais comme il passait devant l’auberge où était son frère, celui-ci l’appela, et le força à rester avec lui à se divertir.

Le plus jeune des frères, qui était bossu et laid comme un péché mortel, se mit en route à son tour sur le plus beau des chevaux qui restaient, et il emporta avec lui son sac d’or. Il passa à la porte de l’auberge où ses frères étaient restés ; ils l’appelèrent, mais il ne voulut pas entrer, et il continua son chemin. Au bout de huit jours, il arriva au château à l’heure de midi. Il mit son cheval dans une écurie et sauta sur le dos de la mule blanche en faisant le moins de bruit possible, de peur de réveiller les géants. Mais ils s’éveillèrent tout de même et ils criaient au jeune homme :

— Petit ver de terre, poussière de mes mains, je vais te manger !

Le jeune homme qui était monté sur la mule leur dit :

— Avant de me manger, ouvrez-moi une des barrières, vous allez voir comme la mule va bien sauter.

Les géants ouvrirent les barrières, et Poutte-Poutte passa doucement à côté de la fontaine ; il tenait à la main une petite bouteille suspendue à une corde ; il la laissa glisser dans l’eau, et, quand elle fut remplie, il éperonna durement la mule qui s’enfuit au galop et fut bientôt hors de la portée des géants.

Poutte-Poutte le Bossu passa par l’auberge où ses frères étaient retenus, parce qu’ils ne pouvaient donner à l’aubergiste l’argent qu’ils lui devaient. Il paya pour eux, et tous les trois partirent pour leur pays.

Les deux aînés, qui étaient jaloux du bossu, lui prirent sa mule et l’eau qui rajeunit, après l’avoir jeté dans un grand précipice, puis ils continuèrent leur route. Ils ne tardèrent pas à arriver à la maison de leur père, mais l’eau ne le rajeunissait point et la mule ne chantait point, et si la mule n’avait pas chanté, leur père aurait toujours été mal portant, même si l’eau avait pu le rendre jeune.

Pendant que le bossu était dans le précipice, il vit venir sur le bord un petit renard : c’était une fée qui s’était ainsi déguisée.

Elle lui dit : — Te voilà, compère le Bossu ; qui est-ce qui t’a jeté où tu es ?

— Ce sont mes frères, répondit le bossu.

— Hé bien ! dit le petit renard, je vais allonger ma queue ! tu vas la saisir et je te remonterai.

En allongeant sa queue, le petit renard disait : « Poutte-Poutte, ma queue est-elle bientôt assez longue ? »

— Pas encore, répondit le bossu.

Le renard dit trois fois : « Poutte-Poutte, ma queue », et quand le bossu l’eut saisie, il se mit à grimper tout au long ; mais au moment où il était sur le point d’arriver en haut, il lâcha prise et retomba dans le précipice. Le petit renard allongea de nouveau sa queue et recommanda au bossu de cracher dans ses mains et de tenir bon. Le bossu se remit sur la queue du renard qui l’attira à lui, et quand il fut tiré du précipice, le renard lui passa la queue par dessus la tête, et aussitôt le bossu devint le plus bel homme du monde.

Il se rendit à la maison au moment où son père était sur le point de mourir ; il lui demanda s’il n’avait pas de l’eau qui rajeunit. Le mourant lui répondit que ses enfants avaient été lui en chercher, mais qu’elle ne produisait aucun effet.

— Lequel de vos enfants vous en a apporté ?

— Ce sont les deux aînés, et je pense que mon plus jeune enfant est mort.

— Non, répondit-il, il n’est pas mort, car c’est moi qui suis votre dernier enfant.

On envoya chercher l’eau ; le jeune homme en frotta son père et lui en fit boire, puis il alla chercher la mule, qui chanta, et son père fut rajeuni à l’âge de quinze ans. Alors le jeune homme lui raconta son voyage ; son père fit tuer ses deux aînés. Le jeune homme épousa sa cousine et ils vécurent heureux.

(Conté en 1880 par Auguste Quémat, de Saint-Cast, âgé de 11 ans.)