Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Mathématiques appliquées, article 4

MÉCANIQUE APPLIQUÉE.

Description d’un projet de machine à vapeur, principalement
applicable à faire mouvoir les bateaux ;

Par M. A. R. Bouvier, ingénieur des ponts et chaussées,
ancien élève de l’école polytechnique.
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Dans le dessin joint à la présenté description, le rapport entre les différentes pièces n’a point été étudié ; on ne doit le regarder que comme une simple figure de géométrie, servant à l’explication de l’idée. Dans la vue de le simplifier, on a supprimé la chaudière, ainsi que le bateau.

Dans ce genre de machines ; on a pour but d’imprimer un mouvement de rotation à un axe horizontal qui traverse le bateau. Ce mouvement en communique un semblable, mais plus rapide, au moyen d’engrenages à deux roues à aubes qui poussent l’eau et font office de rames.

(fig. 1), est la projection horizontale de cet axe ; (fig. 3), sa projection verticale, (fig. 4) sa projection latérale.

Pour imprimer un mouvement de rotation à cet axe, j’imagine un tambour ou portion de cylindre horizontal, ayant le même centre que l’axe qu’il s’agit de faire tourner ; est la projection horizontale de ce tambour ; sa projection verticale ; et sa projection latérale.

La coupe de ce tambour, plus en grand, est indiquée en (fig. 2) ; est la coupe de son axe ; et la projection de la partie extérieure au tambour, qui a un moindre diamètre que l’intérieure. est le tuyau qui communique à la chaudière, et par où arrive la vapeur dans le tambour. est une plaque qui va d’une des faces latérales du tambour à l’autre ; elle porte sur une feuillure pratiquée sur les côtés verticaux du tambour, et touche l’axe elle a un axe de rotation, marqué au point sur la partie courbe du tambour. On voit en (fig. 3) la projection verticale de la saillie établie sur les côtés du tambour, pour y pratiquer les feuillures. (fig. 1) sont les projections horizontales des mêmes saillies, et (fig. 4) leurs projections latérales. Une autre plaque, qui va aussi d’une des faces latérales du tambour à l’autre, et qui fait corps avec l’axe (fig. 2) est représentée par Cette plaque touche la partie concave du tambour, ainsi que ses parties latérales.

En supposant que la vapeur arrive dans le tambour par le tuyau elle entrera dans l’espace La plaque s’opposera à ce qu’elle s’échappe de ce côté ; l’action de la vapeur sur cette plaque, la pressant plus fortement contre la feuillure, contribuera à la mieux maintenir. La plaque sera également pressée par la vapeur ; mais, comme elle fait corps avec l’axe et que rien d’ailleurs ne s’oppose à son mouvement de rotation, il s'ensuit que ce mouvement aura lieu et que viendra se placer successivement en mais, par un mécanisme particulier, la soupape se fermera, dès que la plaque sera en et restera dans cet état, jusqu’à ce que cette plaque soit parvenue de nouveau, en continuant son mouvement, à sa position primitive

Un second tambour, semblable au premier, est assemblé sur le même axe qu’il s’agit de faire tourner, et est projeté horizontalement en (fig. 1). Celle des deux plaques de ce tambour qui fait corps avec le cylindre intérieur est en quand celle de l’autre est en et réciproquement. La soupape qui intercepte ou permet la communication de la chaudière avec le 2.e tambour s’ouvre ou se ferme quand celle du premier se ferme ou s’ouvre ; de sorte que, lorsque la force de la vapeur commence à agir avec moins d’intensité sur l’une des plaques faisant corps avec l’axe, par la suppression de la communication avec la chaudière, elle opère au contraire avec toute son intensité sur l’autre.

La plaque du 1.er  tambour étant parvenue en les deux triangles projetés en dans leur première position, et en dans la coupe, seront en et toucheront la plaque La force expansive de la vapeur, qui agit sur annulle celle qui agit sur mais, à cause du mouvement déjà imprimé et de la force due à la densité entière de la vapeur, qui agit sur la plaque de l’autre tambour, le mouvement de rotation de l’axe continuera d’avoir lieu ; et la plaque tournant autour de son axe de rotation laissera passer l’autre plaque, fixée à l’axe de rotation. Dès qu’elle l’aura dépassée, la plaque par l’effet seul de son poids, retombera sur la feuillure, et viendra toucher de nouveau l’axe La plaque faisant corps avec ce même axe arrivée en la position la soupape se rouvrira, et prendra la position indiquée en la figure 2. Dans le même temps, la soupape correspondant à la communication de l’autre tambour avec la chaudière se fermera.

