Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Astronomie, article 1

ANNALES
DE MATHÉMATIQUES
PURES ET APPLIQUÉES.

MÉCANIQUE CÉLESTE.

Recherche des équations différentielles du mouvement
des astres, de leurs intégrales premières, et des
élémens de l’orbite, en fonction des constantes que
renferment ces intégrales ;

Par M. Gergonne.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

M. Laplace, dans la Mécanique céleste [tom. 1.er, page 163, équations (P)], a présenté les intégrales premières des équations du mouvement des astres sous une forme élégante, qui permet d’exprimer simplement les élémens de l’orbite en fonction des coordonnées de l’astre, pour une époque quelconque, et de ses vitesses parallèles aux axes, pour la même époque. Je me propose ici d’obtenir ces mêmes intégrales premières, sous une forme un peu plus simple, par un procédé, moins analytique sans doute que celui de l’illustre géomètre que je viens de citer, mais qui me parait beaucoup plus élémentaire, et qui, pour cette raison, sera peut-être plus du goût de quelques lecteurs.

Mais, pour ne rien emprunter d’ailleurs, je montrerai d’abord brièvement comment les équations différentielles du mouvement des astres se déduisent des Lois de Képler. Je terminerai par faire voir comment les élémens de l’orbite se composent des constantes arbitraires que contiennent les intégrales premières de ces équations.

Pour la commodité typographique, j’emploirai constamment les notations différentielles de Lagrange ; le temps étant la seule variable supposée indépendante, il suffira aux lecteurs peu familiarisés avec ces notations de considérer et comme de simples abréviations des expressions et d’en faire de même à l’égard de toutes les autres variables, fonctions du temps.

§. I.

Lois de Képler.

On sait que les lois générales auxquelles Képler a été conduit par l’observation, et indépendamment de toute hypothèse, sont les suivantes : I. Les planètes décrivent, dans l’espace, des sections coniques qui ont le centre du soleil pour foyer commun.

II. Les aires décrites par le rayon vecteur autour de ce foyer sont, pour une même planète, proportionnelles aux temps employés à les décrire.

III. Les quarrés des durées des révolutions sydérales des diverses planètes, dans leurs orbites respectives, sont proportionnels aux cubes des demi-grands axes de ces orbites.

Soient, d’après cela les demi-axes respectifs de deux orbites elliptiques, les temps périodiques dans ces orbites, le temps d’un secteur quelconque de la première, et

enfin son paramètre. Nous aurons

Or, tout ce qui entre dans le second membre de cette dernière équation est constant, et relatif à une même orbite ; donc,

L’aire décrite par le rayon vecteur d’un astre, durant un intervalle de temps quelconque, divisée par le temps employé à la décrire et par la racine quarrée du paramètre de l’orbite, est une quantité constante, pour tout le système solaire.

Cette loi unique, qui comprend à elle seule les deux dernières de Képler, a sur elles davantage d’être applicable aux orbites paraboliques et hyperboliques, tout comme aux orbites elliptiques.

Si nous représentons par la quantité constante qui forme le second membre de notre équation, nous aurons, d’où

On peut prendre, pour calculer une planète quelconque. Si, par exemple, on choisit la terre ; et que, suivant l’usage, on prenne son demi-grand axe pour unité de longueur, on aura simplement

Si, de plus, on prend le jour solaire moyen pour unité de temps, on aura il viendra donc


[1].

§. II.

Gravitation universelle.

