Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Mathématiques appliquées, article 5

MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES.

Essai d’application de l’analise mathématique à la
circulation du sang ;
Deuxième mémoire
[1] ;

En réponse à Kurt Sprengel ;
Par M. le professeur Chrétien Kramp, doyen de la faculté
des sciences de Strasbourg, chevalier de l’Ordre royal
de la légion d’honneur.
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I. Le grand objet de la force vitale des vaisseaux, c’est de maintenir, au milieu des causes sans nombre qui résistent à la masse sanguine, une uniformité rigoureusement exacte dans le mouvement du sang. Imaginons une masse quelconque, lancée par une force de projection quelconque, et qui, après avoir éprouvé à chaque instant l’effet des forces accélératrices et retardatrices qui auront pu agir sur elle, ait acquis, au bout du temps la vitesse Désignant par la somme des forces accélératrices et par la somme des forces retardatrices qui agissent sur cette masse dans l’instant  ; on devra avoir nécessairement  ; équation qui ne repose sur aucune hypothèse, et qui, par sa simplicité et sa généralité, est applicable à toutes les suppositions de mouvement quelconques.

2. La véritable vitesse du sang, à l’époque sera donc égale à l’intégrale de qui sera elle-même une certaine fonction du temps inconnue encore aux médecins, aussi bien qu’aux géomètres, plus une constante arbitraire, c’est-à-dire, une quantité entièrement indépendante du temps C’est en conséquence d’un principe fort naturel, qu’une quantité variable quelconque est égale à ce qu’elle avait été dans un instant donné, plus les accroissemens qu’elle a reçus depuis cet instant. Dans le cas où la force accélératrice est exactement égale à la somme des résistances, on aura ainsi l’intégrale sera égale à la constante seule ; et cette constante, dans le cas actuel, n’est autre chose que la vitesse que l’onde de sang avait reçue du cœur. Cela ne doit surprendre personne. Deux forces égales et contraires, dont par conséquent l’effet réuni est nul, agissent à la fois sur un corps, en repos ou en mouvement : on demande ce qui en résultera ? ce sera la conservation de l’état actuel ; le maintien du status quo. Reste à savoir quel est ce status quo, si c’est l’état de repos, le corps naturellement restera en repos : si c’est, au contraire, l’état de mouvement, ce même mouvement persévérera ; il sera maintenu, et nous présentera peut-être le seul exemple d’un mouvement rigoureusement uniforme.

3. Il faudrait être complètement étranger aux notions les plus simples et les plus élémentaires des mathématiques pour pouvoir, par exemple, avancer sérieusement la proposition suivante : Si la force vitale des artères est égale à la somme des résistances, alors toute la masse sanguine restera immobile. Ce serait confondre les deux états, entièrement différens, de et de ce serait prendre la variable elle-même pour la différentielle de cette variable. Un corps quelconque, solide ou fluide, est en mouvement d’après une loi quelconque : une force quelconque vient alors agir sur lui : il faut déterminer le changement que cela produira dans l’état du mouvement actuel. Il est clair que ce changement sera proportionnel à la force elle-même. Reste à savoir si cette force agit dans le sens même du mouvement du corps, ou dans un sens opposé, ou enfin dans une autre direction quelconque. Dans le premier cas, il faudra ajouter le changement à la vitesse même du corps ; dans le second, il faudra, au contraire, l’en retrancher ; et dans le troisième, enfin, il faudra déterminer, d’après les lois de la géométrie, l’influence que pourra avoir cette force sur l’état actuel du corps. Mais, dans tous les cas, cette même force sera proportionnelle, non à la vitesse actuelle du corps, mais à l’accroissement ou à la diminution que cette vitesse aura éprouvée, ou, plus généralement au changement qu’elle aura subi.

4. Un corps quelconque, solide ou fluide, est en mouvement, suivant une loi quelconque : deux forces rigoureusement égales, mais agissant dans des directions opposées, viennent agir sur lui : il faut déterminer le changement que cela produira dans son état actuel. Mais, si les deux forces sont égales, et qu’elles agissent dans des directions opposées, il est clair qu’elles n’en produiront pas : le corps persistera dans l’état de repos ou de mouvement qu’il avait d’abord. Dans l’état de santé, d’après l’idée que nous devons nous en faire, des causes retardatrices agissent sur l’onde de sang sortie du cœur : elles sont nombreuses et évidentes ; opposons-leur des causes accélératrices qui leur soient égales et contraires, et le mouvement du sang continuera, tel qu’il aurait eu lieu sans l’existence d’aucune de ces deux causes ; c’est-à-dire qu’il sera uniforme.

