Pergaud, Louis, La fin de Fuseline dans De Goupil à Margot 1911

LA FIN DE FUSELINE

Traînant son suaire jaunâtre et comme vieilli sur la grisaille morbide du paysage rustique, l’aube s’était levée, telle un spectre vengeur, ce jour d’hiver où Fuseline fuyant avait laissé sa patte fixée ainsi qu’une borne d’horreur entre les mains d’acier du piège tendu par l’homme.

Le long des haies larmoyantes, grises, sales comme d’immenses chrysalides qui se débarrassent petit à petit de leurs enveloppes, elle avait marché, elle avait couru, sans voir, sans savoir, d’une longue traite jusqu’à l’épuisement.

Alors, sentant fléchir son courage et ses pattes se dérober, elle avait été comme dégrisée de sa souffrance par cette douche froide que l’idée de mort, brusquement surgie, versait brutalement sur sa conscience suspendue, en même temps qu’un raisonnement irréfragable et spontané lui criait avec la brutalité d’un ordre : Si tu ne te reposes pas, tu vas mourir.

Sur un tapis spongieux de feuilles à demi pourries, dont il ne restait, comme un squelette, que la dentelle délicate des nervures jaunies, à travers l’armature du lacis (desserré, semblait-il, par la chute des feuilles) des buissons d’épines, elle s’était arrêtée, et là, après avoir longuement léché le sanglant moignon qui, comme une manche déchirée, pendait piteusement à son épaule, elle s’était orientée au plus vite pour regagner sans encombre sa cabane de bois.

Elle en était très proche, car, même dans le désarroi le plus grand qui puisse troubler la vie coutumière des animaux sauvages, il persiste presque toujours, au-dessus de la conscience engourdie, comme une direction providentielle qui les conduit, un subconscient conservateur qui veille sur leur vie.

Maintenant que la tranquillité de la retraite provisoire lui permettait de réfléchir, elle établissait son itinéraire pour, au moment propice, regagner la fourche hospitalière de son vieux poirier qui dressait là-bas, à la lisière de la forêt, ses longs bras aux manches de mousse…