Il faut remarquer que le tuyau qui communique du tambour au condenseur est constamment ouvert ; de sorte que la vapeur peut s’y rendre, dès que la plaque commence à s’ouvrir, et que celle contenue entre les plaques et en passant par la direction où se fait le mouvement, peut y affluer, dans quelque position que se trouve d’où, il suit qu’elle ne peut s’opposer au mouvement.

La vapeur qui se rend dans le condenseur, lorsqu’elle commence à y affluer, n’a plus la même densité que celle de la chaudière, ni par conséquent le même degré de force élastique ; puisque, d’après la loi établie par Mariotte pour les gaz, et qui s’applique également aux vapeurs, du moins tant qu’elles ne changent pas d’état, leur force élastique est proportionnelle à leur densité. Ainsi, la force de pression qui aura lieu sur la plaque parvenue en sera à celle qui agissait lorsque cette plaque était en comme est à parce que, depuis jusqu’à il n’y a pas eu de nouvelle vapeur reçue de la chaudièrc. Cette vapeur qui agit par sa seule élasticité, et sans nouvelle communication avec la chaudière va, d’après la loi ci-dessus établie, toujours en diminuant d’intensité, depuis jusqu’à cependant, arrivée à ce dernier point, elle est encore plus de moitié de ce qu’elle était ; puisque l’espace dans lequel elle est contenue n’est pas le double de celui qu’elle occupait primitivement, lorsqu’elle était en communication avec la chaudière.

Cette force qu’on acquiert dans mon mécanisme, par la seule expansion de la vapeur et sans en consommer, est un surcroit de force qu’on a sur la machine à vapeur employée jusqu’à présent, où la vapeur condensée a la même densité que celle de la chaudière. Cet avantage que présente mon idée me paraît de la plus haute importance ; on peut, en employant un plus grand nombre de tambours, en tirer un parti plus avantageux. En en mettant quatre, par exemple, et en supposant que chaque tambour n’a de communication avec la chaudière que pendant un quart de tour de l’axe ; en supposant encore que depuis jusqu’en ce qui est le seul espace où la vapeur n’agit pas, il y a un espace égal à un quart de cercle, on trouve que la force provenant de la seule dilatation est à peu près égale à celle qui agit dans le tambour en communication avec la chaudière (Voyez ci-après la démonstration que j’en donne). Ainsi, par cette disposition, on double la force des machines à vapeur ordinaires. En mettant un plus grand nombre de tambours on augmenterait encore la force. Il y a cependant ici un nombre qu’il serait inutile de dépasser, Je donnerai ci-après quelques considérations qui peuvent aider à le déterminer.

Ce que je viens d’exposer fait déjà concevoir la plus grande partie de mon mécanisme. Je vais expliquer maintenant la manière dont je fais ouvrir et fermer la soupape

Cette soupape a un axe de rotation qui fait corps avec la plaque une autre plaque, perpendiculaire à la première, est assemblée sur le même axe, extérieurement au tuyau ; la plaque intérieure est projetée en (fig. 5), et celle extérieure en

Une demi-portion de cylindre, projetée en (fig. 6) est assemblée solidement sur l’axe de rotation des tambours, au moyen de rayons qui n’en occupent pas toute la largeur. La projection horizontale de ce cylindre est (fig. 8), et celle des rayons est et On voit (fig. 7) la coupe d’un rayon et du cylindre.

Le cylindre tient la plaque extérieure au tuyau, verticalement ; comme on le voit (fig. 6) ; et, par suite, la plaque intérieure horizontalement. Il est aisé de comprendre que les choses resteront dans cet état, jusqu’au moment où le demi-cylindre aura passé le point alors la soupape se fermera par son propre poids.

On sent qu’en ayant un autre demi-cylindre qui, en projection verticale, finisse, avec celui le cercle entier, le dernier point du premier demi-cylindre ne laissera échapper la soupape que lorsque le premier point de l’autre aura ouvert la sienne en entier, ce qui établira le mouvement alternatif entre les deux soupapes. On voit en les projections horizontales des deux demi-cylindre, les projections verticales et les projections latérales.

Pour élever l’eau froide nécessaire à la condensation de la vapeur, on pourra adapter quelques godets à la roue à aubes qui plonge dans l’eau, dans le cas du moins où cette roue ne devrait pas avoir une grande vitesse, et où, par conséquent, les godets pourraient se vider. S’il en était autrement, c’est-à-dire, si la roue devait avoir une grande vitesse de rotation ; en recueillant l’eau qu’elle lancerait ; on en aurait suffisamment. Ces moyens seront beaucoup plus simple que de mettre en mouvement une pompe pour cet effet.

