Zinzin
ZINZIN
Zinzin fut une négation.
À sa mère d’après la chair, il put en opposer une d’après le désir. Lamprido ne connut jamais sa femme que d’après la méthode ancestrale de bon papa. Une Picarde lui ouvrit, toutes grandes, les portes de la science qu’elle tenait de maître Nicolas Chorier. C’est ainsi que Lamprido aboutit à opposer, au non énergique de son épouse, un oui catégorique. Et au milieu de la ruine qu’affirmait, d’un vaste rococo, la mort — Zinzin fut engendré, négativement, et comme de Lamprido un crachat humoristique.
Le temps de grossesse, la mère fut gloutonne comme une louve. Lamprido chanta, pendant les neuf mois, un chœur novénaire d’humanitaire sentimentalité.
Ce fut le temps où l’autosuggestion aboutit à l’auto-destruction. Le vrai était devenu vraisemblable. À la forêt, les feux brûlèrent des nuages ; les bûcherons construisirent des étoiles. Un bruit de bombe fora, par intervalles, un trou dans le calme. Le silence de la maison tint des colloques contradictoires au silence de l’espace.
Au terme de la portée, la science médicale pronostiqua un avorton ou quelque chose s’en rapprochant. À l’accouchement, ils furent quatre à tirer. D’après le témoignage authentique des assistants, Zinzin ressemblait, en dimensions, à une tête d’éléphant.
Lamprido s’extasia devant son œuvre et fit « l’Apologie de la paresse ». Et pour en éloigner définitivement les moindres maléfices du vulgaire, il lui découvrit, comme parrain, une jeune mixture d’israélite, et, comme marraine, une petite actrice, les deux, en leur domaine réciproque, à dispositions appréciables.
À quatre mois, le nouveau-né esquissa un rire devant ses doigts qui dansaient.
Lamprido montra à son fils les simulacres prospères.
— Regarde, dit-il, et ris.
— La brume tamise du seigle. Les étoiles brûlent un petit four conique. La lune exhibe une livre de beurre. Le sculpteur modèle des pains de sucre. Le peintre saigne des chateaubriands en pochade. Le pavé colle des grappes de graisse au talon de la marcheuse. Un philosophe chimiste dissèque l’intestin du lombric, inventant d’extraire de la terre l’aliment condensé. À la roulotte, scintille une flamme sur une bouteille vide. Dans les marais, les marchands essaient de prendre au filet le germe des feux follets. Les naturalistes sélectent des lampyres, pour remplacer l’éclairage. Les poules épient les pommes pourries, oubliées au faîte de l’arbre. La nuit étale du charbon. La fille du trottoir s’engage en parlant pomme de terre. Il faut gagner son pain quotidien. Pourchassées du vent, les feuilles cherchent dans les ravins une tombe. Elles ferment les trous perdus où les chats, à l’agonie, s’inhument. Tous les bruits de la mer rafalent dans les arbres. Les ménagères, puisant de l’eau aux pompes municipales, s’en retournent, le vent dans les robes, comme des mâts sur des voiliers. À la tombée de la nuit, tous les pouilleux, en leur bicoque, deviennent capitaines : fermant les quatre murs, leur submersible plonge, et l’on fait des voyages sous-marins.
Écoute les bruits d’industries de guerre, bruits de moteurs qui ronflent, de bombes qui éclatent.
Fusées, saccades, mitraille.
Un merle déserteur se cache au pied de la haie.
Le nourrisson, les deux mains dans la bouche, proclama son manifeste de la vérité en une panade.
— L’hiver, la forêt exhibe une architecture d’arabesques, noir et blanc. Il faut — dit Lamprido — une curiosité insatiable. Un pinson, derrière un âne, crie famine. La lune éclaire le jour. La poule moule des étoiles dans la neige. Le cheval découpe, dans la route, des croissants. Le garçon de café, le matin à l’ouverture, lit sur les vitres, les images éternistes des nouvelles sensationnelles, la veille colportées. Le jour de sainte Catherine, les vieilles filles se tirent les cheveux gris et se savonnent la barbe. Le vent sur la chaussée, joue avec des glaives. Les grelottants reçoivent l’accolade — chevaliers de la misère.
Le gosse de six mois sourit, quand son père conseilla d’arracher la lune, puisqu’elle exhiba des muscles d’une poule la blancheur.
Quand la mère sevra l’enfant, ce fut depuis longtemps la famine. Une vieille dame de la Somme, ruinée à la guerre, lui apprit à manger des pommes et des poires, des raisins et des noisettes — et en hiver — des navets, des carottes, des pommes de terre au sel et du pain sec bien trempé. À chaque repas, il dit — bon encore. — Il aima bien manger et faire un « bon caca ». Ainsi fut-il gros et gras et une négation de la misère.
À l’âge de l’inconscience, il fut la joie de la conscience.
— Comprends donc, dit Lamprido, en montrant à la mère, Zinzin, qui marcha, toujours et partout dans la maison, derrière son père — comprends donc à mon double, toutes les théories nouvelles et anciennes de la religion et de l’âme. — Inutile est le moindre commentaire.
À deux ans, il nia tout. À chaque affirmation, il opposa un non volontaire. Sa mère, se rappelant de la conception, en fut fière.
Eut lieu, en ce temps, la sublime débandade des vaincus. Des troupeaux innombrables de matériel, animal et humain, se bousculèrent par toutes les routes et soulevèrent des nuages de poussière, qui fut simplement de la vermine. Zinzin, à son tour, fut infecté. Avoir des poux fut la mode de cette période transitoire.
Lamprido prépara des bains sulfureux. Épongeant son fils entre les jambes, il crut conclure que Zinzin était prédisposé à l’onanisme et il dansa avec lui le pan-pan.
Pan-pan. Pan-pan
Qu’un jour tu ailles en prison, tu jureras
À dix-huit mois, mon père me le chanta
Pan-pan. Pan-pan
Qu’un jour tu ailles à l’hôpital, tu cracheras
À dix-huit mois mon père me le blasphéma
Pan-pan. Pan-pan
Si un jour l’on t’enferme en une maison d’aliénés
Tu chanteras à dix-huit mois, je l’ai dansé
Pan-pan, Pan-pan
Polyphonie, polyfolie
Pan-pan
Ma mère est une sainte !
Pan-pan
Mon père est un café-chantant
Pan-pan-pan.