Soient pris le plan de l’orbite d’un astre pour plan des coordonnées rectangulaires, et le foyer de cette orbite ou le centre du soleil pour origine ; les axes des coordonnées ayant d’ailleurs une direction quelconque. Soit la longitude du périhélie, comptée depuis l’axe des positives, et du côté des positives ; soit de plus la longitude de l’astre, comptée de la même manière, pour l’époque En supposant le mouvement direct, et cette époque postérieure à celle du périhélie, on aura l’anomalie vraie Si donc on désigne par le rapport de l’excentricité au demi-grand axe et par la distance périhélie, ce qui donnera pour le paramètre en représentant par le rayon vecteur qui répond à l’époque nous aurons, par la première loi de Képler, et par la théorie connue des sections coniques,

(1)

ou, en développant,

(2)

Mais, si et sont les coordonnées de l’extrémité du rayon vecteur, on aura

(3)

d’où

(4)

au moyen de quoi l’équation (2) deviendra

(5)

En prenant le temps pour variable indépendante, et différentiant deux fois sous ce point de vue les équations (4, 5), il vient

(6)
(7)
(8)
(9)

D’un autre côté, la différentiation des équations (3) donne

(10)

d’où on conclut (3, 10)

(11)

étant l’aire décrite par le rayon vecteur. Mais nous avons (§. I.)

(12)

d’où

(13)

donc, en différentiant,

(14)

et par conséquent

(15)

d’où, par une nouvelle différentiation,

(16)

Présentement, l’élimination de entre les équations (6, 8) donne

(17)

équation qui, combinée avec (15), donne, en ayant égard aux équations (3 et 5),

et ensuite, par la substitution dans (6)

(19)

On tire encore des équations (18), en ayant égard à l’équation (5)

(20)

et l’équation (19) donne, en ayant toujours égard à la même équation (5),

(21)

donc

(22)

Au moyen de cette dernière formule, l’équation (7) devient

(23)

ou encore, en éliminant au moyen de l’équation (9),

(24)

En combinant cette dernière équation avec l’équation (16), on en tire, en ayant toujours égard à l’équation (5),

(25)

ce qui donne (4)

(26)

et ensuite, au moyen de l’équation (9), en ayant encore égard à l’équation (5),

(27)

L’équation (16) montre que les planètes sont mues en vertu d’une force d’impulsion combinée avec une force accélératrice, constamment dirigée vers le centre du soleil. L’équation (26) prouve que cette force, réciproquement proportionnelle au quarré de la distance de l’astre à ce centre, ne varie d’intensité, soit pour le même astre soit d’un astre à l’autre, qu’à raison de cette distance ; et c’est en cela proprement que consiste le principe de la gravitation.

Si nous désignons par la vitesse pour l’époque nous aurons (20)

La vitesse au périhélie, pour lequel on a sera donc

Faisant successivement et on aura respectivement, pour le cercle et pour la parabole,

Ainsi, à distance périhélie égale, la vitesse périhélie dans le cercle est à la vitesse périhélie dans la parabole comme est à

§. III.

Intégrales premières des équations du mouvement des astres.

D’après ce qui précède, en désignant par les coordonnées, pour l’époque du centre d’un astre, rapporté à trois axes rectangulaires quelconques, passant par le centre du soleil, et en représentant par le rayon vecteur correspondant, on aura

(28)

et on aura de plus

(29)

d’où on déduira, par deux différentiations successives,

(30)

(31)

Les équations (28), combinées successivement deux à deux, donnent, par l’élimination de

(32)

d’où l’on conclut, en intégrant,

(33)

étant trois constantes.

En multipliant successivement chacune de ces équations par les équations (28) renversées, sauf celle de même rang qu’elle, il vient

En prenant les différences respectives des équations de mêmes lignes, il vient

Ces équations deviennent ensuite (29 et 30)

ou, en réduisant,

ou encore

ce qui donne, en intégrant

étant trois nouvelles constantes.

En prenant la somme des produits respectifs des équations (39) par et réduisant ; il vient

(40)

mais, en vertu des équations (33),

(41)

donc aussi

(42)

Nos six constantes se trouvent donc liées entre elles par une équation de relation ; d’où il suit que les intégrales premières auxquelles elles appartiennent n’équivalent qu’à cinq seulement ; et qu’ainsi nous avons encore une intégrale et une constante à obtenir : voici comment on parvient à l’une et à l’autre.

