Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Géométrie élémentaire, article 2

GÉOMÉTRIE ÉLÉMENTAIRE.

Théorèmes sur les polygones réguliers ;

Par M. Ch. Sturm.
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Il a paru, à la page 45 du présent volume, une démonstration d’un théorème de géométrie dont M. le professeur Lhuilier avait donné l’énoncé dans la Bibliothèque universelle. Cette démonstration nous ayant paru moins simple que le sujet ne semblait le comporter, nous nous sommes occupés à en chercher une autre ; et le tour de raisonnement que nous y avons employé nous a heureusement conduit à quelques autres théorèmes assez curieux. M. Lhuilier n’ayant point encore publié sa démonstration, nous pensons que nos recherches sur ce sujet seront accueillies avec quelque bienveillance.

Nous allons d’abord chercher quel est le lieu des points du plan d’un polygone régulier quelconque, desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, la somme des puissances semblables quelconques de ces perpendiculaires est une grandeur constante donnée.

Soient le nombre des côtés du polygone régulier dont il s’agit, son centre, et l’un des points desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, la somme des n.me puissances de ces perpendiculaires soit une grandeur constante donnée.

Du point comme centre, et avec sa distance au point pour rayon, soit décrit une circonférence Du même point soient menées des droites à tous les sommets ; ces droites diviseront la circonférence en parties égales. Or, excepté le cas où le point, se trouverait le milieu de l’une des divisions, ce point sera plus près de l’un des points de division que de tous les autres. Soit pris, de l’autre côté de ce point de division, un second point qui en soit à la même distance que le point de sorte que le point de division dont il s’agit soit le milieu de l’arc Soient enfin déterminés, pour chacun des autres points de division de la circonférence des points et et et qui soient situés par rapport à eux de la même manière que le sont les points et par rapport au premier. Il est manifeste que la circonférence sera aussi divisée en parties égales soit par les points soit par les points Il n’est pas moins évident que les points de ces deux séries seront tous des points semblablement situés par rapport au polygone dont il s’agit ; d’où il suit que les perpendiculaires abaissées de l’un quelconque d’entre eux, autre que le point sur les directions des côtés de ce polygone seront, une à une, égales aux perpendiculaires abaissées de ce point, sur ces mêmes côtés. Il arrivera seulement que les perpendiculaires égales, dans les deux séries, correspondront à des côtés différens.

Concluons de là que la somme des n.mes puissances des perpendiculaires abaissées de l’un quelconque des points autre que le point sur les directions des côtés du polygone est égale à la somme des n.mes puissances des perpendiculaires abaissées de ce point, sur ces mêmes directions, et qu’ainsi ces points doivent tous appartenir à la courbe cherchée, qui doit conséquemment couper en points au moins la circonférence si toutefois elle ne se confond pas avec elle.

Or, un cercle, qui est une ligne du second ordre, ne saurait être coupé en points au moins que par une ligne qui soit au moins du m.me ordre ; donc toutes les fois que le lieu cherché sera d’un ordre inférieur au m.me, il devra nécessairement se confondre avec la circonférence

Mais, d’un autre côté, il est connu que la longueur de la perpendiculaire abaissée d’un point sur une droite est une fonction linéaire des coordonnées de ce point ; d’où il résulte que le lieu des points, du plan d’un polygone régulier desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions des côtés de ce polygone, la somme des n.mes puissances des longueurs de ces perpendiculaires est une quantité donnée, ne saurait être qu’une ligne du 2.me ordre au plus ; donc, toutes les fois qu’on aura ce lieu devra se confondre avec la circonférence On a donc ce théorème assez remarquable :

THÉORÈME. Le lieu géométrique des points du plan d’un polygone régulier, desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, la somme des puissances semblables d’un degré donné quelconque des longueurs de ces perpendiculaires est une grandeur constante donnée, est nécessairement une circonférence concentrique au polygone dont il s’agit ; toutes les fois du moins que l’exposant de la puissance est inférieur au nombre des côtés de ce polygone.

Or, il est connu que toute fonction symétrique entière et rationnelle de plusieurs quantités est exprimable en sommes de puissances semblables de ces mêmes quantités, dont le degré n’excède jamais le nombre des dimensions de la fonction dont il s’agit ; on peut donc à ce théorème substituer le suivant, beaucoup plus général.

THÉORÈME. Le lieu géométrique des points du plan d’un polygone régulier, desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, une fonction symétrique rationnelle et entière de forme quelconque des longueurs de ces perpendiculaires est une quantité constante, est une circonférence concentrique au polygone dont il s’agit ; toutes les fois du moins que le nombre des dimensions de la fonction est inférieur au nombre des côtés de ce polygone.

Ainsi, en particulier, le théorème sera vrai pour les sommes de produits deux à deux, trois à trois,  à de ces perpendiculaires.