5. Mais que restera-t-il donc du mouvement du corps, dans le cas où les causes retardatrices seront égales aux accélératrices ? ce qui en restera ? Il restera toute cette vitesse que l’onde de sang avait immédiatement reçue du cœur, et qui, depuis sa sortie du ventricule gauche, jusqu’à sa rentrée par l’oreillette droite, n’aura pas reçu la moindre atteinte. Cette vitesse est certainement très-médiocre : mettons cinq à six pieds par seconde, pour une veine telle que la brachiale, ou la médiane ; et nous aurons le mouvement du sang, tel qu’il paraît être dans une bonne saignée. Avec cette vitesse, le sang parcourt tout le système vasculaire du corps ; pénètre dans les plus petits vaisseaux, qui sont insensibles à la vue, et revient de là dans les grandes veines. Il n’est pas nécessaire que la vitesse du sang soit excessive ; une vitesse médiocre suffit ; pourvu qu’elle conserve, pendant tout le trajet de l’onde, l’impulsion qu’elle avait reçue du cœur.

6. L’exemple d’un corps mû d’un mouvement uniforme, précisément à cause de l’égalité entre les forces accélératrices et retardatrices qui agissent sur lui, n’est rien moins que nouveau, dans l’histoire de la mécanique : cette science en est pleine, dans toutes ces applications. Les gouttes de pluie tombent d’abord d’un mouvement accéléré, conformément aux lois de la pesanteur ; mais, en tombant, elles éprouvent de la part de l’air une résistance qui croit aussi avec leur vitesse ; et dès que cette résistance sera devenue égale au poids de la goutte, son mouvement cessera de s’accélérer : il sera de lui-même devenu uniforme, à cause de l’égalité entre les forces accélératrices et retardatrices. Voulez-vous connaître la véritable vitesse avec laquelle la goutte de pluie continue de tomber, après être parvenue à l’uniformité ? Convertissez-la en une colonne d’eau d’un poids égal ; la hauteur de cette colonne sera celle d’où un corps grave serait obligé de tomber, pour acquérir, par sa chute, une vitesse égale à celle avec laquelle elle se meut réellement, et d’une manière très-uniforme. Personne n’a jamais dit que la goutte restera suspendue en l’air, précisément à cause de l’égalité entre son propre poids et la résistance de l’air, qui lui sera devenue rigoureusement égale.

7. Un vaisseau muni de voiles est sur mer ; le vent en soufflant enfle les voiles, il fait prendre au vaisseau, dans les premiers instans, un mouvement uniformément accéléré. Mais ce vaisseau ne peut avancer à moins qu’il n’écarte l’eau qui est devant lui ; et cette eau lui résiste proportionnellement au quarré de sa vitesse. Le choc du vent sur les voiles suit le même rapport : qu’en résultera-t-il ? La vitesse du vaisseau augmentera, jusqu’à ce que le poids du prisme d’air qui exprime le choc du vent sur les voiles soit égal à la résistance du prisme d’eau qui exprime celle de la partie antérieure du navire. Dès lors il n’y aura plus d’accélération ; le vaisseau sera mû d’un mouvement uniforme, avec une vitesse égale et constante. Quelle sera cette vitesse ? Ce sera celle qui rend l’impulsion du vent sur les voiles égale au choc de l’eau sur la partie antérieure du vaisseau. Il y aura une équation du premier degré à résoudre pour trouver la valeur de l’inconnue ; mais jamais il n’est venu dans la tête de personne de prétendre que le vaisseau restera immobile sur la surface de l’eau, uniquement parce que l’impulsion du vent sur les voiles est devenue égale au choc de l’eau sur la proue.

8. Le même vaisseau est encore muni de rames : on demande sa vitesse, après qu’il sera parvenu à l’état d’uniformité ? Dans les premiers instans, le mouvement sera uniformément accéléré, à cause de l’impulsion, toujours persistante, du vent sur les voiles ; mais bientôt cet état de choses changera. D’un côté, à mesure que le vaisseau avance, il échappe en partie à l’action du vent, laquelle par conséquent devient une fonction de la vitesse même du vaisseau. D’un autre côté, la résistance de l’eau sur la surface antérieure retarde le mouvement du navire, et son action sur la surface des rames l’accélérera. Reste donc à savoir quelle doit être la vitesse du vaisseau, pour que le choc du vent sur les voiles soit égal à la insistance de l’eau sur la partie antérieure, moins son action sur la surface des rames ; et ce sera là l’inconnue du problème. Le vaisseau sera mû ainsi d’un mouvement uniforme ; et personne ne s’est jamais avisé de dire que ce soit là une raison, pour le maintenir dans une immobilité parfaite sur la surface de la mer.

