De l’imprimerie de l’auteur (p. 50-57).

Action. — Prison. — Noyé.



Une grave conversation avait été entamée entre Zoloé et son partenaire, Cette rusée princesse feignit d’entrer dans les sentimens du Licurgue moderne. Les éloges coulaient avec profusion de sa bouche enchanteresse, et le modeste législateur avalait cet encens avec une complaisance inouie. Cependant à travers les distractions qu’elle faisait naître, Fessinot sablait un verre de vin. Une foule de choses d’ailleurs s’offraient à ses regards, propres à réveiller ses sens. Pacôme et Parmesan égayés par le jus pétillant qui circulait dans leurs veines, se répandaient en propos badins et en expressions d’un genre tout à fait neuf pour les autres convives. Des gestes suivaient ces licences provoquées : les dames avaient beaucoup de peine à empêcher les mutins que le théâtre du festin ne le fût des combats amoureux. Zoloé n’avait point ces témérités à comprimer ; elle s’occupait à arranger un fichu qui ne cachait rien, un soulier qui ne se dérangeait pas, une boucle qui ne couvrait l’ovale d’une joue qu’en découvrant un joli bout d’oreille. Elle jouait avec son éventail, lançait quelques œillades mi-ardentes, prodiguait à son voisin les ris pour montrer les plus belles dents du monde. Peu-à-peu l’ame usée de Fessinot se ranimait ; enfin les ressorts de son individu étaient montés à un ton passable, et ses discours avaient pris une teinte de sensibilité dont il s’étonnait lui-même. Il était devenu plus onctueux, plus tendre, plus pressant. Il parlait de desirs, de flammes ; et comme jadis il avait fait un copieux recueil de mots équivoques et obscènes, il commençait à en débiter une foule. Lauréda elle-même, admirait la loquacité et la métamorphose de son Fessinot. Elle eût presque envié à Zoloé les produits de la séance qui devait suivre : mais il était écrit, non pas là haut, mais dans les desseins de la rusée tentatrice, que tant de dépense d’esprit et d’amour ne devait rendre au déridé représentant que zéro, ou quelque chose de plus fâcheux.

Pacôme ne s’amusait plus à solliciter des faveurs, il s’était emparé de la place. Ses mains actives palpaient, chiffonnaient, polluaient ; l’ardeur de ses baisers était un véritable incendie. Parmesan avait planté Volsange sur ses genoux et se préparait à lui décocher le trait enflammé. Elle s’enfuit vers son boudoir : Lauréda l’imite, et leurs adorateurs s’y précipitent avec elles.

L’absence de témoin, accrût la hardiesse de Fessinot ; ses attaques prennent une telle impétuosité que Zoloé ne peut s’empêcher de croire à sa résurrection. Elle paraît ne se défendre qu’à demi. Il ose exiger, il touche aux avenues du plaisir, lorsqu’une porte s’ouvrant, d’Orbazan paraît. Que vois-je, s’écrie-t-il avec une feinte fureur ? Fessinot ici, chez moi, avec ma femme ? Être vil et crapuleux, comment as-tu la témérité de prétendre m’associer à ta confrairie toi qui n’a d’homme que l’écorce ; toi qui ne devrait figurer que dans les antichambres ; toi dont le nom est un opprobre et la société un fléau ! Hypocrite, comment oses-tu, chaque jour, dans tes écrits et tes harangues, étaler un pompeux appareil de morale et de vertu, toi qui ne cesses d’outrager l’une et l’autre ! Et tu prétens réformer, morigéner la nation ! et tu viens dans l’intérieur des familles, pour y porter la corruption et la honte ! et ce sont ces beaux exemples que tu traces à suivre à ta femme et à tes enfans !… Fuis d’ici au plus, vite, ou mon bras va s’appesantir sur ton cadavre. Et vous madame, qui avez trompé ma confiance et abusé, de ma faiblesse, rentrez dans votre appartement, la punition que je prépare me vengera pleinement de l’impudent Fessinot.

Le malheureux tremblant s’était esquivé sans réplique. Un corridor semblait indiquer la sortie, il le suit ; et se trouve enfermé dans un cabinet qu’il n’est pas plus agréable de sentir que décent de nommer.

Cependant nos heureux couples, nageaient dans des torrens de volupté, jamais Venus n’a vu tant d’offrandes couvrir ses autels. Inutilement essayerai-je de dépeindre les ravissemens ineffables, les sensations que de savantes manœuvres surent multiplier. Les oreilles chastes ne sauraient entendre ces détails obscènes, et ma plume se refuse à les tracer ! Que l’homme dont l’ame ne se réveille au plaisir que par ces images licencieuses, m’en fasse un crime, je m’honorerai de son improbation. Il faut que le voile de la pudeur enveloppe les situations que l’amour invente pour varier et prolonger les jouissances ; c’est un devoir imposé à l’historien, il outrage les mœurs, lorsqu’il s’en écarte. Mais il me sera permis, du moins, de rendre hommage à la prévoyance qui avait presidé à la réunion de tout ce qui pouvait combler les desirs dans cet incomparable hermitage. Au moyen d’un ressort qu’un fil de laiton mettait en mouvement, on entendait un concert à dix parties, exécuté avec une précision et un charme que n’aurait pu surpasser tout un orchestre. À chaque lit de repos, répondait au fil qui communiquait à l’instrument. Il était convenu entre les amies, que chaque sacrifice serait couronné par un hymne de triomphe. Les sons harmonieux remplissaient parfaitement les appartemens, l’écho les allait porter à l’infortuné Fessinot qui exhalait vainement sa rage dans sa honteuse prison.

La nuit avait à peine parcouru les deux tiers de sa course, et déjà l’instrument mélodieux avait fait entendre quinze fois ses brillans accords. Après tant d’assauts si vigoureusement soutenus par les parties, il semble que la nature épuisée devait invoquer le repos ; une irritation excessive provoquait à de nouvelles entreprises. La longue privation, les mets succulens, les vins exquis, de vivantes peintures de tout ce que l’art de jouir a pu imaginer de plus lascif, des essences répandues avec profusion, la dextérité et les charmes de leurs nymphes, les divins accens qui portaient dans l’ame la suavité du bonheur, ne pouvaient manquer de produire dans Pacôme et Parmesan, un effet extraordinaire. D’Orbazan plus habile à modérer sa fougue, n’avait cependant pas voulut céder la palme à ses rivaux.