Paul Adam, Irène et les eunuques 1907
VIII
r
la terre trembla sous Byzance, tout à
coup, sous les maisons bleues, sous
les maisons roses, sous les parvis des
églises, sous les seuils des palais, sous
la Spina de l’Hippodrome. Les cailloux
cimentés des rues se disjoignirent.
Maintes façades se fêlèrent. Les poutres
apparentes des bâtisses furent déchaussées dans
les murs d’argile et de chaux. Les amphores tombèrent
des balcons soudain détachés, et se rompirent
en morceaux contre les têtes des fuyards, contre
les épaules des vieilles glapissantes, au milieu des
enfants qui pleuraient, des chiens éperdus, de la
poussière en nuages après la chute d’innombrables plâtras.
Les chameaux s’évadaient allongeant leurs jambes
griffues, leurs mufles mous. Des écuries effondrées,
mille chevaux et mulets s’échappèrent, coururent,
renversèrent les marchandes, sautèrent les haies, piétinèrent
les jardins que jonchaient les arbres s’abattant.
Autour des puits des crevasses s’ouvrirent,
avalèrent des enfants étourdis et des femmes folles.
Les icônes s’élancèrent de leurs niches pour frapper
les pécheresses. Le sol ondulait comme l’échine du
Léviathan que l’on dit réfugié aux profondeurs de
l’enfer depuis la mort du Christ. Des familles hurlaient
sous les décombres de leurs demeures. Les vantaux
arrachés des portes encombrèrent les voies publiques
que traversait au galop la panique des coursiers
réunis en troupeaux par l’instinct de défense. Maintes
ruades tuaient les gens surpris et renversés sur le corps
de leurs parents qu’ils secouraient en hâte. La poussière
et le vent tourbillonnaient, aveuglaient, bousculaient.
Au Pelagion la mer entre-choqua les navires. Elle brisait les rames. Elle se rua sur les dunettes. Elle emplit les dromons et les chelandia qui sombrèrent par centaines dans la Chrysokeras. Les noyés se débattirent à la cime des vagues écumeuses. Rejaillies sur les quais, elles crevèrent, de leur assaut liquide, les magasins et les hangars, pour emporter au large les ballots, les caisses, les barils. Des matelots furent immergés dans les tavernes du port. Une eau saumâtre les gorgea, les étrangla, les asphyxia, la coupe à la main, la gouge sur le cœur.