9. En général, nous pouvons affirmer que, dans la multiplicité des causes qui s’opposent à la conservation du mouvement, il n’est et il ne peut exister aucun exemple d’un mouvement rigoureusement uniforme, à moins qu’il ne soit produit par cette égalité constante entre les forces accélératrices et les forces retardatrices qu’on rencontre partout. L’ignorance seule peut dire que le mouvement ne peut avoir lieu qu’autant que les premières l’emportent sur les autres. D’un pareil état de choses, il ne saurait résulter qu’un mouvement accéléré. Les auteurs d’une pareille proposition ne tiennent pas compte du mouvement actuel qui existe encore. Tant que ce mouvement n’est pas détruit par une cause étrangère, ou, tant qu’il n’est pas augmenté par une cause également étrangère, il ne peut cesser d’être le même. Enfin, si ce mouvement est affecté, à la fois, par deux causes étrangères, égales et directement opposées, dont l’une par conséquent tend à l’augmenter, tandis que l’autre tend à le diminuer, et qui par conséquent se détruisent, le mouvement reste tel qu’il est ; il n’est ni augmenté ni diminué ; il est rigoureusement uniforme ; et la vitesse une fois acquise demeure constamment la même.

10. Tout ce que je viens de dire parut pour la première fois dans mon ouvrage : De vi vitali arteriarum diatribe. Adita nova de febrium indola generali conjectura. Argentorati, 1785. Des trois cas possibles que présente l’équation générale savoir : le premier était essentiel à l’état de santé ; les deux autres désignaient la fièvre, savoir : le Synothus, et le Typhus. Cet ouvrage eut le sort de tous ceux qui choquent les idées reçues, et qui cependant ne sont pas appuyés par des démonstrations d’une évidence suffisante. C’était des propositions générales de mécanique, que je supposais connues de tout le monde ; et c’était la véritable raison pour laquelle je donnais tout l’ensemble de ma Pyrétologie sous une forme aphoristique, en la bornant à trente-trois thèses, dont il me paraissait fort inutile de donner les démonstrations. Je supposais que ces démonstrations s’offriraient d’elles-mêmes : j’avais-mal jugé de mes lecteurs. Les plus célèbres journaux de l’Allemagne en parlèrent avec une indifférence très-marquée : aucun ne jugea nécessaire de dire un mot seulement de mes thèses, qui renfermaient pourtant la partie nouvelle et véritablement essentielle de mon système. Je dois en excepter toutefois la Gazette littéraire de Tubingue, qui donna, quatre années après, un exposé très-détaillé de mon ouvrage, et sur-tout des thèses, qu’elle honora d’une critique particulière et très-avantageuse. L’auteur de cette récension était entièrement au fait de tous les principes de mécanique qui conduisent à mes résultats ; il se garda bien de tomber dans les bévues des autres ; et il accorda à mes propositions toute l’importance qu’elles méritaient effectivement. Mais cette critique fut bientôt oubliée, et ne fit aucune impression sur le siècle.

11. Dix années après, en 1794, je publiai, à Heidelberg, ma Fieherlehre nach mecanischen grundsäzzen (Pyrétologie, d’après les principes de mécanique), dans laquelle je développai tout mon système. Cet essai fut encore plus malheureux que le précédent : très-peu de journalistes daignèrent en faire mention : tous furent généralement révoltés de la proposition : Si la force vitale des artères est égale à la somme des résistances, le mouvement du sang sera uniforme : ils ne comprenaient pas ce que cela voulait dire ; et comme c’est là la proposition fondamentale de mon système, il est inutile de faire observer qu’ils ne comprenaient rien à tout le reste non plus. Ne voulant pas effaroucher mes lecteurs j’avais évité de donner, à ce que j’écrivais, cette forme mathématique qui lui était propre. Je sentais alors l’impossibilité de leur faire entrer dans la tête cette égalité entre les forces accélératrices et retardatrices, à moins que d’ôter en même temps toute idée de mouvement quelconque. En conséquence, je résolus de donner, à la première occasion, mon système, revêtu de tout l’appareil mathématique propre à le rendre intelligible aux géomètres ; en laissant ensuite à ces derniers le soin de le faire comprendre aux autres.

