AU LECTEUR.
Ce n’est ici qu’un simple crayon, un petit impromptu dont le
roi a voulu se faire un divertissement. Il est le plus précipité de
tous ceux que Sa Majesté m’ait commandés ; et, lorsque je dirai
qu’il a été proposé, fait, appris et représenté en cinq jours, je
ne dirai que ce qui est vrai. Il n’est pas nécessaire de vous
avertir qu’il y a beaucoup de choses qui dépendent de l’action.
On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être
jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui
ont des yeux pour découvrir, dans la lecture, tout le jeu du
théâtre. Ce que je vous dirai, c’est qu’il seroit à souhaiter que
ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec
les ornements qui les accompagnent chez le roi. Vous les verriez
dans un état beaucoup plus supportable ; et les airs et les
symphonies de l’incomparable M. Lulli, mêlés à la beauté des
voix et à l’adresse des danseurs, leur donnent sans doute des
graces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer.[1]
PROLOGUE
La Comédie, La Musique et Le Ballet
La Comédie
Quittons, quittons notre vaine querelle,
Ne nous disputons point nos talents tour à tour ;
Et d’une gloire plus belle
Piquons-nous en ce jour.
Unissons-nous tous trois d’une ardeur sans seconde
Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde.
Tous trois ensemble
Unissons-nous tous trois d’une ardeur sans seconde
Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde.
La Musique
De ses travaux, plus grands qu’on ne peut croire,
Il se vient quelquefois délasser parmi nous.
Le Ballet
Est-il de plus grande gloire ?
Est-il bonheur plus doux ?
Tous trois ensemble
Unissons-nous tous trois d’une ardeur sans seconde
Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde.
Fin du prologue.
Sganarelle, Aminte, Lucrèce, M. Guillaume, M. Josse.
Alceste
Ah ! l’étrange chose que la vie ! et que je puis bien dire,
avec ce grand philosophe de l’antiquité, que qui terre a, guerre a, et qu’un malheur ne vient jamais sans l’autre ! Je n’avais qu’une seule femme, qui est morte.
M. Guillaume
Et combien donc en vouliez-vous avoir ?
Sganarelle
Elle est morte, monsieur Guillaume mon ami. Cette perte m’est très sensible, et je ne puis m’en ressouvenir sans pleurer. Je n’étais pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble ; mais enfin la mort rajuste toutes choses. Elle est morte ; je la pleure. Si elle était en vie, nous nous querellerions. De tous les enfants que le ciel m’avait donnés, il ne m’a laissé qu’une fille, et cette fille est toute ma peine ; car enfin je la vois dans une mélancolie la plus sombre du monde, dans une tristesse épouvantable, dont il n’y a pas moyen de la retirer, et dont je ne saurais même apprendre la cause. Pour moi, j’en perds l’esprit, et j’aurais besoin d’un bon conseil sur cette matière. Vous êtes ma nièce ;
à Aminte. vous, ma voisine ;
à monsieur Guillaume et à monsieur Josse. et vous, mes compères et mes amis : je vous prie de me conseiller tout ce que je dois faire.
M. Josse
Pour moi, je tiens que la braverie, que l’ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles ; et, si j’étais que de vous, je lui achèterais, dès aujourd’hui, une belle garniture de diamants, ou de rubis, ou d’émeraudes.
M. Guillaume
Et moi ; si j’étais en votre place, j’achèterais une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages, que je ferais mettre dans sa chambre, pour lui réjouir l’esprit et la vue.
Aminte
Pour moi, je ne ferais pas tant de façons, et je la marierais fort bien, et le plus tôt que je pourrais, avec cette personne qui vous la fit, dit-on, demander il y a quelque temps.
Lucrèce
Et moi, je tiens que votre fille n’est point du tout propre pour le mariage. Elle est d’une complexion trop délicate et trop peu saine, et c’est la vouloir envoyer bientôt en l’autre monde,