Œuvres complètes de Bernard Palissy/Recepte véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier leurs thrésors/À Monseigneur le duc de Montmorancy, pair et connestable de France

Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 8-9).

À MONSEIGNEUR LE DUC DE MONTMORANCY,
PAIR ET CONNESTABLE DE FRANCE.




lettrine onseigneur, ie croy que vous ne trouuerez mauvais de ce que ne vous ay esté remercier, lors qu’il vous pleut d’employer la Roine mère, pour me tirer hors des mains de mes ennemis mortels et capitaux. Vous savez que l’occasion de vostre œuvre, ensemble mon indigence, ne l’a voulu permettre : ie cuide que n’eussiez trouvé bon que i’eusse laissé vostre œuvre, pour vous apporter un grand merci. Jesus Christ nous a laissé un conseil escrit en Sainct Matthieu, chapitre 7, par lequel il nous desfend de semer les marguerites devant les pourceaux, de peur que, se retournant contre nous, ils ne nous deschirent : si j’eusse creu ce conseil, ie n’eusse été en peine vous prier pour ma déliurance, vous asseurant, à la vérité, que mes haineux n’ont eu occasion contre moy, sinon pour ce que ie leur auois remonstré plusieurs fois certains passages des Escritures Sainctes, où il est escrit que celuy est malheureux et maudit, qui boit le laict, et vestist la laine de la brebis, sans lui donner pasture. Et combien que cela les deust inciter à m’aimer, ils ont par là prins occasion de me vouloir faire destruire comme malfaicteur : et est chose véritable que si ie me fusse confessé ès juges de cette ville, qu’ils m’eussent fait mourir avant i’eusse sceu obtenir de vous aucun secours. Et l’occasion qui mouuoit aucuns Juges à estre un corps et une ame, et une même volonté auec le Doyen et Chapitre, mes parties, c’estoit parce qu’aucuns desdits Juges estoyent parens dudit Doyen et Chapitre, et possèdent quelque morceau de benefice, lequel ils craignent perdre, parce que les laboureurs commencent à gronder en payant les dixmes à ceux qui les reçoyvent sans les mériter. Je me fusse très bien donné garde de tomber entre leurs mains sanguinaires, n’eust esté que l’auois espérance qu’ils auroyent esgard à vostre œuure ; et à l’incitation de Monseigneur le Duc de Montpensier, lequel me donna une sauue garde, leur interdisant de non cognoistre ni entreprendre sur moy, ni sur ma maison, sachant bien que nul homme ne pourroit acheuer vostre œuvre que moy. Aussi estant entre leurs mains prisonnier, le Seigneur de Burie, et le Seigneur de Jarnac et le Seigneur de Ponts prindrent bonne peine pour me faire déliurer, tendant à fin que vostre œuure fust parachevée. Quoy voyant mes haineux, m’envoyerent de nuit à Bourdeaux, par voyes obliques, sans avoir esgard, ni à vostre grandeur, ni à vostre œuure. Ce que ie trouvay fort estrange, veu que Monsieur le Comte de la Roche-Foucaut, combien que pour lors il tenoit le parti de vos aduersaires, ce néantmoins, il porta tel honneur à vostre grandeur qu’il ne voulut iamais qu’aucune ouuerture fust faite à mon hastelier, en cause de vostre œuure ; mais les susdits de ceste ville ne firent pas ainsi, ains au contraire, soudain que je fus prisonnier, ils firent ouuerture et lieu public de partie de mon hastelier, et avoyent conclu en leur maison de ville de jetter mon hastelier à bas, lequel a esté partie érigé à vos despens ; et eust esté exécutée une telle délibération, n’eust esté le Seigneur et Dame de Ponts qui prierent les susdits de n’executer leur intention.

Je vous ay escrit toutes ces choses, à fin que n’eussiez opinion que i’eusse esté prisonnier comme un larron ou meurtrier. Je say combien il vous saura très bien souuenir de ces choses en temps et lieu, et combien que vostre œuure vous coustera beaucoup davantage, pour le tort qu’ils vous ont fait en ma personne ; toutesfois i’espere, que suivant le conseil de Dieu, vous leur rendrez bien pour mal, ce que ie desire : et

de ma part, de mon pouuoir ie tascheray à recognoistre
le bien qu’il vous a pleu me faire. Qui est l’en-
droit, où je prieray le Seigneur Dieu,
Monseigneur, vous donner en par-
faite santé, longue et
heureuse
vie.

Vostre très humble et très affectionné seruiteur,

Bernard Palissy.