Il en faudra nécessairement une pour évacuer l’eau condensée. On emploie d’ailleurs cette eau à alimenter la chaudière. Cette pompe est mise en mouvement, dans ma machine, par un cylindre arrêté sur l’axe de rotation, et coupé par une hélice qui ne s’éloigne de la base du cylindre que sur la moitié du cercle, et qui s’en rapproche sur l’autre. On sent que, la manivelle de la pompe, étant accrochée par ce cylindre, fera mouvoir le piston de toute la différence qu’il y a entre l’ordonnée la plus longue de l’hélice et la plus courte, en les rapportant au cercle de la base. La demi-portion qui s’éloigne du cercle étant passée, la pression de l’air sur le piston fera suivre à la manivelle l’hélice qui se rapproche de la base du cylindre ; ainsi cette pompe aura un mouvement de va et vient. On voit (fig. 9) la portion développée de ce cylindre, en sa projection horizontale, en sa projection verticale, et en sa projection latérale. La manivelle du piston se voit aussi au-dessous de qui est sa projection latérale.

Le vase est le condenseur, est le vase où l’on retient l’eau froide pour la condensation. est le syphon qui porte l’eau dans le condenseur.

Ce que je viens, de dire fera, je l’espère, suffisamment comprendre mon idée. Je vais, présentement appliquer le calcul à la détermination de la force provenant de l’expansion de la vapeur, ou, ce qui revient au même, l’augmentation de force due à la disposition particulière de mon mécanisme.

J’appelle la portion de la circonférence correspondant à la portion du cercle pendant laquelle un tambour reçoit la vapeur de la chaudière, est une portion aliquote de la circonférence, et qui y est comprise autant de fois qu’il y a de tambours. Les plaques fixées à l’axe qu’on fait tourner, projetées sur le cercle d’un des tambours, au moment où un nouveau tambour reçoit la vapeur, intercepteront sur la circonférence les portions (fig. 10), égales à Celle qui recevra la vapeur de la chaudière aura sa plaque projetée dans la portion celle qui la recevra immédiatement avant l’aura dans l’autre dans et ainsi de suite. La même combinaison aura lieu, quelle que soit la plaque du tambour qui décrit La détermination de la force moyenne, pendant cette portion de rotation, sera celle de la machine entière, puisque cette force est périodique, et que détermine la période. En appelant l’arc du même cercle qui soutiendrait un secteur égal à l’espace (fig. 10), et la portion de la même circonférence, à partir de pour arriver à une plaque sise dans une position quelconque, étant la force qui agissait sur cette plaque, lorsqu’elle était en communication avec la chaudière ; celle qui a lieu dans la position correspondante à on aura

d’où

Il reste dans le condenseur une vapeur dont la température et par suite la force élastique varie peu ; en la désignant par la force qui produit l’effet utile sur une plaque sera

d’où expression différentielle de la force variable, sera dont l’intégrale est En prenant cette intégrale depuis jusqu’à et en divisant par on aura la force moyenne due au tambour qui décrit Cette même intégrale, prise depuis jusqu’à et divisée encore par sera celle due au tambour qui décrit et ainsi de suite. La somme de toutes ces intégrales, divisée par la quantité sera donc la force moyenne due à tous les tambours qui n’ont plus de communication avec la chaudière, c’est-à-dire, celle provenant de l’expansion de la vapeur. Il ne faudra pas comprendre, dans cette somme d’intégrales, la dernière qui est celle répondant au tambour qui décrit attendu que la vapeur s’échappe alors pour aller au condenseur. Or, la somme de toutes ces intégrales est égale à une seule, prise depuis jusqu’à En substituant ces quantités dans l’intégrale prise entre ces limites, on a

Si l’on fait abstraction de cette expression se simplifie et devient seulement

En faisant, dans ces formules et ce qui est à peu près le rapport de ces forces, dans les machines ordinaires ; et si l’on suppose de plus on aura Or, l’effet utile de la plaque en communication avec la chaudière est On voit d’après cela, que la force due à l’expansion ne serait pas tout-à-fait égale à celle du tambour qui reçoit la vapeur de sorte que la force ne serait pas doublée, mais peu s’en faudrait.

Si l’on employait une machine à haute pression, la réaction de la vapeur qui est dans le condenseur serait peu de chose relativement à celle qui produirait l’effet utile. Si, par exemple, la pression directe était de quatre atmosphères, on aurait alors et serait encore sensiblement égal à en supposant on aurait, pour la force due à l’expansion, On voit que cette force serait plus considérable que celle due à la en communication avec la chaudière, laquelle ne serait que ainsi la force serait plus que doublée. Cela prouve que mon idée serait encore plus avantageuse pour les machines à haute pression que pour les autres.

