Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1211

Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1211]


L’empereur Othon ayant été, comme on l’a dit plus haut, réprouvé par l’autorité apostolique et privé de la dignité impériale, les barons d’Allemagne, par le conseil de Philippe, roi de France, élurent roi des Romains Frédéric, roi de Sicile, fils de feu l’empereur Henri et de Constance, sœur de feu Guillaume, roi de Sicile, et demandèrent au Pape de confirmer cette élection. Frédéric, appelé de Sicile, vint à Rome, et fut reçu avec honneur par les habitans de cette ville. Quittant Rome, il passa les Alpes, arriva en Allemagne, où presque tous l’accueillirent favorablement, et reçut à Mayence la couronne du royaume d’Allemagne. Etant ensuite venu à Vaucouleurs, château situé en Lorraine, sur la Meuse, Philippe, roi de France, lui envoya en cet endroit son fils Louis, pour qu’ils conclussent une mutuelle alliance, comme celle qui avait existé anciennement entre leurs prédécesseurs.

Philippe, roi de France, étendit les limites de Paris depuis le Petit-Pont jusqu’au-delà de l’abbaye des chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, et entoura de murs très-solides les jardins et les champs, de droite et de gauche, Un roi des Sarrasins, nommé Miramolin entré avec une grande armée sur le territoire d’Espagne, et superbe en ses paroles, fit la guerre au roi de Castille et aux Chrétiens. Ceux-ci, aidés par les illustres rois d’Aragon et de Navarre, 1ui livrèrent bataille en la foi et au nom du Christ, et le vainquirent, avec l’aide de Dieu et de quelques chevaliers français. Dans ce combat, il ne périt que trente hommes du côté des Chrétiens, tandis que cent mille Sarrasins succombèrent. En signe de cette victoire, le roi des Aragonais envoya à Rome la bannière et la lance de Miramolin, qui ont été conservées jusqu’à présent dans la basilique de Saint-Pierre.

Un grand nombre de gens marchèrent de nouveau du royaume de France contre les hérétiques Albigeois. S’étant réunis ensemble ils assiégèrent le château de Lavaur, assaillirent et pressèrent fortement les ennemis de la foi. Mais pendant qu’ils étaient arrêtés à ce siège, une troupe très-considérable des leurs ayant imprudemment passé auprès d’un château appelé Montjoire, furent pris par les ennemis, qui leur tranchèrent la tête. Une lumière céleste brilla pour révéler leur mérite, et un grand nombre de gens virent un globe de feu descendre du ciel sur leurs cadavres. Alors les évêques et les abbés s’assemblèrent en ce lieu, et y consacrèrent un cimetière dans lequel ils enterrèrent leurs corps. Ensuite Lavaur fut pris, et l’inexpugnable château de Pennes, en Agénois, fut assiégé et se rendit. Soixante-quatorze chevaliers trouvés dans le château, n’ayant pas voulu abandonner leur erreur, furent pendus à un gibet ; ensuite on dressa un bûcher, et on donna à tous les autres le choix de revenir de leur erreur ou de périr dans les flammes. S’exhortant mutuellement, ils montèrent sur le bûcher, et aimèrent mieux être brûlés que d’abandonner leur secte perverse. Giraude, dame du château, qui déclara avoir conçu de son frère et de son fils, fut jetée dans un puits, qui fut aussitôt comblé par un amas de pierres lancées sur elle. A Limoges, une noble matrone mourut, et fut conservée enveloppée dans un linceul mais pendant qu’on préparait les obsèques, ressuscitant tout-à-coup, elle dit que sainte Marie-Madeleine lui avait touché les lèvres, et qu’elle avait aussitôt repris ses esprits. A la fête de la Madeleine elle vint à Vézelai avec son linceul et un grand nombre de gens qui avaient été témoins de sa mort.

En Espagne, la nuit de la Nativité du Seigneur, comme un prêtre qui couchait avec une femme, osait chanter la première messe sans être contrit ni s’être confessé, et chantait l’Oraison dominicale après le sacrement accompli, tout-à-coup une colombe, volant avec impétuosité, mit son bec dans le calice, avala tout, et, arrachant l’hostie de la main du prêtre, s’envola. Il arriva à ce prêtre, à la seconde messe, la même chose qu’à la première. Saisi de crainte alors, et revenant sur lui-même, le cœur contrit, et après s’être confessé et avoir reçu la pénitence, il commença la troisième messe. Après l’Oraison dominicale, la colombe, introduisant, comme la première fois, son bec dans le calice, rejeta tout ce qu’elle y avait bu, et, en s’envolant, plaça les deux hosties au pied du calice.

Ferrand, d’Espagne, fils du roi de Portugal, prit en mariage Jeanne, comtesse de Flandre, fille du comte Baudouin qui fut, comme il a été dit plus haut, empereur de Constantinople. La reine de Portugal, tante maternelle de Ferrand, femme de feu Philippe, comte de Flandre, s’était fallacieusement entremise pour ce mariage auprès du roi de France.