De l’imprimerie de l’auteur (p. 101-110).

Visite. — Assemblée.


Le baron d’Orsec s’était présenté inutilement cher Zoloé ; il n’avait pu la rencontrer. La fatigue des jours précédens l’avait enfin consignée pour quelques heures de plus dans son hôtel. Expliquer en deux mots ses propositions, les accepter de même, telle est la méthode des gens comme il faut pour conclure un mariage : il en fut de même de celui de Zoloé avec le baron. La conversation avait changé d’objet ; le baron prenait congé de sa future, lorsqu’un laquais annonce l’empressé amoureux de la veille. D’Orsec connaissait parfaitement le prince Guilelmi et en était aussi bien connu. Cela le retint une minute, puis il disparut.

Après le cérémonial ordinaire, des excuses et des plaintes sur l’incognito d’hier, des félicitations et des assurances de respect, des hommages et des soupirs, et mille autres lieux communs aux galans, on se quitte pour se retrouver chez Volsange.

Lauréda avait aussi reçu son Espagnol. La reconnaissance avait animé et prolongé l’entretien ; il ne fut interrompu que par la présence de Zoloé. — Il me fâche, dit-elle avec ce souris qu’elle sait rendre si gracieux, de vous séparer. Il le faut, nous nous réunissons chez Volsange, et j’imagine, monsieur, que vous achèverez, là les cent mille questions qu’il vous reste à vous faire, Dom Fernance étant sorti, d’Orsec est venu. — Eh ! bien ? — Le mariage est conclu. — Les conditions ? — Point. Des conditions ! en vérité, tu rêves ! se rendre esclave l’un de l’autre ! il faut avoir perdu la tête. Non, chacun reste maître de ses volontés et actions. Il n’y a de commun que le nom et le logement ; du reste, les beaux dehors de la plus parfaite intelligence, un simulacre d’amour, ou d’amitié. — A-t-il percé le mystère de nos petites frédaines ? — Tu plaisantes. Il m’épouse avec mes faiblesses ; et pourvu qu’elles n’éclatent point, qu’elles n’identifient point son nom de guerrier invincible avec celui de c… ce mot là me répugne, passons là dessus. Tiens, Lauréda, je veux désormais être la prudence, la circonspection, l’honnêteté même. — Te voilà, donc convertie ? — Tu ne veux donc pas m’entendre ? — Ah ! oui, sauver les apparences ? n’est-ce pas ?

À déjeuner, Dubuisson ! et un chocolat à la Tortoni, restaure ces dames ; Susanne, nos toilettes ! et les voilà, au bout de deux heures, parées, belles comme Vénus même. Les chevaux à la voiture, Patrice ! et les chevaux volent chez Volsange avec ces dames.

Mille baisers, mille tendres inquiétudes sur le sommeil, le réveil. Bon : point de maux de tête, point de rêves affreux. Enfin on apperçoit Milord, ou plutôt on l’avait apperçu le premier, ce n’était pas son tour. Milord ici, si matin ! et il est deux heures !

Milord accoutumé à se lever avec le père du jour, dès sept heures s’était présenté à la porte, avait harcelé, suisses, laquais, suivantes et jusqu’au cocher ; enfin jurant, pestant, allant, revenant vingt-fois, il est admis à dix heures. Sa mauvaise humeur égalait son impatience ; mais semblable au soleil, lorsqu’il perce les nuages d’un jour sombre, Volsange d’un mot, d’un souris avait déridé ce front sourcilleux. Des baisers refusés d’abord, ensuite accordés, puis rendus avaient scellé la réconciliation. Les yeux de Milord exprimaient un air de satisfaction ; ceux de Volsange animés, une toilette un peu en désordre, un coloris vif prouvaient qu’on ne s’en était pas tenu à de simples préliminaires. Mille plaisanteries assaisonnent la conversation, et remplissent l’espace qui reste à parcourir pour arriver au dîner, Milord invité reste. Il avait pris possession, il n’y avait plus d’étiquettes à garder. Enfin on entend le fracas des voitures, des portes : on annonce Dom Fernance ; et peu après, le prince Guilelmi. Le dessert est à peine commencé, n’importe, on passe au salon.

Il est bientôt rempli par une foule de femmes et d’hommes, les plus élégans et les plus à la mode. La légèreté et surtout la bizarrerie des vêtemens, l’air sémillant, étourdi de toutes ces têtes s’agitant, grimaçant, réfléchies dans les glaces, les riches éventails jouant sur les figures des belles, produisaient une variété très-divertissante. À travers une recherche infinie de parure, les coquetes avaient si bien ménagées des vides, la gaze était si transparente, le maintien si engageant, l’œil si fripon, le propos si badin, que le spectateur le plus novice eût compris qu’on ne se rendait là que pour préluder à l’embrâsement des sens, et en assouvir ensuite toutes les fougues.

On s’asseoit enfin. Les tables sont garnies. Ici la scène change. Le silence, un air soucieux succèdent à ces physionomies si épanouies, à cette évaporation si bruyante. Volsange avait arrangé les parties de jeu : Fernance, Guilelmi et Milord avaient l’honneur de former celle des trois amies. Mirval, d’Orbazan, Sabar se consolaient d’un autre côté avec des remplaçantes. Ils s’apprêtaient à rire aux dépens des nouveaux adorateurs de leurs vieilles habitudes. Il y avait en effet de quoi s’amuser, en voyant la prodigue générosité de Milord dont les guinées roulaient avec rapidité vers celles de Volsange ; les contorsions de l’Italien à chaque chance malheureuse, et l’air grave de l’Espagnol dans la bonne et la mauvaise fortune. Quelques bourdons oisifs circulaient çà et là et paraissaient faire diversion à la triste monotonie des joueurs. En moins de deux heures, les trois fédérées font une rafle complète sur l’or de leurs adversaires. Milord avait perdu quatre mille louis sur parole ; et il ne s’arrêtait pas. Il fallut que ces dames mîssent un frein à cette fureur. — Leur bonheur, disaient-elles, était trop opiniâtre. Il n’y avait pas de générosité à battre des vaincus. Elles se savaient mauvais gré de les avoir engagés dans une partie si malheureuse. La fortune ne les favorisait tant que pour les maltraiter une autre fois… elles n’avaient jamais été heureuses…

Cependant tous ces beaux propos, débités avec le ton de sensibilité le plus naturel du monde, ne rendaient pas aux perdans leurs pistoles, elles étaient passées dans la bourse des ames compatissantes de Zoloé, Volsange et Lauréda. Les étrangers disparurent les premiers. On n’est guères amoureux, quand on a joué sa ruine. Le sombre désespoir vous obsède ; et il faut que la main du tems en détruise les noirs accès. D’Orbazan, Mirval et Sabar partagèrent, dans un excellent souper, la bonne humeur de ces dames ; et ne les quitèrent qu’après avoir épuisé, dans leurs bras, les réservoirs de la jouissance.

Ainsi se termina cette journée, sans autres événemens que trois personnes ruinées, un festin et une nuit charmante pour les trois amies.