En prenant la somme des produits respectifs des équations (28) par l’équation résultante peut être mise sous cette forme

(43)

d’où, en intégrant,

(44)

étant une nouvelle constante.

§. IV.

Recherche des élémens de l’orbite.

Nous venons de voir, dans le précédent §., que étant six constantes, liées entre elles par la seule relation

(42)

si l’on représentait par les coordonnées du centre d’un astre, rapporté à trois axes rectangulaires, passant par le centre du soleil ; par les vitesses de cet astre parallèlement aux trois axes ; et enfin par le quarré du quotient qu’on obtient lorsqu’on divise la circonférence dont le rayon est 1 par la durée de l’année sydérale ; nous avons vu, dis-je, que l’on avait les sept équations

(29)

de sorte, que nos constantes sont simplement fonctions des coordonnées et des vitesses parallèles aux axes qui répondent à l’époque Nous allons montrer présentement comment les élémens de l’orbite se déterminent simplement en fonction de ces mêmes constantes.

Posons, pour abréger,

(45)
(46)

Les équations (3) donnent d’abord, comme nous l’avons déjà vu,

(41)

équation d’un plan, qui est conséquemment celui de l’orbite, puisque n’y entre pas.

Pour déterminer entièrement la figure de l’orbite, il nous faut encore une équation indépendante de Or, en prenant la somme des produits respectifs des équations (39) par il vient, en ayant égard aux équations (29), (33) et (45)

(47)

équation qui, combinée avec l’équation (41), détermine complètement la figure et la situation de l’orbite.

On reconnaîtra, au surplus, la surface (47) pour une surface de révolution dont l’axe, situé sur le plan (41), est donné par la double équation

(48)

L’orbite étant ainsi déterminée, on peut désirer de connaître la situation de la ligne des apsides, ainsi que les deux distances aphélie et périhélie. Or, la propriété de ces deux distances c’est que y devient maximum ou minimum. Différentiant donc sous ce point de vue les équations (29, 41, 47), il viendra

(49)

En éliminant entre ces équations deux quelconques de vitesses la troisième disparaît d’elle-même, et on obtient l’équation

(50)

c’est donc là l’équation d’un plan qui contient la ligne des apsides ; et, comme l’équation (41) est celle d’un plan qui la contient également, il s’ensuit qu’elle se trouve déterminée par le système de ces deux équations, et conséquemment aussi par tout système de deux équations qui auront lieu en même-temps que celles-là. Il est d’ailleurs aisé de voir que les plans donnés par ces deux équations sont perpendiculaires l’un à l’autre.

Or, si l’on élimine successivement entre elles deux quelconques des trois variables on obtiendra la double équation

(48)

Ainsi, la ligne des apsides n’est autre chose que l’axe de révolution de la surface (47) ; et l’on peut prendre pour ses équations

(51)

On aura donc les coordonnées de l’aphélie et celles du périhélie, en combinant ces équations avec l’équation (47) mise sous la forme

ce qui donnera, en ayant égard à l’équation (46),

(52)

Il est évident que les signes supérieurs répondant à l’aphélie, et les signes inférieurs au périhélie.

Si ensuite on désigne respectivement par et les distances périhélie et aphélie, lesquelles ne sont autre chose que les distances de l’origine aux deux points que nous venons de déterminer ; on aura, en ayant toujours égard à l’équation (46)

(53)

Le demi-grand axe sera la demi-somme de ces deux quantités ; de sorte qu’en le désignant par on aura

(54)

Désignant ensuite l’excentricité par et le rapport de l’excentricité au demi-grand axe par on aura

(55)

La trajectoire sera donc une hyperbole, une parabole ou une ellipse, suivant qu’on aura ou En particulier, elle sera un cercle, si l’on a  ; ce qui emporte et donne Quant au paramètre, en le désignant par on aura

(56)