12. Cette occasion se présenta bientôt. L’an 1794, je donnai au public ma Kritik des pratischen Arzeneikunde (Critique de la médecine pratique). Le septième chapitre de cet ouvrage est entièrement destiné à l’exposition de mon système ; et à la suite, je donnai, en moindres caractères, et en forme de notes, les démonstrations mathématiques qui lui servaient d’appui. La fausse base sur laquelle cela était établi gâtait tout. Dès que l’uniformité du mouvement du sang ne peut être maintenue que sous la condition exclusive que la force vitale des vaisseaux et la somme des résistances, c’est à-dire, que les forces accélératrices et retardatrices de la masse sanguine soient rigoureusement égales entre elles ; voilà ce qui fait vraiment dresser les cheveux, et ce qui révolte le sens commun. Et que restera-t-il donc, dans le cas d’une égalité parfaite entre ces deux forces opposées ? Et faut-il donc le dire cent fois ? Il restera toute la force du cœur, ainsi que toute la vitesse qu’il aura communiquée à l’onde sanguine, et qui est très-indépendante de la force vitale des vaisseaux. Supposons que cette force vitale soit un peu plus grande que la somme des résistances ; dans ce cas, il restera donc quelque chose de la première, après en avoir retranché la seconde ; et ce quelque chose, ajouté à la vitesse que le sang aura reçue immédiatement du cœur, produira un mouvement accéléré. Supposons, au contraire, que la somme des résistances soit un peu plus grande que la force vitale des vaisseaux dans ce second cas, il restera quelque chose de la première après en avoir retranché l’autre toute entière ; et ce quelque chose, ôté de la vitesse que le sang aura immédiatement reçue du cœur, produira un mouvement retardé. L’un et l’autre des deux états est un état de maladie, incompatible avec l’uniformité du mouvement de sang, qui est une conséquence d’une égalité parfaite entre la force vitale des vaisseaux et la somme des résistances. Mais enfin l’un et l’autre doivent produire les deux états parfaitement opposés, et qu’on ne pourra mieux désigner que par les dénominations de fièvre positive et de fièvre négative.

13. Peu de temps après avoir écrit cet ouvrage, j’eus la place de professeur de mathématiques, de physique et de chimie à l’école centrale de Cologne ; et, après y être resté douze ans, j’acceptai celle de doyen de la faculté des sciences et de professeur de mathématiques à Strasbourg. C’est donc depuis vingt années, à peu près, que j’ai pu regarder ma carrière de médecin comme complètement terminée. Ce fut en 1812 pourtant que je mis au jour mon Essai d’une application de l’analise algébrique à la circulation du sang, que je destinais aux Annales de mathématiques de M. le professeur Gergonne, dans le troisième volume desquelles cet essai occupe en effet dix-sept pages. C’était là le dernier de mes ouvrages sur ce sujet ; et je ne songeais plus dès lors à reprendre la plume pour écrire ni sur la circulation du sang ni sur l’analise des fièvres, ni sur aucune matière de médecine quelconque.

14. Ce fut au mois d’avril de cette année, qu’un de mes collègues me rendit attentif sur quelques passages de l’Histoire pragmatique de la médecine, par Kurt Sprengel, où j’étais cité, et qui pouvaient m’être très-préjudiciables. Voici le texte de ces passages, tels qu’ils se trouvent dans la traduction française du sixième volume de cet ouvrage.

(Page 140) « Prenant pour guide les précieux travaux de Gauthier Verschuir sur cette matière, Chrétien Kramp accorda la contractilité aux artères ; mais par une bizarrerie inexplicable, il prétendit que cette force est différente de l’irritabilité ».

(Page 279) « Si quelques chimistes nous ont rappelé les théories du XVII.e siècle, la lecture de la pyrétologie d’un géomètre semble nous reporter au temps des iatromathématiciens. Chrétien Kramp croyait pouvoir expliquer les développemens de la fièvre, en admettant toujours la prépondérance de la force vitale sur la lenteur et les obstacles de la circulation du sang, sans réfléchir que cette prépondérance est absolument indispensable pour que la circulation s’effectue, et que, lorsque la force vitale n’est pas supérieure à l’obstacle, il s’ensuit un repos parfait ».

