Paul Janet, Le cerveau et la pensee, Chapitre 5 Le Génie et la Folie. dans Janet - Le cerveau et la pensee, éd. 1867, p. 84.
CHAPITRE V
Quelque obscur que soit par lui-même le phénomène de la folie, quelques médecins ont cru que ce fait pouvait servir à nous faire comprendre un autre état d’esprit non moins obscur et non moins étonnant, à savoir le génie. Ils ont réduit en système cet aphorisme célèbre, qui n’est pas sans vérité, mais où il faut se garder de voir une loi : « Il n’y a point de génie sans quelque grain de folie. » Déjà, dans deux ouvrages piquants[1], le docteur Lélut avait essayé d’établir que Socrate et Pascal avaient été hallucinés, se bornant du reste à conclure que l’hallucination n’est pas incompatible avec la pleine possession du génie. Un autre médecin, plus hardi, a poussé plus loin les mêmes conclusions, et n’a pas hésité à considérer le génie comme un phénomène de la même famille que l’aliénation mentale. Il a exprimé lui-même sa doctrine en ces termes :
« Les dispositions d’esprit qui font qu’un homme se distingue des autres hommes par l’originalité de ses pensées et de ses conceptions, par son excentricité ou l’énergie de ses facultés affectives, par la transcendance de ses facultés intellectuelles, prennent leur source dans les mêmes conditions organiques que les divers troubles moraux, dont la folie et l’idiotie sont l’expression la plus complète. »
Telle est la doctrine développée par M. Moreau (de Tours), dans un livre intéressant, la Psychologie morbide, et qu’il a résumée et concentrée dans cette formule originale : « Le génie est une névrose », c’est-à-dire une maladie nerveuse.
Et enfin, pour qu’aucun nuage ne reste sur sa pensée, l’auteur ajoute quelques pages plus loin : « La constitution de beaucoup d’hommes de génie est bien réellement la même que celle des idiots. »