D’après l’idée qu’on se forme communément de la loi de continuité, on serait tenté de croire que notre premier théorème doit subsister encore pour les sommes de puissances des longueurs des perpendiculaires d’un degré égal ou supérieur à . Il paraîtrait étrange et vraiment paradoxal, en effet, que, par exemple, le lieu géométrique des points du plan d’un polygone régulier de 100 côtés desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ces côtés, la somme des .mes puissances ou des puissances semblables de degrés inférieurs serait constante, dût être un cercle, et que ce lieu dût devenir tout-à-coup une ligne du 100.me ordre, ou peut-être même d’un ordre plus élevé, dès qu’il s’agirait seulement de la somme des .mes puissances de ces mêmes longueurs.

Pour démontrer généralement qu’alors le lieu demandé cesse d’être un cercle, il faudrait probablement s’engager dans de longs et difficiles calculs ; mais nous pouvons du moins prouver, par un exemple particulier des plus simples, que du moins la loi de continuité n’est point observée dans tous les cas. En effet, dans ses Élémens d’analise géométrique (pag. 139), M. Lhuilier a prouvé que le lieu des points du plan d’un polygone régulier tels que la somme des cubes de leurs distances aux côtés du polygone est constante, est une circonférence concentrique à ce polygone, tant que le nombre de ses côtés surpasse trois, mais que, dans le cas du triangle équilatéral, ce lieu cesse d’être une circonférence, pour devenir une ligne du troisième ordre. Il résulte d’ailleurs, de ce qui vient d’être démontré ci-dessus, que, pour le triangle équilatéral, comme pour les autres polygones réguliers, ce lieu redevient une circonférence dès qu’il ne s’agit plus que des sommes de perpendiculaires ou de la somme de leurs quarrés.

Venons présentement au théorème de M. Lhuilier, que nous avons rappelé au commencement de cet article, et cherchons quel est le lieu des points du plan d’un polygone régulier donné quelconque, desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, le polygone non régulier inscrit qui aura ses sommets aux pieds de ces perpendiculaires, ait une aire constante donnée.

Exécutons exactement les mêmes constructions que ci-dessus et nous obtiendrons comme alors points distribués sur la circonférence de telle sorte que la polygone non régulier inscrit qui aura ses sommets aux pieds des perpendiculaires abaissées de l’un quelconque, autre que sur les directions des côtés du polygone primitif, sera identiquement égal au polygone irrégulier inscrit qui aura ses sommets aux pieds des perpendiculaires abaissées du point sur ces mêmes directions ; d’où l’on conclura, comme ci-dessus, que le lieu cherché doit couper la circonférence aux points si toutefois il ne se confond pas avec elle.

Mais, d’un autre côté, il résulte, des considérations très-simples exposées à la page 293 du précédent volume, que le lieu cherché ne saurait être qu’une ligne du second ordre qui, si elle ne se confond pas avec la circonférence ne saurait la couper en plus de quatre points ; donc ce lieu est cette circonférence elle-même ; de sorte qu’on a ce théorème, qui est précisément celui de M. Lhuilier :

THÉORÈME, Étant donné, sur un plan, un polygone régulier d’un nombre quelconque de côtés ; une circonférence concentrique à ce polygone est le lieu géométrique des points de chacun desquels abaissant des perpendiculaires sur ses côtés, l’aire du polygone qui a pour sommets les pieds de ces perpendiculaires est d’une grandeur donnée.

Désignons présentement par les perpendiculaires abaissées du point quelconque de la circonférence sur les directions des côtés du polygone régulier dont il s’agit ; ces perpendiculaires diviseront le polygone irrégulier inscrit en une suite de triangles dont les aires seront respectivement, en représentant par l’angle intérieur du polygone régulier,

la somme des aires de ces triangles, c’est-à-dire, l’aire du polygone irrégulier inscrit, aura donc pour expression

Or, d’après ce qui vient d’être démontré ci-dessus, cette aire est constante, quelle que soit la situation du point P sur la circonférence puis donc que est constant, il s’ensuit que la somme de produits

est aussi une quantité constante, quelle que soit la situation du point sur la circonférence

Or, les quarrés des côtés consécutifs du polygone irrégulier inscrit ont respectivement pour expression

donc la somme des quarrés de ces mêmes côtés a pour expression

Or, il a été démontré ci-dessus que était une quantité constante, et nous venons de démontrer la même chose de on a donc cet autre théorème :

THÉORÈME. De quelque point d’une circonférence concentrique à un polygone régulier donné qu’on abaisse des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, la somme des quarrés des côtés du polygone irrégulier inscrit dont les sommets consécutifs seront les pieds de ces perpendiculaires, demeurera constante.

Le tour de raisonnement qui nous a conduit à la démonstration de ces divers théorèmes peut être employé à démontrer un grand nombre de théorèmes analogues, parmi lesquels nous nous bornerons à indiquer le suivant :

THÉORÈME. Une circonférence concentrique à un polygone régulier donné est le lieu géométrique des points de chacun desquels menant des droites à tous ses sommets, la somme des puissances paires du même degré des longueurs de ces droites est une grandeur constante ; pourvu toutefois que l’exposant commun de ces puissances paires soit inférieur au nombre des côtés du polygone régulier donné.


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