(Page 336) « L’essai que fit un fanatique, Chrétien Kramp, de donner une certitude mathématique à la médecine, est si pitoyable, qu’à l’exception de quelques fragmens, extraits d’Hyppocrate et de Galien, ce livre ne contient rien de plus que la pyrétologie de l’auteur, et que son traité de la force vitale des vaisseaux. La médiocrité de cet essai est d’autant plus évidente que Chrétien Kramp cherche à la cacher sous un vain étalage de formules algébriques et de mots imposans ».

15. Premièrement. Ce n’est pas une bizarrerie inexplicable de dire que la contractilité des artères est différente de l’irritabilité. L’irritabilité est la faculté qu’a la fibre de se contracter, par la présence d’un stimulus quelconque, quand même il n’agirait que par le simple contact. Sous le nom de contractilité des artères, j’entends la faculté d’entrer dans une contraction plus forte que la dilatation qui l’avait précédée ; et voilà ce qui fait différer cette contractilité de la simple élasticité. Cette dernière donnera, tout au plus, une contraction égale à la dilatation ; ce qui ne suffirait pas pour faire entrer un fluide visqueux et coaguleux dans les plus petits rameaux artériels, et le faire rentrer ensuite par les veines, sans la moindre apparence d’une perte de mouvement quelconque. Mais, en supposant une contraction plus forte que la dilatation, une réaction plus forte que l’action qui l’avait précédée, on aura quelque chose qui pourra distinguer la fibre morte de la fibre vivante. Par des raisons analogues, la contractilité des artères sera différente de l’irritabilité ; ce n’est point en effet la même chose de se contracter, en présence d’un stimulus quelconque, quand même il n’agirait que par le simple contact, ou d’entrer dans une contraction plus forte que la dilatation qui l’avait précédée. L’irritabilité suppose une artère qui, semblable au cœur, se vide entièrement à la fin de chaque contraction, ce qui contredit formellement la nature des artères, lesquelles restent toujours pleines ; la contractilité suppose précisément qu’elles sont pleines, sans quoi elle ne pourrait guère se manifester. Kurt Sprengel, comme on voit, n’y regarde pas de si près, pourvu qu’une fibre ait la faculté de se contracter, quel que soit le stimulus qui l’irrite, quel que soit le temps que cette contraction dure, il suffira pour lui de la croire inévitable.

16. Secondement. Kurt Sprengel me reproche que j’ai toujours admis la prépondérance de la force vitale des vaisseaux sur les obstacles à la circulation du sang ; il ajoute que cette prépondérance est indispensable pour que la circulation s’effectue ; et que, tant que la force vitale n’est pas supérieure à l’obstacle, il s’ensuit un repos parfait. Il n’est pas vrai que j’aie dit l’un, ce qui contredirait formellement mon système ; et quant à l’autre, il est très-faux que, tant que la force vitale n’est pas supérieure à l’obstacle, il s’ensuive un repos parfait. Il s’ensuivra une uniformité dans le mouvement actuel, auquel il ne sera rien ajouté, dont on ne retranchera rien non plus, et qui, par conséquent, restera tel qu’il avait été. Et, pour qu’il reste tel, il faut que la force vitale des vaisseaux soit rigoureusement égale à la somme des résistances ; sans quoi le mouvement serait accéléré, ou bien il serait retardé, suivant que la force vitale serait plus grande ou plus petite que la somme des résistances. Kurt Sprengel a-t-il donc oublié que l’onde de sang en question n’était pas en repos, mais en mouvement ; et qu’en conservant ce mouvement, on avait complètement rempli toutes les conditions du problème. Et comment le conservera-t-on ? Une suite nombreuse d’obstacles concourent à le diminuer : cela est évident. Supposez une force quelconque faisant équilibre à toutes ces résistances, et que vous nommerez force vitale des artères, et vous aurez votre mouvement conservé, et l’uniformité de ce mouvement maintenue. Cela a été dit cent fois ; et, si Kurt Sprengel, par incapacité ou mauvaise foi, ne l’a pas compris ou a feint de ne pas le comprendre, ce n’est certainement pas ma faute.

