Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1210

Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1210]


Les grands et les évêques de la Franee entreprirent de nouveau une célèbre expédition contre les Albigeois. Ils rassemblèrent donc une armée, s’avancèrent vers la ville de Minerve, l’assiégèrent et la prirent. On permit à ceux des assiégés qui voulurent abjurer l’hérésie, de se retirer en liberté ; mais on en trouva environ cent quatre-vingts qui aimèrent mieux se laisser brûler que d’abjurer l’hérésie. Ensuite on assiégea Termes, château très-fortifié. Là, un arbalétrier, ayant frappé d’un trait, sur la croix qu’il avait sur l’épaule, un pèlerin qui portait des branchages pour combler les fosses, le trait rebroussa comme s’il eût frappé sur une pierre. De tous côtés, tous accoururent, et furent saisis d’admiration lorsqu’ils trouvèrent vivant celui qu’ils croyaient mort, car le coup l’avait renversé mais on ne trouva aucune déchirure sur son vêtement, ni aucune blessure sur son corps. Les assiégés, fatigués enfin d’un long siège, s’étant enfuis dans la nuit, furent arrêtés par nos gardes, qui en égorgèrent tant qu’ils en trouvèrent.

A Paris, quatorze hommes, dont quelques-uns étaient prêtres, furent convaincus d’hérésie. Dix d’entre eux furent livrés aux flammes, et quatre furent renfermés. Entre autres choses qu’ils enseignaient impudemment, ils prétendaient que le pouvoir du Père avait duré tant, que la loi de Moïse avait été en vigueur, et que, comme il a été écrit que les anciens cèderaient la place aux nouveaux venus après l’arrivée du Christ, tous les mystères de l’ancien Testament avaient été abolis, et la nouvelle loi avait été en vigueur jusqu’à ce temps, c’est-à-dire celui où ils prêchaient ces doctrines. Ils disaient que cette époque était la fin des mystères du nouveau Testament, que le temps du Saint-Esprit était arrivé, et que la confession, le baptême, l’eucharistie et les autres sacremens, sans lesquels il n’y a point de salut, ne seraient plus d’usage désormais ; mais que chacun pouvait être sauvé s’il était inspiré par la seule grâce intérieure du Saint-Esprit, sans aucun acte extérieur. Ils étendaient si loin le pouvoir de la charité, qu’ils disaient qu’une action qui autrement aurait été un péché, ne l’était pas si elle était faite dans l’esprit de charité ; c’est pourquoi ils se livraient, au nom de la charité, aux fornications, aux adultères et aux autres plaisirs des sens. Ils promettaient l’impunité aux femmes avec lesquelles ils péchaient, et aux simples qu’ils trompaient, et leur prêchaient Dieu comme bon seulement, et non comme juste.

Henri, empereur des Grecs, ayant rassemblé une armée, parcourut la Grèce, soumit ce qui lui résistait, pacifia ce qui lui était soumis, et étendit de tous côtés les bornes de sa domination. Othon, empereur des Romains, selon le projet qu’il en avait conçu depuis long-temps, s’empara des châteaux et forteresses appartenant à l’Église romaine, prit Montefiascone et presque toute la Romanie ; de là, passant dans la Pouille, il attaqua la terre de Frédéric, roi de Sicile, fils de l’empereur Henri, et prit un grand nombre de villes et de châteaux du fief de l’Église romaine. Des messagers ayant été envoyés de part et d’autre, comme l’empereur ne voulait en aucune manière rendre ce dont il s’était emparé, et faisait même dépouiller par des gens à lui, qu’il avait placés dans des châteaux, ceux qui se rendaient à Rome, le Pape convoqua un concile de ses cardinaux, dans lequel il lança contre lui une sentence d’excommunication ; ensuite, comme Othon ne voulait pas revenir sur ses fautes, et continuait encore davantage à s’emparer des biens de l’Église et à interdire le passage à ceux qui se rendaient à Rome, le pape délia ses sujets du serment de fidélité envers lui, défendant, sous peine d’anathême, que personne l’appelât empereur, ou le regardât comme tel ; c’est pourquoi Othon fut abandonné par le landgrave duc de Thuringe, l’archevêque de Mayence, l’archevêque de Trèves, le duc d’Autriche, le roi de Bohême, et beaucoup d’autres, tant ecclésiastiques que séculiers.

Dans ce temps florissait, dans le territoire de Beauvais, Hélinand, moine de Froidmont, auteur d’une chronique exacte, prenant depuis le commencement du monde, et allant jusqu’à son temps ; d’un livre sur le gouvernement des princes et d’un autre intitulé Lamentations d’un moine déchu.