Nous avons donc déterminé tout ce qui, dans les élément de l’orbite, est indépendant du temps, et il ne nous reste plus qu’à fixer l’époque du périhélie. Pour y parvenir, remarquons d’abord qu’à l’époque, le rayon vecteur, fait avec les axes des angles dont les cosinus sont

mais la ligne des apsides fait avec les mêmes axes des angles dont les cosinus sont

d’où il suit qu’en désignant par l’anomalie vraie, on aura

(57)

Les quantités et étant ainsi déterminées, on a, par les théories connues,

(58)

d’où on conclut, par la différentiation,

(59)

mais nous avons (19), en faisant, comme ici,

(60)

il viendra donc, en égalant ces deux valeurs,

(61)

Cette équation peut s’intégrer de plusieurs manières ; mais, pour que son intégrale se présente sous une forme réelle, il faut varier les procédés, suivant qu’on a

1.o  Dans le cas de qui est celui de l’ellipse, en posant d’abord

(62)

on a

(63)

et la constante est l’époque du périhélie, puisque c’est ce que devient lorsque est nul.

2.o  Dans le cas de qui est celui de la parabole, on a immédiatement

(64)

et, pour les mêmes raisons que ci-dessus, la constante sera l’époque du périhélie.

3.o  Enfin, dans le cas de qui est celui de l’hyperbole, en posant d’abord

(65)

on a

(66)

et sera encore l’époque du périhélie.

Il est presque superflu de remarquer que, dans la formule (63), l’arc doit être exprimé en parties du rayon pris pour unité, et que, dans la formule (66), il s’agit de logarithmes naturels.

À raison du double signe dont tout radical est susceptible, le calcul de l’époque du périhélie laisse incertain si l’époque lui est antérieure ou postérieure, et nous avons admis ici des signes conformes à la dernière de ces deux hypothèses ; mais, comme il pourrait tout aussi bien arriver que le contraire eût lieu, il sera bon d’avoir quelque moyen de lever le doute où l’on pourrait être à cet égard.

En différentiant l’équation (47), il vient

(67)

or, suivant que l’époque, précède celle du périhélie, coïncide avec elle ou la suit, doit être négatif, nul ou positif ; donc aussi suivant qu’on aura

le périhélie.

Tout ce qui précède est absolument indépendant de la direction des axes des coordonnées, pourvu seulement qu’ils soient rectangulaires ; mais si, pour nous conformer à l’usage constant des astronomes, nous supposons que les axes des , des et des positifs sont respectivement dirigés vers l’équinoxe du printemps, le solstice d’été et le pôle boréal de l’écliptique, les équations (41 et 51) donneront

1.o  Tang. Long, du nœud ascendant  ;

2.o  Tang. Inclinaison de l’orbite

3.o  Tang. Long, du périhélie (sur l’écliptique) [2]

Il résulte clairement, de tout ce qui précède, que le problème de la recherche des élémens de l’orbite d’un astre se réduit, en dernière analise, à trouver pour un instant quelconque donné les coordonnées de son centre, par rapport à trois axes rectangulaires passant par le centre du soleil, et ses vitesses, pour le même instant, parallèlement à ces trois axes. Dans un autre article, nous essayerons de traiter ce dernier problème, du moins par approximation, et en partant d’observations peu distantes les unes des autres.

  1. Dans l’exacte vérité, cette valeur de suppose la masse de la terre tout à fait nulle, par rapport à celle du soleil ; mais nous avons voulu tout déduire des lois de Képler ; et nous avons pu, d’autant plus, nous le permettre, que l’influence de la masse de la terre tombe au-delà de la 8.e décimale de la valeur de
  2. Ce que les astronomes sont dans l’usage d’appeler longitude du périhélie sur l’orbite, n’est point proprement une longitude, suivant la définition de ce mot ; et cela est d’autant plus propre à induire en erreur que souvent ils désignent cette donnée, d’une physionomie assez bizarre d’ailleurs, sous la dénomination de longitude du périhélie.