De l’imprimerie de l’auteur (p. 119-124).

À quoi on ne s’attend pas.


On avait fait de longues excursions, le soir longue veille, et la nuit longue séance de volupté : ces dames n’étaient pas visibles à midi. Les trois adorateurs en attendant leur lever s’étaient réunis, et pour tromper leur impatience, s’étaient acheminés vers le bois. Insensiblement, la conversation s’anima, se prolongea, le sujet en était riche, intéressant. Le voici mot pour mot :

Zoloé est charmante, dit le prince italien. Si on pouvait lui faire un reproche, ce serait d’outrer le luxe et l’appareil ; et encore pourrait-on l’excuser, en considérant sa fortune et la brillante destinée qu’on lui prépare. — Vraiment, dit Milord, on parle de son mariage avec le baron d’Orsec. — Lauréda m’a confié ce secret, dit gravement l’Espagnol. Conçoit-on une pareille union ? — Je vois bien, reprend l’Italien, que vous ne connaissez pas le baron. Cet homme ne rêve que la gloire et tous les genres de gloire. Il ne se borne pas à être un autre César, un Péricles, un Solon. Il veut donner au monde l’exemple de toutes les vertus qui ont honoré l’humanité. Téméraire dans les combats, c’est pour montrer au soldat le chemin de la victoire. Impénétrable dans le conseil ; il ne rassemble les opinions que pour perfectionner la sienne ; et celle qu’il adopte est toujours la meilleure ou la plus heureuse. L’avenir se déroule devant ses yeux. Il sera tout ce que lui permettra d’être le destin de sa patrie. Il ne travaille que pour son bonheur. Il irait à l’extrémité de la terre, moissonner de nouveaux lauriers, pourvu qu’ils concourussent à la prospérité de son pays. — Le gouvernement actuel est d’une absurdité palpable : il l’admire et le craint, mais le peuple ne voit en lui qu’un héros ; ce héros le sauvera ; le plan de son bonheur est tracé dans sa tête ; tôt ou tard, il le mettra à exécution ; les gens de bien soupirent après cet heureux moment.

Milord. C’est le seul homme dont la nation Anglaise redoute la politique, la valeur et la sagesse. Mais nous avons Pitt, et quelques guinées de plus ou de moins pourraient bien nous en délivrer. — L’espagnol. Que dites-vous, Forbess ? C’est affreux, non, le peuple anglais est trop généreux pour desirer l’emploi de moyens aussi lâches. — Forbess. Ne vous ai-je pas nommé Pitt ? — L’italien. Pitt échouera dans ses complots. Le génie de la France, et sa sagesse le protégent. Mais si vous ne devinez pas le but du mariage en question, le voici : Tous les partis en France se croisent, se choquent, aucun point de ralliement. Celui qu’on appèle aristocrate abhorre la domination des hommes qui sont couverts de crimes et de sang. Le forcéné démagogue est irrité de voir qu’on ose l’emmuseler, et que les prépondérans l’abandonnent à son ignominie. Les peureux, les indifférens, qui forment le plus grand nombre invoquent un seul maître qui joigne le courage aux lumières, les vertus, aux talens, et ils trouvent tout cela dans d’Orsec, Son mariage avec Zoloé lui attache une classe proscrite. L’éclat de ses victoires ne permet pas à la malveillance de s’en offenser. Il a fait ses preuves de justice et d’honneur envers tous les partis : tous l’estiment, le révèrent comme un ami et un homme supérieur. — Milord. Qu’il en soit ce qu’il plaira à la fortune, je ne veux pas m’en fatiguer ici. Me voilà en France : si la paix y règne, je serai citoyen de France, sinon je reverrai mes dieux Pénates. Je ne connais d’Orsec que par sa réputation et ses triomphes. Il ne peut que protéger tout homme ami de la paix et de l’ordre public. Quant à moi, je ne veux que jouir. Peu m’importe sous quel pilote arriver au port, pourvu que j’y parvienne sans tourments et sans naufrage.

L’Italien allait reprendre le fil de son discours ; mais l’amoureux Espagnol le fit arrêter, en lui rappelant que ces dames devaient être visibles, et qu’il était tems d’aller leur faire la cour.