17. Troisièmement. Les formules algébriques et les mots imposans dont le vain étalage ne doit servir qu’à cacher l’identité de mon dernier ouvrage avec ceux qui le précèdent sont la chose du monde la plus simple. Désignons par la force vitale des artères, par la somme des résistances ; nous aurons Et telle sera l’équation différentielle entre le temps et la vitesse acquise dans toutes les suppositions possibles. Il est très-probable que Kurt Sprengel ne comprend rien à cette simplicité ; il ignore complètement que l’accroissement de la vitesse pendant l’élément de temps est égal au produit de la multiplication de la force par cet élément ; il n’a aucune idée d’une équation différentielle, dans sa plus grande simplicité possible ; il ne sait pas seulement ce que veut dire encore moins sait-ll ce que veulent dire les deux expressions analogues La première désigne le mouvement uniforme, la seconde le mouvement accéléré, et la troisième le mouvement retardé ; mais c’est là ce dont Kurt Sprengel ne se doute aucunement. Un homme doué d’un peu plus de modestie aurait aperçu sur-le-champ qu’il était question là de choses tout-à-fait étrangères à ses études, il aurait demandé à l’auteur, ou bien à tout autre, des éclaircissemens sur une matière qui lui était parfaitement inconnue. Kurt Sprengel en veut aux géomètres, et à tous ceux qui s’écartent des anciens systèmes ; il frémit à la seule idée que jamais la certitude mathématique vienne s’introduire dans la médecine ; aussi, en feuilletant les sept volumes de son ouvrage on reconnaît l’homme partagé entre les idées des solidaristes et des humoralistes : c’est de la vieille médecine toute pure.

18. Depuis long-temps Kurt Sprengel m’en veut. Il s’était scandalisé, dans tous les temps, de la dénomination très-innocente : force vitale des artères. Il lui a fallu toute ma critique pour lui faire concevoir que j’entendais par là tout ce qui établit la différence entre cette force contractile des artères qui constitue leurs battemens alternatifs, et la simple élasticité. Il avait inculpé Galien, de ce que celui-ci, pendant l’accès de frisson, dans les fièvres quartes, recommandait la saignée. Le fait est très-faux ; j’ai fait observer à Kurt Sprengel qu’il n’avait pas lu avec attention le passage en question. Dans un autre endroit, Kurt Sprengel avait revendiqué à Cesalpinus l’honneur d’avoir découvert la circulation du sang. Je lui ai fait voir que des passages tordus à volonté ne suffisent pas pour établir Cesalpinus auteur d’une pareille découverte ; et que, d’après d’autres passages, bien plus clairs et plus évidens, Galien méritait cet honneur avec bien plus de raison que Andreas Cesalpinus.

19. Finalement, Nous nous donnerons la peine d’expliquer enfin à Kurt Sprengel ce que nous entendons et ce qu’il faut nécessairement entendre par le mot force. Les forces, en général, sont de deux espèces ; et il est visible qu’il ne peut y en avoir de troisième. La première espèce comprend celles qui communiquent, dans un seul instant, au corps qu’elles doivent frapper toute la vitesse que celui-ci peut recevoir par le choc, et qui ensuite n’agissent plus sur lui. La seconde comprend les forces qui agissent par un véritable contact, qui ne communiquent, pendant le premier instant, qu’une vitesse infiniment petite, une véritable différentielle de vitesse ; mais qui ensuite restent en contact avec les corps et continuent d’agir. La force du cœur est de la première sorte : la force vitale des artères et la somme des résistances est la seconde. Dire que la force vitale des artères et la somme des résistances, sont égales entre elles, ou que l’une est le double, le triple, etc., de l’autre, cela est très-raisonnable, et cela peut être en effet. Dire que la force du cœur est égale, soit à la force vitale des artères, soit à la somme des résistances, ce serait là une sottise énorme, dont un homme tant soit peu versé dans les principes de la mécanique ne saurait jamais se rendre coupable. L’une des deux forces est une pression : l’autre est une percussion ; et il est visible qu’étant ainsi d’une nature très-différente, elles ne sauraient admettre une mesure commune entre elles. Nous doutons, au reste, de l’intérêt quelconque que Kurt Sprengel pourra attacher à cette discussion. Il ne connaît que deux objets dont il s’empresse de remplir ses ouvrages de la grossièreté et du savoir. Encore de ce savoir faudra-t-il retrancher tout ce qui tient aux sciences mathématiques, dans lesquelles il est et sera toujours complètement ignorant.


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  1. Consulter, pour le premier mémoire, la page 77 du III.e volume du recueil.