Œuvres complètes de Bernard Palissy/Recepte véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier leurs thrésors/À Monseigneur le mareschal de Montmorancy, chevalier de l’Ordre du Roi, etc.

À MONSEIGNEUR LE MARESCHAL
DE MONTMORANCY, CHEVALIER DE L’ORDRE DU ROI,
CAPITAINE DE CINQUANTE LANCES, GOUVERNEUR DE PARIS ET DE l’ISLE DE FRANCE[1].




lettrine onseigneur, combien qu’aucuns ne voudroyent jamais ouir parler des Escritures Sainctes, si est-ce que je n’ay trouvé rien meilleur que suivre le conseil de Dieu, ses esdits, statuts et ordonnances : et en regardant quel estoit son vouloir, j’ay trouvé que, par testament dernier, il a commandé à ses héritiers qu’ils eussent à manger le pain au labeur de leurs corps, et qu’ils eussent à multiplier les talens qu’il leur auoit laissez par son testament. Quoi considéré, ie n’ay voulu cacher en terre les talens qu’il lui a pleu me distribuer : ains pour les faire profiter et augmenter, suiuant son commandement, je les ay voulu exhiber à un chacun, et singulièrement à Vostre Seigneurie, sachant bien que par vous ne seront mesprisez, combien qu’ils soyent prouenus d’une bien pauure thésorerie, estant portée par une personne fort abjecte et de basse condition. Ce néantmoins, puisqu’il a pieu à Monseigneur le Connestable vostre père, me faire l’honneur de m’employer à son service, à l’édification d’une admirable Grotte rustique de nouvelle inuention, ie n’ay craint à vous adresser partie des talens que i’ay receus de celui qui en a en abondance. Monseignevr, les talens que je vous enuoye, sont en premiers lieu plusieurs beaux secrets de nature, et de l’agriculture, lesquels i’ay mis en un liure, tendant à inciter tous les hommes de la terre, à les rendre amateurs de vertu et iuste labeur, et singulièrement en l’art d’agriculture, sans lequel nous ne saurions vivre. Et parce que je voy que la terre est cultiuée le plus souuent par gens ignorans, qui ne la font qu’auorter, i’ay mis plusieurs enseignemens en ce liure, qui pourront estre le moyen qu’il se pourra cueillir plus de quatre millions de boisseaux de grain, par chacun an, en la France, plus que de coustume, pourueu qu’on veuille suiure mon conseil : ce que i’espère que vos sujets feront, après avoir receu l’aduertissement que i’ay donné en ce liure. Item, parce que vous estes un Seigneur puissant et magnanime, et de bon iugement, i’ai trouué bon de vous désigner l’ordonnance d’un iardin autant beau qu’il en fut iamais au monde, horsmis celuy du Paradis terrestre, lequel dessein de iardin, je m’asseure que trouuerez de bonne inuention.

Item, en ce liure est contenu le dessein et ordonnance d’une ville de forteresse, telle que iusques ici on n’a point ouy parler de semblable. Il y a audit liure plusieurs autres choses fructueuses que ie laisseray dire à ceux qui en les lisant les retiendront et vous en feront le récit. Je n’ay point mis le portrait dudit iardin en ce liure, pour cause que plusieurs sont indignes de le veoir, et singulièrement les ennemis de vertu et de bon engin : aussi que mon indigence et occupation de mon art ne l’a voulu permettre. Je say qu’aucuns ignorans, ennemis de vertu et calomniateurs diront que le dessein de ce iardin est un songe seulement, et le voudront peut estre comparer au songe de Polyphile, ou bien voudront dire qu’il seroit de trop grande despence, et qu’on ne pourroit trouuer lieu commode pour l’édification dudit iardin, iouxte le dessein. À ce je responds, qu’il se trouuera plus de quatre mille maisons nobles en France auprès desquelles se trouueront plusieurs lieux commodes pour édifier ledit iardin, iouxte la teneur de mon dessein : Et quant à la despence, il y a en France plusieurs iardins qui ont plus cousté qu’icelui ne cousteroit. Quand il vous plaira me faire l’honneur de m’employer à cest affaire, ie ne faudray à vous en faire soudain un pourtrait, et mesmes le mettray en exécution, s’il vous venoit à gré de ce faire. Et quand est du dessein et ordonnance de la ville forteresse, ie say qu’aucuns diront qu’il ne se faut arrester à mon dire, d’autant que ie n’ay point exercé l’estat militaire, et qu’il est impossible de savoir faire ces choses sans avoir veu premièrement plusieurs batteries et assaux de villes. À ce ie responds, que l’œuure que i’ai commencée pour Monseigneur le Connestable rend assez de tesmoignage du don que Dieu m’a donné pour leur clore la bouche : car s’ils font inquisition, ils trouueront que telle besongne n’a oncques esté veuë. Item, ayant fait une plus ample inquisition, ils trouueront que nul homme ne m’a apprins de sauoir faire la besongne susdite. Si donques il a pieu à Dieu de me distribuer ses dons en l’art de terre, qui voudra nier qu’il ne soit aussi puissant de me donner d’entendre quelque chose en l’art militaire, lequel est plus apprins par nature, ou sens naturel, que non pas par pratique ? La fortification d’une ville consiste principalement en traits et lignes de géométrie, et on sait bien que, grâces à Dieu, je ne suis point du tout despourveu de ces choses. J’ay prins la hardiesse de vous proposer ces argumens, à fin d’obvier aux détractions qu’aucuns vous pourroyent persuader, en vous disant que la chose est impossible : toutesfois ie me soumets à receuoir honteuse mort, quand je ne feray apparoir la vérité estre telle toutesfois et quantes il vous plaira m’employer à cest affaire. Si ces choses ne sont escrites à telle dextérité que Vostre Grandeur le mérite, il vous plaira me pardonner : ce que j’espère que ferez, veu que je ne suis ne Grec, ne Hébrieu, ne Poëte, ne Rhétoricien, ains un simple artisan bien pauurement instruit aux lettres : ce néantmoins, pour ces causes, la chose de soy n’a pas moins de vertu que si elle estoit tirée d’un homme plus éloquent. I’aime mieux dire la vérité en mon langage rustique, que mensonge, en un langage rhétorique. Suyvant quoi, Monseigneur, i’espère que receurez ce petit œuvre d’aussi bonne volonté que ie désire qu’il vous soit agréable. Et en cest endroit, je prierai le Seigneur Dieu, Monseigneur, vous donner, en parfaite santé, bonne et longue vie.

Votre très-affectionné et très-humble serviteur,

Bernard Palissy.
  1. Fils du Connétable.