J’ai supposé que la réaction était dans la machine à haute pression, comme dans celle à simple pression ; on sent cependant qu’elle doit être moins forte dans ces dernières que dans les autres, puisque la vapeur qui afflue dans le condenseur a beaucoup moins de densité, et que par conséquent elle doit être d’une condensation bien plus prompte ; ainsi, pour cette raison, serait peut-être trop dans les uns et pas assez dans les autres.

Le coefficient différentiel de l’intégrale indéfinie égalé à zéro, donnera les maxima et les minima dont cette expression est susceptible. Or, ce coefficient différentiel est d’où

Le coefficient du second ordre étant négatif prouve que cette expression est un maximum. En se rappelant que l’expression différentielle que nous avons égalée à zéro n’est autre chose que la force qui agit directement moins celle qui réagit du condenseur ; on voit que le maximum, a lieu quand ces deux forces sont égales.

Pour simplifier la valeur de négligeons elle se réduira à Nous avons trouvé, d’après la disposition du mécanisme précédemment décrit, que la plus grande valeur de dans l’intégrale, était Ainsi, en mettant cette expression à la place de on aura l’équation d’où Si, d’après les valeurs de et on trouvait pour un nombre entier ; alors, en employant ce nombre de tambours, on aurait le maximum de la force due à l’élasticité. Si, au contraire, l’on n’obtenait qu’un nombre fractionnaire, en prenant pour le nombre de tambours la valeur entière qui en approcherait le plus, on aurait un résultat qui différerait peu du maximum : il serait, du reste, le plus grand qu’on pût obtenir par mon mécanisme.

Si, dans l’expression on met pour et leurs valeurs, dans le cas des machines ordinaires, on a Ce nombre de tambours serait trop grand pour qu’on pût l’employer avec avantage ; la complication de la machine, la dépense que cela occasionerait, feraient sans doute plus que compenser l’avantage qui résulterait de l’augmentation de la force.

Si l’on fait et on trouve résultat encore moins applicable que le précédent.

Si, dans la formule on fait on aura expression du maximum de la force qu’on peut obtenir, par la dilatation de la vapeur, dans le cas des machines ordinaires ; laquelle force ne diffère de celle obtenue pour quatre tambours que de Ainsi, l’augmentation de cinq tambours n’aurait augmenté la force que de cette quantité ; tandis que les quatre premiers donnent On voit donc que, passé un certain nombre de tambours, leur accroissement ne produit pas un effet beaucoup plus grand.

Pour simplifier les calculs, j’ai supposé qu’un seul tambour ne produisait aucun effets cependant, si l’on en augmentait trop le nombre, cela ne pourrait avoir lieu, attendu qu’il pourrait y avoir plusieurs tambours dont la vapeur se rendrait en même temps au condenseur, et qui, par suite, n’ajouterait rien à la force. Mais, je le répète, je ne pense pas qu’il soit avantageux de les trop multiplier ; quatre me paraissent suffisant et j’ai fait voir précédemment que par là on doublerait à peu près l’action des machines.

Aux avantages de mon idée, que j’ai déjà développés, je crois pouvoir ajouter celui d’avoir directement un mouvement de rotation continu, et d’éviter par là la force qu’on perd par les frottemens, pour l’obtenir de la transformation d’un mouvement de va et vient.[1]

On évite aussi, par mon système, les chocs qu’on a dans les machines ordinaires, pour annuler la force vive acquise dans un sens, afin d’en prendre une en sens contraire ; chocs qui ébranlent singulièrement les machines et leurs supports, et concourent puissamment à leur destruction.


Séparateur

  1. M. Ferry, l’un des principaux agens de la compagnie Andriel et Pajol, qui a bien voulu m’honorer de ses conseils, a communiqué mon idée à M. Molard, membre de l’académie des sciences, administrateur du conservatoire des arts et métiers, qui lui a observé que je n’étais pas le premier qui eût proposé une machine à vapeur ou l’on obtenait directement le mouvement de rotation. J’ai trouvé, depuis, la description d’une semblable machine, dans l’ouvrage de MM. Lantz et Bétancourt ; mais celle-ci, ou une autre de même espèce, que M. Ferry m’a fait connaître, et qui a été proposée par M. Raynalt, ne sont point disposées de manière à tirer parti de la force provenant de la dilatation de la vapeur ; et c’est en cela que mon idée me paraît offrir une grande utilité.